Manifestation pour l’Europe en Angleterre, dans le cadre du Brexit
Auteur de l’article
  Aurélien Antoine est Professeur de Droit à l’Université Jean-Monnet de Saint-Étienne/Université de Lyon. Spécialiste du droit et des institutions britanniques, il dirige l’Observatoire du Brexit et a publié de nombreuses études sur le retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne. Auteur d’un ouvrage sur le Brexit à paraître aux éditions Dalloz et régulièrement sollicité par les médias nationaux pour apporter son expertise sur le sujet, il est également l’auteur d’un Droit constitutionnel britannique aux éditions LGDJ.
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Peut-on faire fi d’un vote populaire souverain ?


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Brexit : le référendum et le parlementarisme à l’épreuve

Le feuilleton du retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne qui se déroule depuis plus de deux ans recèle un mérite au-delà des incertitudes qu’il fait peser sur l’avenir des Britanniques et de l’Union européenne : celui d’apprécier le fonctionnement des institutions d’un pays qui fut à l’origine de la démocratie parlementaire en Occident.

Quelle est la valeur réelle du référendum ?

Chacun se rappelle que le Brexit a pour origine une consultation populaire par laquelle se sont prononcés en sa faveur environ 52 % des 72 % des inscrits sur les listes électorales. Or le système politique britannique est peu coutumier de ce type de scrutin. En effet, la souveraineté du Parlement est l’un des principes cardinaux de la Constitution britannique. Théorisée par un juriste fort connu outre-Manche, A. V. Dicey, elle implique notamment qu’aucune autre institution et même le peuple ne peuvent modifier ou abroger une loi votée par le Parlement.

Les modalités du référendum du 23 juin 2016 ne font pas exception. Non seulement la consultation n’a été possible qu’en vertu d’une loi, mais son issue n’a eu, juridiquement, qu’une valeur indicative. Le Parlement ne peut être lié par le résultat que s’il y a consenti explicitement. En revanche, en l’absence d’une énoncé contraire, le Parlement dispose comme bon lui semble de l’avis des électeurs. C’est la contrainte politique du respect du choix populaire qui a obligé les membres du Parlement à ne pas passer outre le résultat de la consultation sur le Brexit.

Au regard des modalités d’organisation et d’acceptation du référendum sur le Brexit, il apparaît que l’articulation entre les principes politiques et juridiques présidant au fonctionnement des institutions britanniques ont garanti la validité pérenne de l’expression du peuple dans une démocratie parlementaire. Pourtant, depuis plusieurs mois, les médias continentaux ainsi que les tenants d’un maintien du Royaume-Uni au sein de l’Union européenne soutiennent qu’un nouveau référendum serait possible.

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Une telle option n’est pas souhaitable, car elle continue de faire de ce procédé un expédient à l’issue aléatoire. Le résultat du scrutin du 23 juin 2016 en est la preuve. De surcroît, s’en remettre systématiquement au peuple reflète une espèce d’impuissance des représentants qui est de nature à valider les thèses hostiles au parlementarisme. Ce rejet pourrait s’avérer funeste pour la démocratie.

Le recours au référendum : le péché originel du Brexit?

A priori, la décision du Gouvernement de David Cameron de solliciter les citoyens pour qu’ils expriment leur avis sur un sujet précis est des plus démocratiques. Cette pratique dite de démocratie semi-directe est régulièrement invoquée dans les programmes électoraux afin de démontrer la volonté du ou des candidats de mettre fin à la fracture entre les représentés et leurs représentants. Le raisonnement est de prime abord convaincant, mais le Brexit permet de comprendre que derrière l’argutie séduisante se dissimule une tout autre réalité juridico-politique.

En premier lieu, il est désormais acquis que la campagne référendaire sur le Brexit fut d’une piètre qualité et qu’elle a été manipulée par des puissances étrangères. Les dirigeants politiques favorables au leave ont multiplié les arguments fallacieux, en particulier sur le système de sécurité sociale (NHS).

Quant à leurs opposants, ils n’ont pas su expliquer aux électeurs les aspects positifs du projet européen en se contentant d’énumérer les risques économiques d’un départ de l’Union européenne (le fameux « project fear »). C’est ainsi qu’aucun débat de qualité n’a eu lieu sur le soutien indispensable de l’Union à des régions entières du Royaume-Uni ni sur ses apports considérables au processus de paix en Irlande du Nord.

Souvent simples, les questions posées aux électeurs lors des référendums peuvent, néanmoins, renvoyer à des problématiques complexes qu’il est pratiquement impossible d’exposer clairement aux citoyens. Bien évidemment, la démagogie n’est pas l’apanage des campagnes référendaires, mais l’histoire démontre qu’elles sont fréquemment détournées de leur objet soit au profit du culte d’un individu (le plébiscite), soit en modifiant la substance de la question.

Dans le cadre du Brexit, le débat public maîtrisé par les leavers ne portait pas sur la construction communautaire en tant que telle, mais sur l’accusation proférée à son encontre selon laquelle elle serait entièrement responsable de l’afflux d’immigrés au Royaume-Uni. À cet égard, le cas britannique n’est pas sans rappeler celui de la France lors de la campagne de 2005 qui été censée porter sur le Traité établissant une Constitution pour l’Europe, mais qui a fini par se focaliser sur le pauvre « plombier polonais ».

En second lieu, la votation populaire sur le Brexit ne fut engagée que pour des motifs de tactique politique qui avaient peu à voir avec le désir des gouvernants de confier au peuple son destin. David Cameron a eu l’idée du référendum sur le maintien de son pays au sein de l’Union européenne afin d’attirer les voix des électeurs du parti populiste UKIP (UK Independence Party) et remporter les élections législatives de 2015.

S’il y est parvenu, sa victoire inattendue a emporté l’obligation de respecter sa promesse avec l’issue que nous connaissons. De ce point de vue, la manœuvre de l’ancien Premier ministre ne relève pas des deux cas dans lesquels le recours au référendum est justifié : l’approbation d’une nouvelle Constitution ou l’autodétermination. La sortie du Royaume-Uni ne saurait être assimilée à la seconde hypothèse dans la mesure où, contrairement à ce qu’invoquait le UKIP, le pays n’a jamais perdu sa souveraineté.

En troisième et dernier lieu, les institutions ont commis une grossière erreur dans l’organisation du référendum : ne pas avoir inclus dans le corps électoral les Britanniques qui résidaient depuis plus de quinze ans dans l’un des États membres de l’Union européenne.

Malgré les recours juridictionnels[1], ces deux millions d’électeurs potentiels n’ont pas eu leur mot à dire le 23 juin 2016. Ce raté rappelle que le référendum reste dépendant des modalités qui sont fixées par le pouvoir politique. Il confirme également que le Parlement a manqué de vigilance sur ce point en se contentant de suivre le projet gouvernemental, comme souvent dans les démocraties parlementaires modernes. Le Brexit s’avère d’ailleurs tout à fait révélateur du rejet contemporain de la démocratie parlementaire, phénomène qui doit être selon nous combattu.

Le rejet de la démocratie parlementaire : une apocalypse potentielle du Brexit?

Au Royaume-Uni comme ailleurs, la représentation politique est sous le feu d’une critique nourrie. Les motifs en sont aisément identifiables et justifiés. Suivant un véritable plan de carrière, l’exercice d’un mandat politique apparaît à de nombreux citoyens comme l’apanage d’une caste qui ne poursuit que son intérêt particulier en étant déconnectée des réalités. Outre-Manche, la défiance à l’égard des élus a connu son paroxysme lors du scandale des notes de frais des parlementaires.

La professionnalisation à l’extrême de la vie politique se double, pour les membres des assemblées, d’une relégation institutionnelle par rapport aux exécutifs. La domination des gouvernements, qui s’explique à la fois par la volonté de stabilité et la nécessité d’une action efficace dans un contexte de complexification de l’appareil étatique, a conduit à limiter considérablement le rôle des parlements. Westminster ne fait pas exception ainsi que l’illustre le manque de rigueur qui a présidé à l’adoption de la loi sur le référendum du 23 juin 2016.

Un autre acte du drame du Brexit contribue à évaluer la faiblesse du Parlement : lorsque la Première ministre, Theresa May, a souhaité notifier le retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne au Conseil européen[2] sans solliciter l’autorisation des deux chambres de Westminster. Ce choix n’a pas été contesté par les parlementaires, mais par des particuliers qui ont formé un recours devant les juridictions.

Au terme de la procédure, la Cour suprême leur a donné raison, excluant que le Gouvernement procède à la notification sans l’accord des Lords et des Communes[3]. Ce pouvoir restitué au Parlement a favorisé les débats, mais aucune contrainte substantielle n’en est ressortie. Cet épisode n’aura eu donc qu’un effet dilatoire, alors que nous aurions pu attendre des conséquences plus substantielles pour le Gouvernement.

Au regard de ces occasions manquées, faut-il une fois de plus jeter l’anathème sur le Parlement ? Les événements qui se sont succédé depuis la phase de notification imposent la nuance. Afin que le retrait des Britanniques de l’Union européenne ne se réalise pas dans le désordre, les deux chambres ont dû examiner (et discutent encore) des textes censés donner un nouveau cadre légal au Royaume-Uni post-Brexit. Le plus important d’entre eux est la loi qui a abrogé celle de l’adhésion aux Communautés européennes de 1972. Le EU (Withdrawal) Act qui a reçu le sceau royal le 26 juin 2018 devait être une formalité aux dires de certains.

Cependant, plus de 112 heures de débats auront été nécessaires aux membres des Communes et près de 161 heures aux Lords pour parvenir à l’adoption d’une loi qui aura conduit l’Exécutif à des reculades majeures. La plus connue est l’obligation pour la Première ministre de mettre aux voix le résultat des négociations avec la task force dirigée par Michel Barnier.

Désigné par l’expression « meaningful vote » (vote significatif), l’assentiment des chambres (tant sur le projet de traité de retrait que sur la déclaration politique devant orienter les relations futures entre l’UE et le Royaume-Uni) est aujourd’hui la condition sine qua non de l’aboutissement de discussions qui se sont étalées sur près de deux ans.

Pour résumer la situation, Westminster dispose non seulement du destin du Brexit, mais également de celui de la Première ministre. En effet, en cas de défaite de Theresa May, elle pourrait difficilement prétendre demeurer au 10, Downing Street.

L’excellence des rapports parlementaires produits jusqu’ici, le volume des débats qui se sont déroulés, la rigueur des questions posées à la Première ministre lors des « Question times » et les concessions gouvernementales sont autant de preuves que le Parlement n’est pas l’organe impotent souvent décrit, du moins au Royaume-Uni. Il pourrait résulter du «meaningful vote » un no deal.

Toutefois, un tel résultat ne saurait se voir reprocher un caractère antidémocratique, bien au contraire. Si nous devions comparer la campagne référendaire aux échanges parlementaires sur le Brexit, force est d’admettre que les seconds surpassent la première en qualité.

La démocratie parlementaire, malgré ses carences, ne doit pas être sacrifiée sur l’autel du populisme et de la démagogie. Le respect des prérogatives du Parlement et la valorisation des lieux d’expression des corps intermédiaires représentant les intérêts des citoyens s’avèrent indispensables à la réussite d’une société démocratique. Il est temps de se remémorer l’Histoire qui a montré que les pires pourfendeurs du parlementarisme furent souvent les tyrans les plus abjects.

Aurélien Antoine


[1] Shindler v Chancellor of the Duchy of Lancaster and another UKSC 2016/0105. La procédure se poursuit devant la Cour de Justice de l’Union européenne.

[2] En vertu de l’article 50 du Traité sur l’Union européenne.

[3] Miller v Secretary of State for Exiting the European Union [2017] UKSC 5.

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