Chiens traversant une route de nuit
Auteur de l’article
Jean-Louis Hartenberger, docteur ès sciences, est un paléontologue en voie de fossilisation. Il a travaillé à l’Institut des Sciences de l’Evolution fondé à l’Université de Montpellier par Louis Thaler en 1981. Spécialiste de Rongeurs, il a produit des articles, ouvrages scientifiques et de vulgarisation. Il est cofondateur du Journal of Mammalian Evolution et a écrit quatre livres sur les Mammifères fossiles et actuels ainsi qu’une autobiographie. De Montpellier où il réside, il blogge dans Scilogs (histoire de mammifères) de Pour la Science, le Dinoblog du Musée d’Espéraza et Décodeurs 360.
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Ils meurent par millions


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Les autres victimes de la route

On se souvient que l’un de nos ours des Pyrénées fut victime d’un accident de la route. L’émotion passée, notre pays ne s’est guère préoccupé depuis de la question de l’accidentologie routière animale. Pourtant, c’est par millions que chaque année des animaux périssent d’accidents de la route. Il est vrai que l’on ne s’en aperçoit guère : les cadavres disparaissent rapidement, bouffés par les charognards. Il est donc difficile d’avoir des chiffres précis sur le nombre d’animaux morts à la suite de collisions automobiles.

Par ailleurs, les pays où ces victimes sont comptées et où des mesures de prévention ont été adoptées sont rares. Le nôtre n’en fait pas partie. Sans doute parce que chez nous faune sauvage est synonyme de gibier, nuisible, ou obstacle à la circulation des véhicules. Et souvent il est souligné dans des rapports très officiels que c’est la « surdensité » [sic] des populations sauvages qui est la principale cause de collisions mortelles !

Si des chiffres sont avancés, ce sont les compagnies d’assurances qui les affichent. Quoique peu loquaces sur leurs sources, elles annonçaient 25 000 sinistres de ce type en 2008 et le double quelques années plus tard. Mais aucune documentation précise n’est accessible. À moins que l’on ne montre patte blanche et justifie sa curiosité. C’est ainsi qu’une équipe de l’Office National de la Chasse et du CNRS a eu accès aux données brutes en justifiant sa demande par un contrat répondant à un appel d’offres de l’État français : quelle est la densité dans notre pays du petit peuple des Mustélidés de France, blaireaux, loutres, martes, hermines, belettes et visons ?

L’inventaire hexagonal de ces petits Carnivores a pu être dressé grâce, entre autres, mais pas seulement, aux données d’accidentologie de leurs victimes de la route¹. Faut-il préciser que si l’on s’est intéressé de si près à la démographie de ce petit peuple c’est parce qu’il est l’ennemi déclaré des Nemrod², et ce depuis la nuit des temps. La communauté très influente des chasseurs français prétend que ces petits animaux leurs font une concurrence déloyale ! Et ils ne cessent de réclamer que soient prises des mesures pour éliminer ces « nuisibles ».

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Au bout du compte, à partir des données collectées par 1 800 observateurs assermentés entre 2002 et 2005 qui concernent les 30 000 constats qu’ils ont dressés sur la présence des sept espèces de cette famille, en particulier leurs cadavres sur les bords des routes, des cartes de densité de leur distribution à l’échelle de l’hexagone ont été dressées. Le but sera de suivre sur le long terme l’évolution de leur démographie.

Ne faudrait-il pas déployer la même énergie pour mieux connaître les autres espèces sauvages, en particulier les densités de leurs populations estimées chaque année et d’en suivre l’évolution ? L’exemple précédent devrait ouvrir la voie. Mais il vrai que nos gouvernants préfèrent à ce type de démarche de longue haleine des opérations coups de poing moins onéreuses et plus aisément médiatisées. C’est ainsi que le pays qui a vu naître le Petit Chaperon Rouge reste très attentif aux exploits du Loup. Et il est plus facile et moins coûteux de lui proposer au quotidien une série télé avec un nombre de protagonistes réduit : les prouesses de « la brigade anti loup » !

Heureusement il est d’autres contrées où l’on porte une attention plus soutenue et plus responsable à la biodiversité, et surtout où l’on se donne les moyens de suivre ses hauts et surtout, hélas, ses bas. Ainsi, des écologistes américains ont révélé après enquête qu’aux États-Unis chaque jour sur ses routes périssent environ 1 million de Vertébrés, oiseaux, reptiles, batraciens ou mammifères. Aux Pays-Bas, les chiffres sont plus précis : 159 000 mammifères et 653 000 oiseaux sont tués sur les routes chaque année, et en Bulgarie 7 millions d’oiseaux dans le même temps. La superficie des Pays-Bas est de 45 000 km² avec un réseau routier plus dense que le nôtre. Pour la Bulgarie, elle est de 110 000 km² à comparer à nos 643 000 km² parcourus de très nombreux autoroutes et routes.

Mais l’analyse la plus précise et la plus documentée nous vient d’Outre-Manche : en Grande-Bretagne, pays aussi peuplé que le nôtre et avec un maillage routier comparable, une étude récente permet de juger avec précision de l’ampleur cachée de la mortalité routière chez les animaux³.

D’emblée, les chercheurs se sont rendus compte que les cadavres des accidentés étaient très rapidement dévorés par des charognards de tout type, animaux sauvages ou domestiques. Aussi ont-ils mis en place un protocole circonscrit à une zone réduite : la ville de Cardiff et ses environs. L’enquête longue et minutieuse a consisté à concentrer l’attention sur les espèces de charognards les plus actives : renards, chats, chiens, corvidés, goélands et pies.

En mettant sous surveillance par caméras six zones résidentielles et six autres de stationnement, on a pu constater que dans les 12 heures 76 % des cadavres avaient disparu, rats et souris des villes et des champs effectuant les travaux de finition. Dans le cours d’une journée, l’aube aux doigts de rose est la période la plus active pour ce type de prédateurs. La conséquence la plus directe est l’augmentation démographique significative d’espèces souvent considérées comme de véritables parasites, voire des vermines alors qu’elles contribuent à assainir l’environnement avec efficacité et sans grever les budgets.

Mais la conclusion la plus évidente de l’étude est qu’au final le nombre d’animaux que l’on pourrait qualifier d’accidentés de la route est largement sous-estimé. S’il est des chiffres officiels sur le sujet, ils sont biaisés par tous ces nécrophages qui veillent jour et nuit pour trouver pitance et soustraient aux statistiques cinq à dix fois plus de victimes que celles répertoriées. Car rappelons-le, 24 heures après une collision 89 % des cadavres ont disparu. Mais tout ceci, après tout, ce ne sont que des chiffres qui montrent qu’un sujet de société est sous-évalué. Le fond du problème réside dans la barbarie des conducteurs qui semble ne pas avoir de limite : leurs victimes, ce ne sont que des bêtes, pensent-ils.

L’occasion de ces constats est de prendre la mesure une fois de plus que humains et animaux vivent dans des milieux bien différents, comme l’a souvent souligné Bruno Latour. La rencontre de ces deux mondes est aussi inéluctable que messagère de mort pour l’un et l’autre. Si nous n’arrivons pas à délimiter des domaines réservés pour les deux sociétés, à terme toutes deux périront. L’augmentation exponentielle de l’accidentologie animale dans les 50 dernières années n’est que l’un des présages parmi d’autres de cette Sixième Extinction qui est en marche et nous concerne aussi.

Jean-Louis Hartenberger
Paléontologue spécialiste des mammifères


¹ Calenge C., Chadoeuf J., Giraud C., Huet S., Julliard R., Monestiez P. et al. (2015), « The Spatial Distribution of Mustelidae in France ». PLoS ONE 10 (3) : e0121689. doi:10.1371/journal.pone.0121689

² Un Nemrod est un homme passionné par la chasse, qui tue beaucoup de gibier. Le terme fait  référence à Nemrod, personnage biblique.

³ A. L. M. Schwartz et al. 2018. « Roadkill scavanging in an urban environment ». Journal of Urban Ecology, 2018, 1–7 doi: 10.1093/jue/juy006

Grande-Bretagne : 37 millions de véhicules, 400 000 km de routes, densité 277 habitants/km² ; France : 39 millions, 400 000 km, densité 116 habitants/km².

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