Auteur de l’article
  Pierre Guerlain est professeur émérite à l'université Paris Nanterre. Son champs d'expertise est la politique étrangère des Etats-Unis. Il travaille aussi sur la vie politique américaine et l'observation transculturelle. Il publie des articles sur les Etats-Unis dans divers médias.
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Confiance dans les médias : considérations transatlantiques

Le journal La Croix a publié un article faisant état d’une remontée de la confiance des Français dans les médias traditionnels, mais cette confiance s’établit à un niveau très bas. L’Institut Kantar, qui a réalisé cette étude pour le journal, notait une amélioration de la confiance pour les médias traditionnels (44%) mais une baisse pour Internet (25%). Le quotidien de référence Le Monde titrait « La confiance dans les médias est au plus bas » et a publié un article historique sur « Médias : une haine qui vient de loin ».

Le débat médiatique sur les médias est très souvent biaisé car les médias sont juges et parties dans les conversations ; très souvent la déploration du manque de confiance s’articule autour de certains phénomènes avérés mais périphériques. Ainsi, on peut mentionner la reconnaissance de quelques erreurs superficielles, l’idée que les lecteurs ou spectateurs souhaitent avoir des médias qui ne présentent que leurs idées et que la profession de journaliste a toujours été honnie ou haïe depuis l’origine. L’analyse de la crise de confiance est présentée comme s’il s’agissait d’une détestation du rôle des médias, lesquels se vivent comme l’incarnation d’un contre-pouvoir politique.

Divers types de diagnostics

Pour analyser la crise de confiance, les médias critiquent les réseaux sociaux qui répandraient des rumeurs, fake news ou infox, et seraient souvent la porte d’entrée des complotismes. Enfin dans l’espace médiatique des pays occidentaux, les médias russes, voire qataris, sont accusés de pratiquer la désinformation dans une guerre de l’information qui passe par l’utilisation massive d’infox. Les sites complotistes sur Internet pullulent et il y a bien une guerre de l’information mais celle-ci est mondiale et met aux prises divers médias à l’intérieur de chaque espace médiatique.

Dans le paysage médiatique américain, qui incorpore certains médias britanniques tel le Guardian, les luttes d’influence sont surtout américaines, comme le montre une étude réalisée par trois professeurs de Harvard, Yochai Benkler, Robert Faris et Hal Roberts : Network Propaganda, Manipulation, Disinformation, and Radicalization in American Politics. Il est donc tout à fait exagéré de faire de la chaîne russe RT un danger existentiel pour la démocratie américaine. RT fait de l’information-propagande comme ses homologues occidentaux en privilégiant certains aspects de l’information, en en taisant d’autres et en recourant à des raccourcis voire à des infox.

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La télévision, qui est considérée comme source d’information, est d’abord, quelles que soient les chaînes ou les préférences idéologiques affichées, une « idiot box » comme l’on dit en anglais, une boîte pour les idiots ou faite pour fabriquer des idiots. Les idiots ne sont pas les spectateurs vierges de toute influence mais les spectateurs construits par des années de « société du spectacle » et des heures et des heures de visionnage de la télé, cette étrange lucarne dont le but est de « vendre du temps de cerveau humain disponible » aux annonceurs comme l’avait cyniquement déclaré Patrick Le Lay, le président de TF1, en 2004, car il s’agit pour le téléspectateur de « le divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages ».

On le voit donc la télévision, surtout privée, mais en tout cas celle qui dépend de la publicité, est une entreprise de crétinisation. Elle a réussi au-delà de toute espérance : quiconque croit être informé par la télévision croit à une légende urbaine. La publicité esthétise l’entreprise de crétinisation dont elle est le principal vecteur. La télévision commerciale sert, selon l’expression de Neil Postman, « à nous amuser jusqu’à en mourir ».

Le cynisme de Le Lay consiste à dire une vérité de façon brutale alors qu’habituellement elle est enrobée dans l’art mensonger des public relations. Une grande raison de la défiance, plutôt que de la haine, des médias tient au fait que le mépris social y est fréquent. Ceci affecte surtout les médias audiovisuels dont la définition des missions est fondée sur le mépris des crétins desquels on s’approprie le cerveau.

Aux États-Unis, un autre cynique Les Moonves, président de CBS, avait, en 2016, lui aussi donné la formule du succès de la télé trash (ordure) en évoquant la candidature du candidat Trump, vulgaire et insultant : « [La campagne de Trump] n’est peut-être pas bonne pour l’Amérique mais elle est vachement bonne pour nous ». Bien évidemment, ces médias qui crétinisent leurs publics et s’en vantent, ne peuvent aujourd’hui déplorer l’impact des réseaux sociaux ou des fake news de leurs concurrents car ils ne sont pas des exemples de probité. Ils le font quand même pourtant.

Il est quelque peu hasardeux de parler « des médias » en général car ceux-ci sont divers et les médias audiovisuels diffèrent de la presse écrite et celle-ci se divise elle-même selon la place occupée dans un paysage médiatique complexe. Il est évident que les attentes concernant un quotidien de référence, comme Le Monde en France ou le New York Times aux États-Unis diffèrent de celles qui concernent des journaux d’opinion. On ne lit pas L’Humanité, Libération, Valeurs actuelles ou Mediapart de la même façon. La presse de qualité est celle qui donne le ton et influence d’autres médias. France Culture, par exemple est en quasi-symbiose avec Le Monde, qui par ailleurs inspire les sujets de la télévision. Il est donc légitime d’être plus exigeant avec la presse de référence et les médias de qualité.

Celle-ci se vit comme un modèle. Le New York Times affiche son slogan « the truth is worth it » (« la vérité vaut le coup ») tandis que le Washington Post annonce que « la démocratie meurt dans l’obscurité » (democracy dies in darkness). Autrefois le New York Times disait, en première page « all the news that’s fit to print » (« toutes les infos qui valent le coup d’être imprimées ») suggérant que le journal captait tout ce qui pouvait être significatif.

Néanmoins, derrière cette hubris les médias dominants, en général, n’évoquent pas souvent le problème de leur financement. Ils affirment même parfois que l’identité des propriétaires n’influe pas sur les choix rédactionnels.

Les citations plus haut et les revenus de la publicité rendent cette affirmation peu crédible. Selon le proverbe anglais on dit que « celui qui paie les musiciens choisit la musique ». Le Monde diplomatique a publié un tableau des propriétaires des médias en France sous le titre « Médias français : qui possède quoi ». Aux Etats-Unis, la concentration capitalistique des médias est encore plus marquée. Jeff Bezos, le PDG d’Amazon et l’homme le plus riche du monde, a acheté le Washington Post avec son argent de poche, tandis que Daniel Kretinski, un milliardaire tchèque qui a recours aux paradis fiscaux, a élargi son empire médiatique en prenant une part du capital du Monde. Il n’est donc pas étonnant que les points de vue dominants dans les médias reflètent, le plus souvent, le point de vue des classes dominantes.

Critiques systémiques

Dans la critique superficielle des médias par les médias eux-mêmes, on entend très peu de références à des théoriciens des médias comme Chomsky et Herman. Dans leur ouvrage dont la traduction en français est : La Fabrication du consentement : De la propagande médiatique en démocratie, ils évoquaient cinq filtres de l’information dont l’un d’entre eux était la punition pour les journalistes ne suivant pas la ligne dominante des médias respectables (flak). Ils expliquaient aussi que dans les pays démocratiques la propagande occupe la place de la violence dans les pays dictatoriaux. Nul besoin d’utiliser la violence pour que les journalistes suivent la ligne éditoriale qui est attendue d’eux car pour travailler dans un organe de presse dominant il faut déjà partager les valeurs, croyances et préjugés des dominants.

Récemment, la démission d’un journaliste de NBC, William Arkin, a illustré ces concepts. Dans sa lettre de démission, il déplore le fait que sa chaîne fasse l’apologie du FBI et des interventions militaires, notamment en invitant surtout des va-t-en-guerre comme experts. Une chaîne supposée être de qualité fait de la propagande militariste, comme MSNBC ou CNN, qui se présentent comme progressistes (liberal) mais approuvent toutes les guerres et ne cessent leurs critiques de Trump que lorsque celui-ci bombarde la Syrie ou menace le Venezuela ou l’Iran. Quelle confiance est possible face à un tel biais pro-guerre si l’on ne fait pas partie de ce clan militariste ? Arkin montre que les médias qui se targuent d’être objectifs et d’être le 4e pouvoir opposé au pouvoir politique sont souvent, en fait, des courroies de transmission des pouvoirs économiques ou militaires qui punissent ou poussent au départ celles et ceux qui ne défendent pas les mêmes objectifs.

Il est impossible d’être objectif, ce que beaucoup de journalistes ne semblent pas reconnaître, mais il est possible de respecter une éthique journalistique et d’adopter des pratiques de diversité des points de vue. Il est clair que France Culture, par exemple, y parvient mieux qu’un site partisan ou complotiste. Il n’y a pas de média idéal et les médias alternatifs, qui sont loin d’être tous complotistes, ne sont pas non plus objectifs ou exempts de travers. Ce qui pourrait limiter l’influence des réseaux sociaux ou des organes étrangers comme RT ou Al-Jazira serait une politique de vraie diversité des points de vue dans les journaux de référence dont le spectre des opinions acceptables est relativement étroit.

Enfin dans la grande déploration de l’influence des fake news sur les réseaux sociaux et les médias russes, qui est en partie justifiée, les journalistes oublient souvent que leurs propres organes de presses sont aussi de grands pourvoyeurs d’infox. Récemment le Guardian, réputé de gauche et de grande qualité, a publié un article de son spécialiste de la « collusion avec la Russie », Luke Harding, affirmant que Paul Manafort avait rencontré Julian Assange à l’ambassade équatorienne où il est réfugié. Rencontre fort difficile sinon impossible sans être détecté par les caméras de surveillance et enregistré sur le livre des visiteurs. Il semblerait que la liberté de la presse ne s’applique pas à Assange, un lanceur d’alerte pourchassé.

Les médias qui ont rapporté le fait que la mystérieuse maladie qui semblait n’affecter que les diplomates américains à Cuba était, en fait, causée par le chant amoureux des grillons n’ont pas mentionné que nombre d’entre eux, notamment les chaînes de télévision dites de gauche, avaient vu la main de Moscou derrière cette nouvelle attaque contre la démocratie.

Des solutions existent

Les infox qui sont répandues par des réseaux sociaux ou des médias complotistes sont une réalité que les médias dominants de qualité déconstruisent. Cependant, ces médias sont eux aussi pourvoyeurs d’infox ou les relaient et ils font souvent le choix de ne pas informer sur des sujets importants qui touchent la vie des gens à faible capital socio-économique. Des organismes tels qu’Acrimed en France ou FAIR aux États-Unis produisent une analyse systémique des médias de façon continue et éclairent sur les failles et structures médiatiques en continu. Pour ces organismes, comme pour Chomsky, les structures et le fonctionnement ordinaire du paysage médiatique sont plus importants pour appréhender le problème de la confiance.

Enfin pour sortir du manichéisme fréquent dans l’analyse superficielle des médias qui sépare les bons médias dominants des mauvais réseaux sociaux complotistes, il faut mentionner la qualité de certains sites alternatifs ou médias indépendants. N’oublions pas non plus les médias dominants eux mêmes qui produisent des documentaires ou des analyses de qualité. S’informer est un sport de combat, il faut croiser ses sources dans le paysage médiatique et y trouver la qualité par la comparaison. Un travail chronophage que peu de citoyens peuvent réaliser par manque de temps et donc de cerveau disponible pour l’analyse des médias.

La chaîne Arte, qui a ses biais spécifiques et peu de publicité, produit d’excellents documentaires. Par exemple, un film sur « Trump et le coup d’Etat des multinationales », où des journalistes et intellectuels américains qui ne sont pas souvent vus à la télévision aux États-Unis fournissent une explication du phénomène Trump qui va à l’encontre de celle mise en avant par la chaîne elle-même. Les grands journaux de référence participent à des enquêtes fort utiles comme sur le Panama et l’évasion fiscale. Le New York Times publie aussi parfois des tribunes qui vont à l’encontre de ses biais habituels, par exemple Michelle Alexander sur Israël/Palestine une tribune reprise par de très nombreux sites alternatifs de gauche.

Les médias dominants fournissent ainsi parfois les éléments qui permettent de contextualiser leur propre information. Ils sont donc incontournables, en dépit de leurs nombreux défauts. Par conséquent, il est dangereux et scandaleux de revenir à ce qui était l’accusation des Nazis vis-à-vis de la presse (Lügenpresse, « presse menteuse ») ou de s’en prendre violemment à des individus employés par les médias. L’insulte ne sert pas la cause du pluralisme.

Julia Cagé a publié un petit livre intitulé Sauver les médias : Capitalisme, financement participatif et démocratie, dans lequel elle donne des pistes pour assurer la survie des médias dans les sociétés démocratiques en passant par un financement spécifique : la « société de média à but non lucratif ». Pour assurer la survie des médias de qualité, qui dépendent aujourd’hui de la publicité, donc des puissances d’argent, il faut assurer le pluralisme de l’information en passant par des formes de financement public. La confiance dans les médias passe par leur indépendance et la garantie du pluralisme. L’information fiable est un bien commun comme l’eau et l’air, qui ne devrait pas dépendre des forces d’argent et de la publicité qui les légitiment.

Pierre Guerlain

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