Comme nous l’avons vu dans un premier papier, pour développer la première étape du service national universel, adapter ce qui existe déjà et qui marche peut offrir des options intéressantes, faciles à mettre en œuvre.
Voir la partie I : Le Service National Universel, pour quoi faire ?
L’exemple du brevet d’initiation aéronautique
Pour illustrer ce propos, cet article présente un projet développé par l’armée de l’air, sachant que les autres armées et la gendarmerie ont également mises en œuvre des initiatives similaires, parfois limitées, mais qui, étendues, additionnées et mises en cohérence, peuvent permettre de toucher toute une classe d’âge.
Malgré la suspension du service militaire, les armées ont en effet toujours eu à cœur de poursuivre leur rôle social dans la société française. Ce rôle s’est amoindri, mais le maintien d’un flux de recrutement conséquent, associé à des cursus de carrière variés dont certains sont très courts, continue de faire des armées un creuset d’intégration et de développement des valeurs républicaines.
Au-delà de cette réalité, qui nécessite un engagement volontaire, l’armée de l’air, comme ses homologues, entretient de nombreuses initiatives au profit de la jeunesse.
Elle a ainsi étendu, dès 2014, dans le cadre de son plan stratégique « Unis pour Faire Face », un projet développé au sein de l’école de l’air depuis plusieurs années.
L’idée est simple : aider les jeunes dont les situations personnelles sont difficiles en leur offrant du rêve par l’aéronautique, le rêve qui amène la passion, la passion qui fait accepter la rigueur nécessaire pour maîtriser la troisième dimension, la rigueur qui conduit au travail et finalement à la progression personnelle et à la réussite.
Une équation simple mais qui fonctionne. Elle a été mise en œuvre à l’école de l’air en donnant des résultats qui dépassent les espérances. Il s’agit d’engager les élèves officiers, à Salon de Provence, dans un tutorat permettant la formation de jeunes lycéens issus majoritairement de quartiers difficiles, mais pouvant provenir de tous horizons, au Brevet d’Initiation Aéronautique (BIA). Le BIA est un brevet théorique, articulé en unités de valeur, qui amène à la connaissance de la troisième dimension et incite au rêve d’Icare.
Les jeunes qui s’y engagent y trouvent un accompagnement individualisé de la part des élèves officiers dont la différence d’âge est faible et ils découvrent un monde nouveau. L’apprentissage du brevet s’accompagne de vols d’initiation pour développer l’envie et la compréhension des principes théoriques qui leur sont appris, dont beaucoup relèvent de notions de physique.
Grâce à ce travail, la plupart se prennent au jeu et les résultats obtenus au brevet sont excellents. Mais en travaillant ces brevets, ils découvrent qu’ils peuvent réussir et souvent, sans s’en rendre compte, commencent à progresser dans leur lycée jusqu’à obtenir des résultats que ni leurs professeurs ni leurs familles n’auraient espérés.
Les plus assidus et ceux qui réussissent le mieux se voient offrir une formation complète au pilotage grâce à des accords passés avec des associations locales et la fondation Saint-Exupéry, qui financent les heures de vol et d’instruction. Les témoignages poignants de ces jeunes, qui voient leur vie changer après s’être engagés dans ce projet sont très nombreux.
Par ailleurs, la formation au brevet est labélisée par l’Education nationale et l’école de l’air est accréditée pour former les instructeurs. Au vu de la réussite du projet, de nombreux professeurs de l’éducation nationale se sont spontanément montrés volontaires pour effectuer leur formation à Salon de Provence, afin de dispenser ensuite les cours dans leur propre établissement scolaire.
Pour donner une dimension sociale à la transformation de l’armée de l’air « Unis pour Faire face », il a été décidé d’élargir le projet à toute l’armée de l’air. Le but social n’est pas le seul moteur de cette décision. A Salon de Provence, cette initiative est aussi un projet de formation au leadership par l’engagement.
Les élèves officiers instructeurs du BIA gèrent complètement le projet, y compris dans ses aspects financiers et pour le développement des partenariats extérieurs. Ils se voient attribuer des crédits au profit de leur cursus académique, en accord avec la commission de titres d’ingénieur. Ce faisant, ils développent leur capacité à gérer un projet et consolident leur leadership sur de jeunes issus de milieux très variés.
Pour élargir le projet, l’armée de l’air a décidé de l’élargir à toutes les bases aériennes en impliquant ses jeunes cadres, officiers et sous-officiers. Pour atteindre cette ambition, elle a associé, non pas les lycées locaux au cas par cas, mais l’Education nationale.
Le projet a été très bien accueilli, en 2014, par la direction générale de l’enseignement scolaire et a été concrétisé par une convention demandant à tous les commandants de base aérienne et aux recteurs de s’engager à leur niveau sur le projet. La direction générale de l’aviation civile y a aussi été associée afin notamment de mieux impliquer le monde aéronautique des aéroclubs.
Plutôt que de l’imposer, l’armée de l’air a préféré lancer une grande campagne de conviction des aviateurs sur les bases aériennes en présentant l’importance du projet pour leur propre formation et pour la France. Et cela a très bien fonctionné. Les bases se sont mobilisées, malgré leur engagement opérationnel intense.
Les jeunes cadres engagés dans le projet doivent le développer eux-mêmes et trouver localement les arrangements avec les représentants locaux des ministères associés et les collectivités locales. Ils sont encouragés à rechercher des partenariats locaux pour financer les vols.
Les témoignages d’aviateurs engagés dans ce programme sur leur base aérienne sont très positifs alors que l’imposer aurait été plus problématique. Ils en démontrent tous le succès, tant vis-à-vis des jeunes formés que pour eux-mêmes.
A titre d’exemple, un témoignage insistait sur le fait que le projet BIA sur la base aérienne impliquait des aviateurs de tous rangs et de toutes les unités, créant ainsi un véhicule pour le dialogue interne à un niveau que personne n’aurait imaginé.
Le projet BIA n’est pas le seul succès enregistré par l’armée de l’air dans sa volonté d’aider la jeunesse. Il ne s’agit pas ici de recruter mais bien d’une approche gagnant-gagnant ayant pour objectif d’aider des jeunes à affronter l’avenir tout en développant le leadership des jeunes cadres militaires.
Il est tout à fait possible de rendre le projet plus ambitieux, dans le cadre du SNU, avec le soutien des autorités nationales. Quelques effectifs supplémentaires et surtout un financement adapté permettraient de multiplier le nombre de jeunes concernés. S’appuyer sur les initiatives existantes qui marchent en les soutenant est certainement la démarche la plus simple pour faire adhérer les jeunes au SNU. Le projet BIA associe de nombreuses autres organisations et un acteur clé en est l’éducation nationale.
C’est la création de tels écosystèmes qui conditionne la réussite en s’appuyant sur des structures locales et déconcentrées. La multiplication des vols soutiendrait aussi l’activité des aéroclubs et favoriserait l’implication de la jeunesse dans l’aéronautique et les sciences, un secteur qui continue de rencontrer de récurrents problèmes de recrutement. Et le projet pourrait aussi être plus ambitieux et associer des jeunes des sphères civiles et militaires, dans un but de mixité des compétences et de mixité sociale en cohérence avec les objectifs de la première étape du SNU.
Comme autre exemple d’initiative réussie, l’armée de l’air s’est également associée à un lycée technique de la région parisienne au bord de l’implosion, suite à une rencontre. Deux sous-officiers aviateurs ont prêté leurs compétences au lycée pour aider la direction à trouver des solutions innovantes afin de sauver l’établissement en crise.
Rapidement, utilisant les mêmes formules que le BIA, respect des jeunes, fermeté de l’encadrement mais surtout épanouissement par le développement d’un réel projet, ils sont parvenus à obtenir des résultats inespérés. Ils ont passé un accord avec le musée de l’air et de l’espace du Bourget, situé à proximité et ont fait travailler les jeunes sur la rénovation des matériels de l’établissement. La magie de la passion a opéré là encore. L’ordre a été rétabli très vite. Le lycée s’est aussi rapidement lancé dans le projet BIA et connaît un dynamisme inimaginable il y a quelques années à peine.
Le manque de moyens n’a pas permis de généraliser ce projet à d’autres régions profitant des bases aériennes réparties sur le territoire national. Mais ce serait possible en tissant des écosystèmes locaux associant aéroclubs, musées, etc., avec l’ambition d’en faire aussi un moteur du développement du leadership pour les jeunes cadres militaires et civils dans cette perspective plus vaste de service au profit de la nation.
L’engagement du personnel dans ces projets n’a pas été pas une perte de temps. Les aviateurs y ont trouvé une motivation renouvelée, une formation au leadership et une reconnaissance forte, autant de facteurs qui soutiennent leur développement personnel et professionnel.
Il est possible que les jeunes plus âgés, civils et militaires, poursuivent ainsi le SNU en encadrant les plus jeunes engagés dans la première étape. Ce développement assurerait la cohérence entre les différentes étapes du SNU et permettrait toutes les formes de partenariat avec notamment des professeurs mais aussi des éducateurs ou des membres d’association dans un souci de large cohésion nationale.
Il convient ici d’insister à nouveau sur le fait que les autres forces armées, terre, marine et gendarmerie ont des programmes similaires. La totalité des initiatives pourrait permettre de toucher toute une classe d’âge pour un coût total faible.
Les autres étapes du SNU
En parallèle, et c’est le deuxième volet du SNU, il serait possible de profiter de cette première période pour aborder les questions liées aux trois piliers du développement durable. Les activités terrestres, maritimes ou aériennes s’y prêtent bien par un programme adapté.
Les équipes constituées pourraient en parallèle développer leur engagement pour une cause plus large qui encouragerait la création de projets (qui pourraient associer des petites ou grosses entreprises en engageant leurs ressources humaines les plus créatives et les plus jeunes) et culminerait par une présentation, en groupe constitué, de type « grand oral » qui compterait pour le baccalauréat pour les plus jeunes et offrirait des crédits universitaires pour les plus âgés.
Les entreprises qui s’y engagent pourraient aussi être valorisées. Ce serait une façon originale d’amener une large diversité vers un engagement plus fort sur les grandes causes de l’environnement en promouvant l’innovation.
Comme cela a été présenté, le troisième volet du SNU serait conduit alors que les jeunes entrent dans une phase adulte où ce serait leur tour d’encadrer les projets des phases 1 et 2 au profit de plus jeunes. Ils y restitueraient ce qu’ils ont juste appris dans une démarche vertueuse d’apprenti qui devient tuteur et développeraient ainsi leur leadership tout en poursuivant leur engagement.
Ce serait aussi un moyen, pour ceux engagés dans des études universitaires, de « rendre à l’Etat » une partie de l’effort consenti par la nation. On peut imaginer pour les plus investis, l’octroi de bourses. L’idée est de rendre les jeunes adultes qui ont bénéficié des deux premières phases du SNU rapidement responsables eux-mêmes. Leur différence d’âge peu importante avec ceux qu’ils encadreraient serait un atout.
Toutes les formes de flexibilité sont possibles comme associer des personnes âgées ou des bénévoles de tous horizons qui souhaiteraient continuer, après la troisième phase du SNU, à donner un peu de leur temps à la nation.
Ces trois volets formeraient les bases du SNU qui ne requerrait pas forcément de réel hébergement commun sauf éventuellement au travers de périodes bloquées liées à des projets particuliers. Dans ce cas, il pourrait être possible de profiter du SNU pour redynamiser des régions qui ont particulièrement souffert du départ d’unités militaires lors des restructurations qui ont touché la défense dans les 10 dernières années. La population locale y serait très sensible et l’accueil serait certainement excellent.
Conclusion
Le SNU n’est pas le service militaire. Il ne doit pas non plus être conduit lors d’une période bloquée fixe mais au contraire s’étaler de façon à créer l’adhésion indispensable à la réussite de l’initiative.
Les trois volets proposés ne demandent pas d’investissement massif et s’appuient sur des projets existants qu’il faudra cependant soutenir par des ressources humaines et financières adaptées. Le principe repose sur les membres du SNU eux-mêmes.
Le rôle des armées y est clé mais avec le principe d’y impliquer de jeunes militaires qui ont reçu eux-mêmes au lycée la même formation avant d’intégrer les armées et consolident leur leadership aux côtés d’autres jeunes du même âge. Il assure ainsi une bonne cohérence entre mondes civil et militaire.
L’implication de l’Education nationale y est très importante et de nombreux autres acteurs peuvent y être associés. Il serait d’ailleurs souhaitable de laisser une certaine flexibilité aux acteurs dans le cadre de projets labellisés SNU mais qui pourraient être divers et encourager largement l’esprit d’initiative.
Le succès de ce SNU d’ampleur nationale dépend de la qualité des écosystèmes qui seront déployés et de la différentiation entre la gouvernance (ce qui est exigé par directives de l’Etat pour les jeunes dans les différentes phases) et le management (la conduite des projets qui doit rester déconcentrée, flexible et personnalisée pour favoriser l’esprit d’initiative et l’engagement).
Voir la partie I : Le Service National Universel, pour quoi faire ?
Général Denis Mercier