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Parallèlement à son cursus universitaire en Sciences politiques et Relations internationales, Alexandra a renforcé sa rigueur analytique en travaillant pour le ministère des Armées. Passionnée par l’Océan, l’Orient et l’Histoire, elle s’évade au gré des expositions parisiennes et des livres chinés deçà-delà. Dès qu’elle le peut, elle voyage en quête de nouvelles cultures, de grands espaces et de sites de plongée insolites : autant de sources d’inspiration pour ses articles.
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Quand le Conseil constitutionnel dépénalisait le harcèlement sexuel


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Le droit est-il moral ?

C’était il y a tout juste dix ans. Un homme accusé de harcèlement sexuel eut recours à un moyen inédit pour se tirer d’affaire et l’article du Code pénal sanctionnant le harcèlement sexuel fut abrogé par la plus haute autorité judiciaire française…

C’est l’histoire d’une « bévue législative », d’un avocat un peu machiavélique et d’une formidable opportunité juridique. Une histoire du droit en trois actes, cinq ans avant le phénomène international #MeToo.

Pourquoi le Conseil constitutionnel est-il intervenu dans une affaire de harcèlement sexuel ?
Comment expliquer la dépénalisation du délit de harcèlement sexuel ?

Acte I : la démocratisation du recours au Conseil constitutionnel

Chargé de veiller au respect de la Constitution de 1958 et d’autres textes fondamentaux depuis 1971, le Conseil constitutionnel ne pouvait originellement être saisi que par un nombre extrêmement limité de personnes : le Président de la République, le Premier ministre, le président de l’Assemblée nationale et le président du Sénat. Néanmoins, compte tenu du phénomène de « fait majoritaire » qui caractérise notre Ve République, la saisine de cet organe de contrôle échappait largement à l’opposition ; et on n’imagine guère un membre du Parti majoritaire dénoncer une loi votée par son propre Parti…

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En effet, l’objet du contrôle constitutionnel n’est autre que la loi, qui peut être examinée par les Sages entre son adoption par le Parlement et sa promulgation par décret de l’Exécutif. Le but de la manœuvre ? Prévenir la « tyrannie de la majorité » en s’assurant que les parlementaires ne profitent pas de leur position de force pour enfreindre des principes fondamentaux. La réforme constitutionnelle du 29 octobre 1974 desserra la mainmise de la majorité sur le Conseil constitutionnel en élargissant sa saisine à au moins soixante députés ou soixante sénateurs.

Le « fait majoritaire » n’en demeurait pas moins présent. Or, si l’opposition n’atteint pas soixante parlementaires, comment protéger le citoyen d’un abus potentiel ? Il fallait regarder outre-Atlantique pour solutionner ce dilemme. Car aux États-Unis, l’année qui marqua pour nous la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen vit la création de la Cour suprême : la première cour constitutionnelle du monde. Et s’il fallut attendre 1958 pour que nous créassions la nôtre, on était encore bien loin du modèle démocratique américain. Peu confiants dans leurs représentants, dont ils craignaient les dérives autoritaires, les colons de la première heure décidèrent de donner aux citoyens eux-mêmes le moyen de contester une loi au moment de son application. La loi ne fait donc pas l’objet d’un contrôle a priori comme c’est le cas en France ; en revanche tout citoyen américain peut recourir à la Cour suprême lors d’un procès s’il s’estime jugé en vertu d’une loi contraire à la Constitution.

Plus de deux siècles après nos homologues américains, nous avons à notre tour instauré un contrôle a posteriori en créant un outil appelé la « question prioritaire de constitutionalité » (QPC). Avec l’introduction de l’article 61-1, la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 permet ainsi à tout justiciable de mettre en doute la constitutionalité d’une loi qui lui est opposée pendant un procès si celle-ci n’a pas déjà fait l’objet d’un contrôle constitutionnel. Cette réforme entra en vigueur le 1er mars 2010. Naguère absent des débats législatifs puisque seulement représenté, le citoyen peut désormais bénéficier d’un recours direct pour s’élever contre les abus du législateur.

Acte II : L’abrogation d’un délit

Retour sur Monsieur Gérard D., inculpé pour des faits de harcèlement sexuel, et son brillant avocat. Le défenseur examine l’article 222-33 du Code pénal, en vertu duquel on risque de condamner son client…

« Le fait de harceler autrui en usant d’ordres, de menaces ou de contraintes, dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle, par une personne abusant de l’autorité que lui confère ses fonctions est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. »

Autrement dit, le harcèlement sexuel est « le fait de harceler autrui dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle »… Le Petit Robert aurait pu faire nettement mieux ! Comment qualifier des faits de « harcèlement sexuel » avec une définition pareille ? Ni une ni deux, l’avocat dépose une QPC pour demander aux Sages de vérifier si cet article 222-33 n’est pas contraire aux dispositions de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, à l’article 34 de la Constitution ainsi qu’au principe de légalité des délits et des peines, en raison de son imprécision.

La sentence du Conseil constitutionnel est sans appel :

« en punissant « le fait de harceler autrui dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle » sans définir précisément les éléments constitutifs de ce délit, la disposition contestée méconnaît le principe de légalité des délits et des peines ainsi que les principes de clarté et de précision de la loi, de prévisibilité juridique et de sécurité juridique »

Considérant n°2 de la Décision n° 2012-240 QPC du 4 mai 2012

« […] il résulte de ce qui précède que l’article 222-33 du code pénal permet que le délit de harcèlement sexuel soit punissable sans que les éléments constitutifs de l’infraction soient suffisamment définis ; qu’ainsi, ces dispositions méconnaissent le principe de légalité des délits et des peines et doivent être déclarées contraires à la Constitution » 

Considérant n°5 de la Décision n° 2012-240 QPC du 4 mai 2012

Ce principe capital de légalité des délits et des peines se résume par l’adage latin nullum crimen, nulla poena sine lege. En clair, « [il n’y a] aucun crime, aucune peine, sans loi ». Le juge ne peut inventer une infraction ou l’étendre, pas plus qu’il ne peut qualifier des faits en délit si celui-ci ne fait pas l’objet d’une définition légale claire. Par extension, ce principe implique l’impossibilité de poursuivre et condamner un individu pour des faits commis avant la promulgation d’une loi qui les sanctionnerait. C’est ce qu’on appelle la « non-rétroactivité du droit ». Et cela explique ce qui va suivre :

« l’abrogation de l’article 222-33 du code pénal prend effet à compter de la publication de la présente décision ; qu’elle est applicable à toutes les affaires non jugées définitivement à cette date »

Considérant n°7 de la Décision n° 2012-240 QPC du 4 mai 2012

L’abrogation de cet article est immédiate. En d’autres termes, le délit de harcèlement sexuel cesse d’exister tant que le législateur n’aura pas voter une nouvelle loi qui le définira correctement. Compte tenu de l’urgence, cette loi est votée deux mois après :

Art. 222-33 I. — Le harcèlement sexuel est le fait d’imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou comportements à connotation sexuelle1 qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante.

Loi no 2012-954 du 6 août 2012

Mais le mal est fait : toutes les personnes victimes de harcèlement sexuel avant le 6 août 2012 ne pourront jamais obtenir justice, à moins de parvenir à requalifier les actes qu’elles ont subis (harcèlement moral ou violences volontaires, par exemple). De son côté, Gérard ne pourra plus jamais être poursuivi pour ces faits – sauf s’il recommence…

Acte III : Le triomphe de la procédure

En prenant cette décision, les Sages savaient très bien ce qu’ils faisaient ; ils savaient qu’ils allaient priver de nombreuses victimes de reconnaissance et de dommages-intérêts. Du point de vue éthique, il aurait sans doute été préférable de faire comme si tout le monde comprenait ce que « harceler » signifiait. Le droit et la morale sont cependant deux choses bien distinctes. D’essence instrumentale, le droit n’est qu’un outil dont on peut se servir à bon ou mauvais escient, légalité n’impliquant pas nécessairement légitimité. En témoigne l’arrêt Plessy v. Fergusson de la Cour suprême (qui établit la ségrégation aux États-Unis), acceptable du point de vue légal, condamnable du point de vue moral.

Ici, le vice procédural l’a emporté sur la gravité du délit. Le droit pénal regorge d’exemples où les pièces à conviction constituent autant de preuves invalidées pour cause de non respect de la procédure. Idem en droit du travail. Ainsi un directeur de supermarché licencie un employé qu’il a filmé en train de voler et se trouve poursuivi au motif qu’il n’avait pas averti le voleur de la présence de caméras (violation de l’art.  L432-2-1 du Code du Travail alors en vigueur)… À l’issue d’un pourvoi en cassation, le chef d’entreprise est finalement condamné à verser des dommages-intérêts à l’employé qui l’a volé, tandis que le vol est réputé ne pas avoir eu lieu dans la mesure où la preuve vidéo est jugée irrecevable2.

« Dans les tribunaux, ce qui prévaut, c’est la loi, non la justice. L’éloquence, plus que la vérité. Les preuves, plus que les faits. »

La Vieille sirène, José Luis Sampedro (1990)

Cet ultra-formalisme peut entraîner une défiance à l’égard du droit, dont on estime parfois qu’il protège davantage les prévenus que les victimes. La raison d’être de ce formalisme, c’est la lutte contre l’arbitraire. Si la Magna Carta (1215) assurait à tout citoyen un procès équitable pour encadrer la puissance du souverain et prévenir les emprisonnements discrétionnaires, les procédures contemporaines nous protègent des éventuels excès de pouvoir de ceux qui concourent à l’application du droit. Sans procédure légale, rien n’empêcherait les enquêteurs d’enfreindre les droits fondamentaux d’un citoyen pour établir sa culpabilité. Or, même celui que l’on soupçonne d’être l’auteur d’un crime abominable demeure présumé innocent jusqu’à preuve du contraire.

Le droit est-il moral ? Probablement pas davantage que le capitalisme3 ! Au fond, le droit n’est jamais que le produit contingent d’un rapport de force contingent. Avant 1992, aucune loi française ne mentionnait le délit de « harcèlement sexuel », tandis que le « viol conjugal » ne fit l’objet d’une interdiction légale qu’en 20064 ! En 1810, le droit français consacrait sans vergogne le « devoir conjugal » tandis qu’en 1896 le droit américain entérinait la ségrégation au nom de la Constitution… Si le droit peut constituer un rempart contre l’arbitraire, il ne réprime pas forcément la bêtise humaine. Le moteur du droit demeure la politique. Et qu’est-ce que la politique, si ce n’est une arène où des adversaire désarmés (en démocratie du moins) s’affrontent pour le pouvoir… ?

En définitive, le seul principe auquel le droit donnera toujours rigoureusement raison tient dans le fameux adage de nos juristes : dura lex sed lex (« la loi est dure mais c’est la loi »).

Alexandra Nicolas


1. L’article 222-33 du Code pénal a été modifié en 2018 afin de préciser qu’il peut s’agir de propos ou comportements à connotation sexuelle « ou sexiste » (L. no 2018-703 du 3 août 2018, art. 11).

2. Voir l’affaire X contre société Continent France groupe Carrefour, Cour de Cassation, chambre sociale, 7 juin 2006.

3. Clin d’œil à la formule du philosophe André Comte-Sponville, auteur de l’ouvrage Le capitalisme est-il moral ? sur quelques ridicules et tyrannies de notre temps (2004).

4. C’est en 1990 que les tribunaux français reconnaissent pour la première fois la possibilité d’un viol entre époux (Cour de cassation, Chambre criminelle, 5 septembre 1990, n° 90-83786). Néanmoins, il fallut attendre 2006 pour que le législateur interdise explicitement le viol conjugal. La loi n°2006-399 du 4 avril 2006 en fait même une circonstance aggravante, entraînant vingt ans de réclusion criminelle au lieu de quinze (art. 222-24, alinéa 11 : « Lorsqu’il est commis par le conjoint ou le concubin de la victime ou le partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité. »). Cette disposition entra en vigueur dès le 5 avril 2006. Cela dit, cette même loi introduisit une présomption de consentement à l’acte sexuel entre époux (art. 222-22, alinéa 2 : « Le viol et les autres agressions sexuelles sont constituées lorsqu’ils ont été imposés à la victime dans les circonstances prévues par la présente section, quelle que soit la nature des relations existant entre l’agresseur et sa victime, y compris s’ils sont unis par les liens du mariage. Dans ce cas, la présomption de consentement des époux à l’acte sexuel ne vaut que jusqu’à preuve du contraire. »). Ce n’est que depuis la loi n°2021-478 du 21 avril 2021 que cette présomption a disparu de notre Code pénal.

Guerre et paix en Ukraine

« Il faut parler avec le diable » Comme pour mon précédent article, je souhaite partir d’une condamnation sans équivoque de l’invasion russe, illégale, meurtrière et dévastatrice. La guerre choisie en dernier ressort par Vladimir Poutine fait, comme presque toutes les guerres des victimes innocentes qu’il aurait été possible d’éviter. L’agression russe,…

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