Dans les années à venir, il ne fait pas de doute que dans tous les pays développés, le risque pour les promeneurs de croiser la route d’un grand Carnivore, ours, couguar, loup, coyote ou autre va aller croissant. Il ne fait pas de doute aussi que chaque incident, qu’il soit suivi ou non d’une agression, sera monté en épingle et dramatisé par les médias, et en retour provoquera des peurs surdimensionnées vis-à-vis du danger encouru.
Aussi faut-il s’y préparer car c’est la rançon de ce plus de Nature auquel tous nous aspirons et qui est aussi souhaité que nécessaire à notre survie. Une étude récente quantifie et analyse les conditions des attaques récentes de Carnivores relevés dans les pays où des données et études sont disponibles¹.
Cette synthèse très documentée rappelle d’emblée que le nombre d’attaques s’est multiplié dans les dernières décades et que cette augmentation est liée, en particulier aux Etats-Unis, à celle de la fréquentation par des promeneurs des zones de vie sauvage (courbe rouge).
Pour autant, il faut raison garder, car si l’on prend en compte le fait que cette région est à la fois vaste et peuplée, pour la décade 2005-2014, le nombre d’attaques de la part des cinq carnivores de son territoire (coyote, loup, couguar, ours noir et grizzli) ne dépasse pas 140 pour un total de visiteurs dans les parcs naturels et autres forêts estimé à un peu plus de 80 millions.
Sur le même schéma, outre des statistiques qui concernent le Canada et l’ours blanc, celles qui concernent l’ours brun en Europe révèlent que dans la même décade celui-ci a à son actif une trentaine d’attaques, presque toutes survenues dans les Carpates. Elles sont donc peu nombreuses en regard de celles répertoriées en Amérique du Nord, tant il vrai que deux espèces d’ursidés au lieu d’une en sont les acteurs, le grizzli et l’ours noir, et que l’ours brun d’Europe est considéré moins vindicatif que ceux d’Amérique.
Mais à pays neuf, réflexe collectif à l’endroit de la Nature différent : en Amérique, ce risque est assumé, alors qu’en Europe on le considère insupportable, voire inhumain au sens premier.
Pour le loup, , Wikipédia répertorie tous les incidents et accidents survenus depuis le début du siècle en Europe et en Asie, et grâce à l’ouvrage de J.-M. Moriceau, on sait qu’en France la dernière attaque d’un loup sur des hommes remonte à 1918². Mais il est probable qu’avec le retour de l’espèce sur notre territoire, il faille s’attendre à ce que surviennent des agressions sur des humains, et en cela l’expérience qui nous vient d’outre-Atlantique doit nous aider à nous y préparer.
Se fondant sur l’analyse des conditions de 700 attaques bien documentées en Amérique et en Eurasie, les mêmes auteurs mettent en évidence que la plupart se sont produites durant la période estivale, c’est-à-dire, et pour caricaturer, lorsque « les rats des villes » au moment des vacances vont à la rencontre des « rats des champs » sans rien connaître ni de leurs mœurs ni de leurs règles de vie. C’est aussi parce que c’est le temps où les Carnivores sont les plus actifs car ils doivent faire des réserves en vue d’affronter les rigueurs des saisons qui suivent.
Aussi, en premier lieu, il faut inculquer aux citadins qui souhaitent prendre un « bain de nature » qu’ils débarquent dans un milieu policé et qui a ses règles. Lorsqu’un être humain déambule sur les territoires de chasse des grands ou petits carnivores de l’écosystème qu’il foule, il doit avoir conscience qu’il n’est pas le bienvenu, et qu’il est considéré au minimum comme un concurrent qu’il faut écarter, voire une proie. Chaque prédateur a un droit de chasse et de poursuite dans le domaine qu’il s’est taillé, et sa survie dépend de ses capacités à exploiter le réservoir de proies qu’il renferme.
Une autre étude est éclairante sur les conduites et comportements à éviter lorsqu’on est dans une zone dont on sait qu’elle est fréquentée par des carnivores. Elle répertorie et classe quels furent les agresseurs de 271 attaques, et quelles furent leurs victimes.
On s’aperçoit que les couguars (90 % des attaques), ours noirs et coyotes sont les plus agressifs. Mais aussi qu’ils choisissent leurs proies avant d’attaquer : leurs victimes de prédilection sont les enfants isolés, non accompagnés (47,3 %), c’est-à-dire près de la moitié des accidentés ! En second viennent les promeneurs accompagnés de chiens. En troisième, les accidents sont perpétrés par des animaux blessés à la chasse et donc poursuivis ; et pour le reste ils se sont produit au crépuscule ou en essayant d’approcher une mère avec ses petits.
Cette typologie de l’accidentologie animale est éclairante bien sûr sur les comportements à éviter lorsqu’on pénètre sur le domaine de chasse des carnivores : un minimum de vigilance s’impose, et il faut avant tout ne pas laisser s’éloigner les enfants.
Pour autant, il ne faut pas perdre de vue que des milliers de rencontres carnivores-humains ont lieu chaque année sans que n’advienne le moindre incident.
Il est un chiffre qu’il ne faut pas oublier : dans la dernière décade, même si le nombre d’attaques a augmenté, la moyenne à l’échelle du continent nord-américain est de 24,1 par an avec 3,9 décès. Ce qui veut dire que dans notre pays, avec une augmentation significative du nombre de carnivores, ours et loup, celui d’incidents à déplorer de leur part ne dépasserait pas la dizaine par an.
Par comparaison en France, depuis le début de l’an 2000, on compte en moyenne 25 accidents de chasse mortels par an, et 120 à 175 ayant pour conséquence des blessures plus ou moins graves. Quant aux noyades, en 2018 on a à déplorer dans notre pays à cette heure 255 victimes, et 20% de ces accidents se sont produits dans des piscines privées.
D’autres activités de nature se révèlent très meurtrières, en particulier celles exercées en montagne. Au début de l’été on annonçait déjà 21 décès, et bien d’autres sont survenus depuis. Les professionnels de la montagne estiment que cette augmentation des accidents est la conséquence de la sur-fréquentation et de l’inexpérience de ceux qui se lancent dans des escalades, font du canyoning, du ski hors-piste, ou tout simplement se promènent sans s’être renseignés sur la météo du jour, et ne savent pas lire une carte ou suivre les informations d’un GPS.
Pour autant, il existe un consensus dans notre société qui fait que ces risques, fussent-ils mortels, sont acceptés, et même d’une certaine façon assumés puisque l’on peut contracter des assurances pour les « prévenir ». Il n’empêche que dans bien des cas, en particulier le secours en montagne, les coûts engagés dans les opérations de sauvetage, sont loin d’être couverts par les assurés, et c’est donc l’Etat qui les prend en charge.
Ainsi, dans la perspective d’une augmentation prévisible des grands carnivores dans notre pays, il importe d’organiser des campagnes de prévention et d’information pour le grand public, et ressasser que le risque encouru de subir une agression restera minime. Il faut aussi compter sur les gardes forestiers et autres professionnels de la nature pour délivrer informations et conseils aux promeneurs à proximité des principaux parcs naturels et lieux de détente les plus visités.
Et souhaiter qu’en période estivale, où justement risquent de se produire des rencontres inopportunes – et qui est aussi celle où ils sont à cours d’idées –, les médias ne fassent pas du moindre fait divers un « sujet de société ».
Jean-Louis Hartenberger
¹ Vincenzo Penteriani. 2016. Human behaviour can trigger large carnivore attacks in developed countries. Nature, Scientific Reports, | 6:20552 | DOI: 10.1038/srep20552
² J.-M. Moriceau. 2008. Histoire du méchant loup : 10 000 attaques sur l’homme en France XVème-XXème siècle. Fayard.