Voilà une de ces affaires dont les médias raffolent, au point d’éclipser la Nuit Blanche : l’auto-destruction d’un tableau de Banksy, à l’issue de sa vente chez Sotheby’s à Londres. « La petite fille avec un ballon rouge » (une reproduction d’un graff en peinture acrylique et aérosol) a glissé à l’intérieur de son cadre, découpée en lambeaux par une déchiqueteuse cachée dans la moulure inférieure. Stupeur et tremblement du public ; coup de maître ou coup de pub ?
Banksy, graffeur et peintre de Bristol, garde son identité jalousement secrète. Il doit cependant, d’après les observateurs, disposer d’une équipe capable d’œuvrer aux 4 coins des rues du globe, grâce à ses pochoirs. Mais on découvre que sa troupe doit s’élargir à Sotheby’s. Comment imaginer qu’une des plus grandes salles des ventes n’ait pas examiné une œuvre appelée à une enchère record (1,042 million de livres, soit près de 1,2 million d’euros !) ?
Sotheby’s, qui a déclaré « s’être fait banksée », ne s’est donc pas aperçu qu’il y avait une fente au bas d’un cadre, dont le poids était inégalement réparti, suite au mécanisme caché à l’intérieur ? Soit Sotheby’s est incompétente, soit elle est complice.
Banksy a revendiqué le truquage de l’œuvre, il y a des années : ah, s’il pouvait nous donner la marque de ses piles super endurantes ! Un complice (Bansky n’a peut-être pas pris le risque d’être présent) a pu déclencher le piège par télécommande, et d’autres filmer, mais si on pose que Sotheby’s est de mèche, il y a fort à parier que l’acheteur est aussi un comparse ! Sinon Sotheby’s aurait trompé un client.
On voit l’avantage du montage : l’acheteur fait monter les prix de manière vertigineuse jusqu’à une cote record pour l’artiste, mais l’opération sera blanche car l’acquéreur peut refuser, in fine, une œuvre détériorée… Sotheby’s et Banksy s’offrent un coup de com planétaire sans grands risques.
Bansky, très présent sur le net, a justifié son acte par cette citation “The urge to destroy is also a creative urge”. Autrement dit, il invoque un truisme de l’Art contemporain : la destruction est aussi une forme de création. La phrase est attribuée à Picasso, mais elle viendrait de l’anarchiste Bakounine.
Les œuvres de Banksy sont souvent vandalisées, ce qui provoque l’apitoiement des bonnes âmes, or voilà la victime qui s’auto-vandalise ! En réalité, l’œuvre a changé de statut : de peinture, elle est devenue « performance », par le biais d’une « installation » cachée en ces flancs, le tout filmé en « vidéo ». Bref, elle cumule les principaux genres chéris de l’Art contemporain. On ne s’étonnera donc pas qu’il se dise que le prix de l’œuvre a, au moins, déjà doublé ! Ne serait-il pas naïf de croire que Banksy est victime d’un système qui réussit à recycler et intégrer ce qui est présenté comme « une critique radicale du système » ?
Les thuriféraires crient au génie d’un Banksy « piégeant une grande maison de vente » avec « une œuvre révélatrice d’un monde auto-destructeur… » ; « la plupart de ses performances sont une satire du marché de l’art, dont il dénonce la marchandisation. »
Alors, Banksy pratique ce qu’il dénonce, comme n’importe quel artiste d’art contemporain. Le rebelle du système passe à la caisse. A vous de choisir, entre un artiste, Robin des rues, « virtuose d’art urbain ironique et engagé » ou un Banksy rebelle en peau de lapin, profiteur des grandes questions du temps : sa petite fille à la mine chagrin, peinte « courageusement », en 2018, à la porte du Bataclan, n’est-elle pas, à la lumière des récents événements, à rapprocher de l’indécent bouquet de Koons ?
Mais déjà, Christie’s, la concurrente de Sotheby’s, annonce un nouveau « coup »… A suivre.
Christine Sourgins