Dix jours après l’attentat terroriste à la mosquée de Christchurch, qui a fait des dizaines de morts parmi les fidèles réunis pour la prière rituelle du vendredi, l’islam semble plus que jamais une religion mal comprise et stigmatisée. En Nouvelle-Zélande comme en France, l’islam est souvent réduit à une succession de clichés et d’exceptions, et reste au cœur de polémiques ininterrompues, notamment autour du voile. Le manque de connaissance conduit souvent à un amalgame dangereux entre musulmans et terroristes.
Les critiques acerbes du Coran se font souvent les pourfendeurs de la violence intrinsèque au livre sacré des musulmans, supposément rempli d’encouragements à la guerre sainte et au sacrifice. En réponse, les défenseurs du Livre tentent à tout prix de justifier chaque passage par des remises en contexte historique. C’est en effet par ce biais qu’une meilleure compréhension de la révélation musulmane est possible. Malgré tout, un lecteur néophyte peut très bien lire le Coran par lui-même, à condition de garder son esprit ouvert. Les islamophobes l’ont-ils fait ? Voici un éclairage sur la sourate du soleil pour les y encourager.
« Au nom d’Allah, le Tout Miséricordieux, le Très Miséricordieux.
Par le soleil et par sa clarté !
Et par la lune quand elle le suit !
Et par le jour quand il l’éclaire !
Et par la nuit quand elle l’enveloppe !
Et par le ciel et Celui qui l’a construit !
Et par la terre et Celui qui l’a étendue !
Et par l’âme et Celui qui l’a harmonieusement façonnée ;
Et lui a alors inspiré son immoralité, de même que sa piété,
A réussi certes celui qui la purifie.
Et est perdu certes, celui qui la corrompt.
Les Thamud, par leur transgression, ont crié au mensonge,
Lorsque le plus misérable d’entre eux se leva (pour tuer la chamelle)
Le Messager d’Allah leur avait dit : « La chamelle d’Allah ! Laissez-la boire »
Mais ils le traitèrent de menteur, et la tuèrent.
Leur Seigneur les détruisit donc, pour leur péché, et étendit Son châtiment sur tous.
Et Allah n’a aucune crainte des conséquences. »[1]
La Sourate 91 du Coran revêt une importance particulière. Faisant partie d’une des premières de la révélation, elle s’intègre dans le corpus de la période mecquoise[2], le premier moment de tension entre Muhammad et ses ennemis, ceux qui s’opposent à la nouvelle religion. Cet ensemble se compose des sourates les plus courtes du Coran, qui traitent plus de foi et de théologie, reprenant la cosmologie religieuse, que de législation musulmane et de guerre, plus présente dans la partie médinoise du Livre.
La sourate du Soleil est une affirmation de la toute-puissance divine et de la transcendance du Dieu unique. La référence à Allah – « l’Incommensurable » en arabe littéral – se retrouve dans le pronom « Celui », toujours employé avec une majuscule, et inscrit la foi musulmane dans le cadre du monothéisme, en complément des deux premières révélations que sont le judaïsme et le christianisme. Même si cela peut paraître anodin, la transcendance du divin et son unicité est importante pour comprendre le lien que fait le Coran avec les précédentes révélations.
Ainsi, reprenant la cosmologie biblique, le Dieu unique est le Créateur des Cieux et de l’Univers. Il est celui qui a façonné la Terre et lui a insufflé la vie à travers tous les êtres qui l’habitent, généralement considérés comme ses créatures. La toute-puissance se manifeste par le pouvoir qu’il exerce sur les hommes et sur la nature. La sourate nous informe ainsi que le peuple des Thamud fut détruit après l’épisode de la chamelle, pour avoir désobéi aux ordres d’un prophète qui n’est pas nommé.
Allah est donc omniscient et c’est à lui qu’appartiennent la vie et la mort. Il est en même temps un acteur exogène : bien qu’actif et partie prenante dans la vie des hommes, il n’a « aucune crainte des conséquences », ce qui souligne de nouveau sa position de supériorité. En ce sens, l’homme est démuni face à Dieu puisqu’il ne lui est pas égal. Il ne peut pas résoudre tous les problèmes par lui-même, ce qui doit l’inciter à la patience et à la prière.
La sourate met également en avant l’importance des rythmes de la Terre. L’alternance entre le soleil et la lune permet celle du jour et de la nuit. Il existe donc une dimension cyclique de l’évolution, que le croyant doit comprendre pour trouver sa place dans le monde. Cet effort ne se fait pas sans connaissance : Allah a doté l’homme d’intelligence. Cette faculté de réflexion lui donne une position particulière. Il peut ainsi discerner le bien du mal et influer sur son comportement. Il n’est pas soumis aux mêmes pulsions et instincts de survie que les animaux.
La première partie de la sourate accentue donc la notion de dualité, également présente dans la vie future entre paradis et enfer. Cependant, cette dualité n’est pas un antagonisme irréversible : elle est nécessaire et fonctionne sur l’alternance, ce qui lui permet de se réunir dans l’Un, la divinité. L’homme est donc maître de ses actes : il bénéficie d’un libre arbitre qui peut le conduire vers la purification ou la corruption de son âme, qui lui a été donnée par Dieu. Toutefois, les penchants vers lesquels il se tourne ne sont pas seulement de son propre chef : la sourate souligne que c’est bien Dieu qui a inspiré l’immoralité et la pureté de l’âme humaine.
C’est donc une lutte intérieure constante qui permet à chacun d’avancer sur son propre chemin, celui qui le mène à la divinité au jour de sa mort. C’est justement à ce moment que la notion d’âme prend son sens ; elle n’est plus seulement un cadeau mais aussi la caution de la vie future. Les actes de chaque être humain influent sur elle : pas d’élection parmi les croyants et pas de prédestination. Tous sont égaux face à Dieu.
Le passage encourage donc le croyant aux bonnes actions, que les nombreuses sourates antérieures ne manquent pas de détailler. Pour ceci, il peut compter sur ses nombreuses facultés, notamment le discernement et la volonté. Toutefois la notion de « purification » peut également être interprétée en dehors des seules bonnes actions : une dimension mystique amène le fidèle sur un autre terrain que celui de la stricte obéissance aux règles. En effet, purifier son corps et son esprit en islam, c’est lier sa foi à ses actions : mener ce combat intérieur pour la bonté et la miséricorde, refuser l’hypocrisie et la malhonnêteté et faire preuve d’humilité devant Dieu.
En dehors de son aspect religieux, cette sourate est également une preuve intéressante de l’ancrage historique du Coran. La mention des Thamud fait référence à un peuple du Moyen-Orient qui précède la révélation islamique. « Le Messager d’Allah », qui n’est pas nommé, est en fait le prophète Sâlih, qui aurait été envoyé à cette tribu pour les inciter à se convertir au monothéisme.
Les Thamud auraient alors réclamé une preuve, qui se serait matérialisée par la chamelle que Sâlih leur présenta. Cependant, ils refusèrent de croire son message et, malgré l’interdiction d’Allah, ils tuèrent la chamelle protégée. Culturellement, l’injonction « laissez-la boire » revêt une dimension singulière de par la situation géographique de la révélation : dans une région désertique, l’eau est le plus précieux des biens. Y avoir accès est synonyme de vie ; s’y voir refuser l’accès est une condamnation à mort.
Aussi, si les Thamud traitent la révélation et le miracle de Sâlih comme un mensonge, c’est parce qu’ils refusent d’abandonner leurs traditions et le polythéisme ; on retrouve une nouvelle fois la dualité avec la vérité, qui ne se reflète entièrement qu’en Allah. Ces versets témoignent donc de la continuité de l’islam avec les révélations antérieures : bien qu’elle apportât un message nouveau, celui-ci ne vient pas en contrepied des précédents. Ainsi, celui dénommé comme le « Messager » avec une majuscule n’est pas le prophète Muhammad mais bien Sâlih, que certains observateurs associent au personnage Shélah de la Genèse. Contrairement à une opinion généralement répandue, Muhammad ne fait pas figure de prophète unique. Il s’inscrit dans une progression historique cohérente, dont la temporalité ne s’achève qu’avec lui mais qui reprend l’ensemble des interventions divines de l’Ancien Testament.
Le choix de la chamelle n’est pas non plus anodin. Elle est le symbole de la féminité et de ce qui donne la vie ; son meurtre est inutile et injustifié. Tuer un animal sans raison est un crime, et s’en prendre à une des créatures de Dieu sans en tirer un bénéfice vital est punissable : il ne s’agit ici ni d’un sacrifice ni d’un animal comestible.
La sourate du soleil est donc courte et facile à lire. Pourtant, derrière sa simplicité apparente, elle implique de nombreuses observations. À l’image du Coran, la révélation musulmane est accessible mais doit aussi être comprise à la lumière de son ancrage historique, du moment de sa révélation, de sa traduction… Un certain nombre de facteurs entrent en jeu pour que le lecteur s’imprègne au mieux du message coranique. Les milliers de versets ne sont pas seulement des phrases à sens unique : ils nécessitent réflexion et discernement. Facultés humaines ou cadeaux de Dieu, la discussion est ouverte.
Amílcar Zinica
[1] Traduction reprise par le Cheikh Yusuf Leclerc, Athan et le site islam-fr.com
[2] Avant l’Hégire, l’exil du Prophète et de ses compagnons à Médine.