Je me suis rendue en Israël/Palestine pour observer la situation sur le terrain et recueillir les témoignages des Palestiniens en zone occupée.
Qui est Marwan Barghouti ?
Pourquoi est-il en prison ?
Comment sa femme milite-t-elle ?
Incarcéré depuis plus de 15 ans, Marwan Barghouti incarne pour les Palestiniens la résistance et l’unité du peuple, ce qui fait de lui le prisonnier politique le plus symbolique en Israël. Sa popularité tient de son implication dans l’Intifada Al-Aqsa en 2000, de son rôle au sein du Parlement, mais aussi des actions qu’il mène de derrière les barreaux. Enfermé pour assassinats et programmation d’attentats-suicides, les journaux israéliens le présentent cependant comme le « plus sanguinaire des terroristes palestiniens ».
Sa lutte ? Attirer l’attention de la communauté internationale sur le conflit israélo-palestinien, faire entendre sa volonté de créer un État palestinien autonome, et faire prévaloir que la liberté des prisonniers palestiniens est un enjeu majeur dans l’apaisement des tensions.
Sa femme, Fadwa Barghouti, se fait messagère de sa voix. Impliquée pour les droits des femmes, mère de quatre enfants qu’elle élève seule depuis l’arrestation de son mari, et soutien inconditionnel de celui-ci, Fadwa Barghouti est perçue comme l’icône de la nouvelle femme palestinienne : une femme forte, indépendante, et engagée.
Portrait d’une femme émancipée
Fadwa a grandi dans le village de Kaubar, à quinze minutes de Ramallah. À sa majorité, et grâce à ses bons résultats à l’école, son père la pousse à continuer ses études. Elle part alors étudier à Ramallah : les sciences et les mathématiques, puis le droit. « Je voulais m’impliquer davantage dans les droits de l’Homme », confie-t-elle. À dix-huit ans, elle est la plus jeune femme à travailler au sein du Women Committee for Social Work. Elle se bat pour donner du pouvoir aux femmes et révéler leur importance, au sein d’une société encore très patriarcale. C’est selon elle un enjeu majeur dans les pays récemment développés : aider les femmes à prendre conscience de l’importance du rôle qu’elles peuvent jouer.
En 2002, après l’arrestation de son mari, Fadwa se lance à son tour dans la politique. Désormais à la tête du Women Committee for Social Work, elle travaille à incorporer les femmes dans les mouvements de résistance, comme c’est le cas dans les villes d’Hébron et de Nabi Saleh. Avocate, elle a monté son bureau au sixième étage d’un immeuble de Ramallah. Portraits de son mari sur les murs et ouvrages de celui-ci fièrement arborés, Fadwa organise dans ces bureaux tous les dessous de sa campagne. Elle y reçoit ses soutiens, palestiniens et internationaux, et y veille à la représentation du mouvement qu’elle défend.
Épouse de combattant
Le 28 septembre 2000, le chef du Likoud, Ariel Sharon, pénètre sur l’Esplanade des Mosquées, afin de montrer que les juifs ont aussi le droit de venir y prier. Les Palestiniens le vivent comme un nouvel affront : cette visite déclenche la seconde Intifada.
En effet, de par la présence d’Al-Aqsa, Jérusalem est une question particulièrement sensible pour eux. Cette Ville trois fois Sainte a d’ailleurs été à l’origine de l’échec du sommet de Camp David II, organisé en juillet 2000 par le président américain Bill Clinton. Menées par le Premier ministre israélien Ehoud Barak et l’Autorité palestinienne incarnée par Yasser Arafat, ces secondes négociations ont avorté en raison des divergences sur la question des réfugiés palestiniens, mais aussi du statut de Jérusalem-Est, sur lequel aucun des deux partis n’accepte de concéder. Plus récemment, en juillet 2017, la Ville trois fois sainte a été le théâtre de nouveaux heurts après l’installation de portails électriques devant la mosquée. Il va sans dire que la récente déclaration de Donald Trump révèle une nouvelle fois la place particulière de cette ville.
Ainsi, la venue d’Ariel Sharon en septembre 2000 met le feu aux poudres. Le peuple palestinien se lève une nouvelle fois contre l’État d’Israël, synonyme pour lui de colonialisme, discrimination et apartheid. Les lancers de pierre sur l’armée israélienne se transforment en conflit généralisé, touchant rapidement la Cisjordanie et la bande de Gaza. De nombreux activistes opposés au processus d’Oslo, et des membres de tous les mouvements de libération de la Palestine (Fatah, OLP¹, FPLP², FDLP³, Tanzim, Hamas, Djihad islamique et Brigade des martyrs d’Al-Aqsa) s’unissent. Très vite, Marwan Barghouti, déjà figure importante du Fatah, est hissé à la tête de l’un des mouvements terroristes. Chef du Tanzim (aile armée du Fatah) et fondateur de la Brigade des martyrs d’Al-Aqsa, il est reconnu coupable de cinq chefs d’inculpation de meurtre et d’une tentative de meurtre. Jugé de surcroît responsable de plusieurs attentats contre des civils israéliens, il devient l’un des hommes les plus recherchés du pays.
Résistance armée, attentats-suicides commis par les Palestiniens, et autres attaques terroristes sont condamnés par la communauté internationale. En représailles, les camps de réfugiés et civils palestiniens sont à leur tour pris pour cibles par les forces d’occupation israéliennes.
En mars 2002, des chars de Tsahal pénètrent dans de nombreuses villes palestiniennes. À cette occasion, de nombreux résistants sont arrêtés.
Au printemps de la même année, l’armée israélienne attaque la Moqatâ’a, QG de Yasser Arafat à Ramallah. Ce dernier est en effet jugé responsable du soulèvement. Finalement, lorsque l’Intifada se termine, on recense environ 2 070 morts palestiniens et 680 morts israéliens.
Jusqu’en 2002, Marwan travaillait au Parlement, à la tête du Fatah. Se sachant recherché, il quitte le domicile familial. Six mois plus tard, le 15 avril 2002, il est capturé à Irsel, une zone de Ramallah. Marwan est le premier membre du Parlement à être arrêté par les forces d’occupation israélienne. Il se déclare innocent lors de son procès. Depuis, 70 autres parlementaires ont été emprisonnés, soit plus de la moitié des membres, et 13 d’entre eux sont encore retenus captifs. Pour les Israéliens, il en va de l’ordre public, de la sécurité de la population, et du besoin de s’adapter aux menaces. Celles-ci évoluent avec le temps, demandant une adaptation constante : les modes opératoires de véritables guerres ont fait place à des méthodes de guérilla, avant de concerner aujourd’hui des attaques aux couteaux… Le meilleur moyen de défense leur semble alors être l’anticipation. Du côté palestinien, ces arrestations sont perçues comme une insulte à leur démocratie, aux droits de l’Homme, et à leur autodétermination.
De manière plus générale, en 50 ans, Israël a placé des centaines de milliers de Palestiniens en détention. Actuellement, près de 6 500 Palestiniens sont encore derrière les barreaux⁴.
Pour Barghouti, le jugement tombe : il est condamné pour terrorisme à cinq peines de prison à perpétuité.
L’incarcération de Marwan
En théorie, il est convenu par les autorités israéliennes que le droit de visite de Fadwa à son mari soit bimensuel. Néanmoins, de par son statut particulier, l’incarcération de Marwan connaît des mesures d’exception. Dès lors, ce droit de visite ne s’applique qu’une fois tous les six mois. Son fils, Aarab, n’a pas pu voir son père depuis deux ans. Et Marwan n’a jamais rencontré sa petite-fille.
Souvent placé en isolement dans une cellule de trois mètres carrés, il lui est interdit de rentrer en contact avec les autres prisonniers. De plus, papiers et crayons ne lui sont que rarement prêtés, l’empêchant de communiquer avec l’extérieur et d’inciter à la subversion. « Mon mari paie durement son rôle de symbole », affirme sa femme, « il se sacrifie pour son peuple ».
Free Marwan Barghouti, une campagne dans les traces de Mandela
Après l’arrestation de Marwan, Fadwa Barghouti désire se faire la voix de son mari et porter son message au monde. Très active au niveau des média et des politiques, elle tente d’attirer l’attention de la communauté internationale sur la situation en Palestine. Peu à peu, par la voix de sa femme, Marwan appelle à intensifier la lutte pour la libération des prisonniers, afin de mener la Palestine sur la voie de la paix et de la liberté.
Le 27 octobre 2013, la campagne prend un nouveau tournant : Fadwa Barghouti et Ahmed Kathrada lancent la « Campagne internationale pour la Libération de Marwan et de l’ensemble des prisonniers palestiniens », à partir de l’ancienne cellule de Nelson Mandela à Robben Island. Ainsi, Ahmed Kathrada, icône anti-apartheid et soutien de Mandela, supporte désormais Marwan. Le mouvement palestinien se calque sur celui du leader sud-africain : « Free Mandela » est désormais « Free Marwan Barghouti ». Résultats ? Huit Prix Nobel, cent vingt gouvernements et des centaines de parlementaires, dirigeants, intellectuels, artistes et organisations de la société civile rejoignent cette campagne. De plus, deux Prix Nobel, des Parlements et des parlementaires nominent Marwan pour le prix Nobel de la paix, en soutien au combat « pour la liberté du peuple palestinien ».
En avril 2014, la France intègre la campagne. Marwan devient ici aussi le nouveau visage de la résistance palestinienne, et des dizaines de villes françaises en font leur citoyen d’honneur.
Cependant, certains jugent que la comparaison entre Mandela, qui n’a jamais commis d’actes terroristes, et « l’assassin islamiste » Barghouti est scandaleuse, et même une offense à la mémoire du leader sud-africain.
Fadwa, porte-parole de son mari
Au début de l’année 2017, la grève de la faim initiée par Marwan a attiré l’attention de l’opinion publique internationale. Marwan la nomme « Liberté et Dignité », « en hommage aux valeurs indispensables à tout processus de paix ». Dans une lettre rédigée en prison, il déclare : « Aux yeux d’Israël nous sommes tous coupables et l’accusation non déclarée c’est notre désir de liberté, notre soif de liberté, notre sacrifice pour la liberté. »
Cependant, pour le gouvernement israélien et les victimes de Marwan, aucune négociation n’est possible avec l’instigateur d’actes terroristes. Le ministre de la Défense Avigdor Liebermann plaide pour une politique semblable à celle de Margaret Thatcher : en 1981, celle-ci avait refusé de céder à des grévistes de la faim irlandais, dont dix d’entre eux avaient péri affamés.
« Marwan avait prévenu qu’Israël tenterait de le discréditer. Les fausses vidéos où il est soi-disant aperçu en train de manger n’ont donc surpris personne : les Palestiniens étaient prévenus et n’y ont pas cru », affirme Fadwa.
Durant cette période, Fadwa se rend en Amérique pour y mener sa campagne de sensibilisation. Malgré les relations étroites tissées entre les gouvernements israélien et américain, une partie de la population semble de plus en plus sensible à la cause qu’elle défend. « Tout provient du mauvais traitement dans les médias, il suffit de témoigner », explique-t-elle.
Par le biais de Fadwa et de son institution, la cause de Marwan est de plus en plus relayée dans les média et à l’étranger. Les pays ayant connu par le passé un régime d’oppression sont les plus réceptifs à cette campagne : Afrique du Sud, Argentine et Irlande.
Lors de la grève de la faim, Marwan écrit une lettre ouverte dans laquelle il proclame que « la grève de la faim est une action légitime et non violente pour protester, en tant que prisonniers, contre les violations de nos droits humains fondamentaux tels qu’ils sont garantis par le droit international. »
« Je ne ressentirai jamais de regret »
En prison, Marwan conserve ses idées : « il maintient sa confiance dans la victoire du peuple palestinien. Jusqu’au bout, il luttera contre l’occupation, et pour les droits des Palestiniens », soutient son épouse.
Selon Marwan, la clé de la victoire et de la liberté de la Palestine, c’est l’unité de son peuple. Et pour cela, le détenu sert de lien entre les différents partis : il est la figure de proue qui parvient à mettre d’accord l’ensemble des factions politiques palestiniennes encore très divisées.
Fadwa confirme : « Au début c’était difficile pour les enfants, comme c’est le cas pour tous les enfants de prisonniers palestiniens ou de martyrs. Mais je ne ressentirai jamais de regret. Certes, je me sens parfois fatiguée, et en colère. Mais je connais et respecte la mission qui lui revient. Alors je n’ai aucun regret. »
Du côté israélien aussi, des mouvements pour la paix se forment. C’est le cas de Shalom Akhsav (« La Paix Maintenant »), organisme israélien agissant pour la paix entre les deux peuples. Son but ? Tenter de concilier les volontés politiques des deux pays, tout en assurant la sécurité de chacun. En contrepartie de l’arrêt des constructions de colonies en Cisjordanie et à Jérusalem-Est et de la création d’un État palestinien, ils proposent de faire de Jérusalem la capitale des deux États, d’éviter un retour massif des réfugiés et de leurs descendants et un arrêt du boycott d’Israël. Au sein des manifestations, des Israéliens de gauche se réunissent pour demander d’établir un dialogue avec leurs voisins palestiniens. De même, le mouvement Women Wage Peace (« les femmes font la paix ») a réuni en octobre 2017 des milliers de femmes israéliennes et palestiniennes, désireuses de marcher côte à côte, symbole de leur volonté d’avancer ensemble dans les processus de paix.
Cette paix semble néanmoins difficile à atteindre. Aux dires de Fadwa, « les Palestiniens veulent une réelle démocratie, sans interférence extérieure. Mais Israël ne sera jamais d’accord avec la paix et le retour des réfugiés. Le respect des Droits de l’Homme – condition sine qua non à nos yeux – étant bafoué par Israël, l’espoir de paix reste fortement improbable. »
Quant à la résolution du conflit, Fadwa espère encore une solution à deux États, mais considère que les colonies rendront toute tentative de paix difficile. Son fils, Aarab, est persuadé que la solution à deux États est irréalisable.
Lors d’une interview avec le journaliste Andrew Marr, le 5 novembre 2017, Netanyahu déclare pour sa part : « Non, je ne veux pas de solution à un seul État, je vais être clair à ce sujet. Et je ne crains pas de le dire. » Pourtant, la création d’un État palestinien autonome n’est pas non plus une solution évoquée.
Malgré ses actions violentes durant l’Intifada, Marwan Barghouti est souvent surnommé « le nouveau Yasser Arafat » : il redonne espoir au peuple palestinien, désireux de recouvrir un État indépendant. En 2016, il est nominé six fois pour le Prix Nobel de la Paix. Il écrit : « Le chemin vers la paix, c’est la liberté. »
Louison Bernard
Étudiante en Histoire et Sciences politiques passionnée par le Moyen-Orient
Accéder à la série sur le conflit israélo-palestinien :
I – 1897, l’émergence du Foyer National Juif
II – 1917, deux projets pour une terre
III – 1947, La concrétisation du rêve sioniste
IV – 1967, le Debut d’une guerre sans fin
V – 2017, Jérusalem : l’effet Trump
¹ Organisation de la Libération de la Palestine
² Front Populaire de la Libération de la Palestine
³ Front Démocratique pour la Libération de la Palestine
⁴ Chiffres donnés par la Campagne internationale pour la libération des prisonniers palestiniens