Trois contes de fée d’été
Il était une fois en Amérique, un certain Hunter dont le papa, Joe, était Président. Le fiston était jusqu’ici connu pour ses talents de « lobbyiste » et un business juteux en Ukraine et en Chine. Mais voilà que, miracle, Hunter est saisi d’une révélation suivie d’une conversion : le fils Biden s’établit artiste à plein temps, recherchant la « vérité universelle » entre peinture abstraite et collages… Immédiatement cornaqué par un galeriste new-yorkais, Georges Bergès, une grande exposition-vente doit avoir lieu à New York cet automne. Estimations : entre 75 000 $ (œuvres sur papier) et 500 000 $ (peintures de grande taille). Un débutant sacrément doué ?
Même aux USA, tous ne croient pas aux contes de fée, comme l’avocat Walter Shaub, ex directeur de l’Office of Government Ethics (établissement public luttant contre la fraude et les conflits d’intérêts dans l’Administration américaine), et ce sous B. Obama, détail qui a son importance. L’avocat parle de « honte », « d’arnaque », dénonce « un fils de président capitalisant sur cette relation en vendant de l’art à des prix exagérés » et, surtout, sans que le public puisse savoir qui lui déverse ainsi de l’argent. La corruption pointe le bout du nez : un innocent achat de tableau suffirait donc pour investir « dans une connexion familiale avec la Maison-Blanche », obtenir les bonnes grâces de la famille Biden. Une agence représentant Bergès (The Townsend Group) aurait défendu auprès de Fox News l’anonymat des ventes, « afin de protéger la confidentialité du collectionneur ». Ben voyons : quand la confidentialité du collectionneur sonne la déconfiture de la démocratie…
Chez nous, c’est l’hommage à Johnny Hallyday qui se transforme en histoire à dormir debout. Quelle idée, pour célébrer l’idole des jeunes, de s’adresser à un artiste d’art contemporain comme Bertrand Lavier, l’homme qui met un frigo sur un coffre-fort ! Notre conceptuel national projette de percher une vraie moto, une Harley, sur un manche géant de guitare, devant l’Accor Arena de Paris. Fureur des écolos, qui y voient une apologie de la pollution et du machisme réunis. Personne ne parle de la pollution visuelle par un kitsch pétaradant. Comment le nom de Lavier est-il sorti du chapeau, où sont les appels d’offre, les concours républicains ? Mystère. Par ailleurs, sur quels critères seront choisis les heureux bénéficiaires des grandes commandes relançant la création après la Covid ? D’où sort le comité ad hoc de neuf « professionnels », réunis sous la houlette de B. Blistène, pour la distribution de la manne financière, soit trente millions d’euros d’argent public ?
Il était une dernière fois, l’ouverture de la fondation Luma, couvée par Maja Hoffmann, « mécène, productrice et collectionneuse » : Arles est maintenant dominée par l’architecture originale et miroitante comme un cristal de Gehry, ce qui nous change de la tour rectangle, assurément. Mais a-t-elle sa place dans le ciel d’une ville d’art ancienne ? À voir. Comme il va falloir rembourser le « quoi qu’il en coûte », une piste serait de taxer ceux qui s’accaparent le ciel qui est à tout le monde. En d’autres termes, affirmer un principe républicain (et limiter la casse). Luma est un lieu de débats et d’expositions (le sous-sol abrite la collection maison), mais aussi atelier de production, un jardin poussé sur la caillasse et, bien sûr, les sempiternelles stars de l’art contemporain Tino Sehgal (qui vendit de l’immatériel à l’État), un double toboggan de Carsten Höller, un miroir d’Olafur Eliasson, Rirkrit Tiravanija, etc. Bref, le monde « d’après » ressemble furieusement au monde « d’avant ».
Christine Sourgins
Photo de couverture : la nouvelle Tour Luma (56 mètres), conçue par Frank Gehry et inaugurée le 26 juin dernier.