L’invasion des Amériques par les Européens à partir de 1492 a provoqué des millions de morts chez les indigènes dans les siècles qui suivent. Cette catastrophe démographique a eu un impact écologique : de 1520 à 1700, l’abandon de millions d’hectares de terres jusqu’alors cultivées et leur reforestation entraîne une modification de la concentration en CO2 de l’atmosphère qui induit un petit âge glaciaire¹.
Les climatosceptiques auront du mal à s’en remettre, eux qui récusent les conclusions du GIEC (Groupe Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat) sur les causes du réchauffement climatique actuel, et pour certains vont jusqu’à travestir les données qui leur déplaisent. Pourtant cet épisode climatique est d’importance, parce que c’est le système Terre qui est modifié par les activités humaines, et ce dès les prémisses de la Révolution industrielle, au début du XVIIIème siècle. Jusqu’à mettre en danger la survie de milliers d’espèces, y compris celle qui nous est la plus chère. Au point qu’il a été proposé de faire de cet épisode le marqueur d’une ère nouvelle : l’Anthropocène. Cet âge géologique nouveau succède dans l’esprit de ses promoteurs à l’Holocène, souvent dénommé Quaternaire récent.
Aujourd’hui les travaux dont il est ici rendu compte proposent de repousser à la Renaissance le début de l’ère de l’Anthropocène¹. Leurs auteurs montrent que c’est plus avant dans le temps que les activités humaines ont modifié le système Terre et provoqué des variations climatiques à l’échelle globale. En 1492, l’arrivée de Christophe Colomb et de ses compagnons aux Amériques a induit outre une catastrophe démographique, un changement climatique notable au XVIème et XVIIème siècle, en l’occurrence un petit âge glaciaire.
On se souvient de l’ouvrage pionnier La vision des vaincus de Nathan Wachtel, paru en 1971. Il jetait un regard cru sur la débâcle démographique qui avait suivi l’arrivée des conquistadores sur les haut plateaux andins. Depuis, de nombreux travaux d’historiens, géographes et autres se sont attachés à reconstituer l’histoire postcoloniale des Amérindiens. Ces études quantifient l’impact de l’arrivée des colons aux Amérique, d’une part au plan démographique, d’autre part en prenant la mesure de ses répercussions économiques, en particulier sur la réduction des surfaces agricoles revenues à la friche du fait de la catastrophe démographique qui s’ébauche dès le début du XVIème siècle.
Guerres, massacres et surtout nouvelles maladies que les Européens et les animaux domestiques importent, et pour lesquelles les Amérindiens ne sont pas immunisés, vont décimer les populations du nouvel eldorado : dans les décennies qui suivent l’arrivée des conquistadores, on estime que 55 millions d’Amérindiens périssent, soit près de 90% de la population de ces continents à peine découverts. Non seulement leurs civilisations et leurs cultures sont anéanties, mais dès lors des millions d’hectares jusqu’ici cultivés retournent à la friche sur des sols agricoles appauvris.
Les travaux des dernières décennies dressent une carte précise de ces territoires dévolus jusque-là à l’agriculture et regagnés par la forêt. Ce sont au moins 55 millions d’hectares qui reviennent à l’état sauvage alors que par ailleurs la pratique du brûlis sur de vastes surfaces n’a plus court. Le regain végétal et la fin de cette pratique provoquent une forte augmentation du carbone stocké à terre, et par voie de conséquence un déclin du CO2 atmosphérique.
Cette chute du CO2 atmosphérique, qui perdure plus d’un siècle, est enregistrée dans les archives glaciaires de l’époque qui rendent compte de l’évolution du climat de la Terre, comme illustré sur la figure suivante.
Ainsi est-il prouvé que les activités humaines avant la Révolution industrielle ont eu un impact sur le système Terre. On peut même ajouter que si la « Découverte de l’Amérique » par Christophe Colomb et ses successeurs a d’abord marqué la globalisation des épidémies et ravagé les populations du Nouveau Monde, elle marque aussi le début des temps de l’Anthropocène, cette ère nouvelle qui voit l’être humain devenir une force géologique qui modifie le cours de la Vie à l’échelle de la planète.
Jusqu’ici on envisageait que son marqueur était la Révolution industrielle, débutée voici deux siècles, responsable du réchauffement climatique actuel qui met en péril l’avenir de l’Humanité. Mais elle a eu une avant-première dont les conséquences furent inverses : Christophe Colomb et ses compagnons qui, à partir de 1492, envahissent et ravagent le Nouveau Monde pour en extraire son or et provoquent sans le savoir un petit âge glaciaire.
A l’opposé de ces conquérants « innocents » du passé, nous ne pouvons plus de nos jours jouer les aveugles : nous sommes responsables et coupables de l’état de la planète Terre. Et que la jeune génération nous rappelle l’incurie qui fut la nôtre durant trop de décennies et demandent des comptes est la moindre des choses : il est urgent d’agir.
Jean-Louis Hartenberger
¹ A. Koch, C. Brierley , M. M. Maslin, S. L. Lewis. 2019 Earth system impacts of the European arrival and Great Dying in the Americas after 1492. Quaternary Science Review.