Autrefois fantasmée, l’Égypte est aujourd’hui regardée comme un État sur le déclin en proie à tous les maux. Une société secouée par la pauvreté, les attentats, les Frères musulmans et les violences à l’égard des femmes. Les tenants de l’islamisme leur contestent le droit au divorce et les mettent toujours plus au ban de la vie publique, dont elles sont matériellement tenues à l’écart par un voile noir. Il est d’autant plus invraisemblable d’imaginer que ce pays ait pu être à l’avant-garde des droits des femmes. Et pourtant… C’était sous le règne des pharaons, approximativement entre 3000 et 30 avant Jésus-Christ.
Quel statut pour la femme en Egypte ancienne ?
Quelles Égyptiennes ont marqué l’Histoire ?
Pourquoi les droits des Égyptiennes ont-il peu à peu disparu ?
Mer
Parmi les monuments les plus emblématiques d’Égypte figurent les édifices sacrés que les Grecs ont baptisé « pyramides ». Ceux qui les ont construits leur donnent cependant un tout autre nom, et celui-ci en dit long sur la société égyptienne. Si mer signifie « construction », c’est un mot polysémique qui se traduit également par « amour » ou « aimer ». Aucun lien à première vue. Pourtant, aux yeux des anciens Égyptiens, l’amour est quelque chose qui se construit, une énergie créatrice qui permet de réaliser les plus grandes entreprises. Et les pyramides sont encore là pour nous le prouver.
L’amour occupe une place centrale en Égypte ancienne. Quantités d’odes à l’amour ont été trouvées dans les fouilles. Quant aux peintures murales qui ornent les « demeures d’éternité », elles mettent souvent en scène des époux en train de manger, danser ou travailler ensemble. La prépondérance de ce sentiment trouve sa source et sa justification dans la religion égyptienne. La déesse Isis a resuscité son mari, Osiris, grâce au puissant pouvoir de son amour. Elle a offert aux êtres humains de nombreux présents, dont l’égalité entre les femmes et les hommes. D’où la notion de ma’at, l’idéal d’équilibre et d’harmonie dans les rôles attribués à chaque sexe.
Il y a en Égypte autant de dieux que de déesses et les femmes occupent une grande place dans le clergé. La Divine Adoratrice d’Amon, ou Épouse du dieu (hemet-netjer), contrebalance le Grand Prêtre d’Amon. Les femmes sont les égales des hommes dans presque tous les domaines ; seules quelques fonctions leur sont interdites. À titre d’exemple, Pharaon doit être un homme. Cependant, des études récentes montrent que le couple royal est l’image terrestre d’un couple divin de caractère solaire, Rê et Hathor-Mâat. L’épouse royale est solidaire du pharaon comme garant de l’équilibre du monde. Qu’il s’agisse de la Grande Épouse royale ou de la mère du roi, la reine porte des attributs symbolisant son aspect divin. Usant de ses charmes pour s’attirer les faveurs des dieux, elle participe aux rites accomplis par Pharaon.
Ainsi, l’idée de complémentarité prédomine en Egypte. Une femme peut être prêtresse, diriger une entreprise, gérer son patrimoine, devenir scribe ou même docteur. A cet égard, l’année 332 avant notre ère marque un tournant décisif pour les femmes égyptiennes. Quand Alexandre le Grand conquiert le pays, il importe avec lui l’esclavage et d’autres éléments de la culture grecque. L’administration est impactée, tout comme les droits des femmes. A l’instar de leurs homologues grecques, celles-ci sont alors mises au ban de la médecine. Dans ce contexte, une Athénienne célèbre (dont l’histoire est rapportée par un auteur romain, Hygin, dans ses Fabulae) aurait bravé l’interdit. Si son existence fait débat, Agnodice aurait en effet quitté la Grèce et se serait déguisée en homme pour étudier dans l’illustre Ecole de médecine d’Alexandrie. Elle aurait ensuite exercé en tant que maïeuticienne à Athènes, en dissimulant sa véritable identité.
Le règne du désir
« Si tu es un homme de bien, garde ton foyer, aime ta femme comme il convient… Comble ses désirs tout au long de son existence. »
Sagesses, Ptahotep
À l’instar d’Isis, qui insuffle la vie à l’être qu’elle aime, la femme est d’abord associée à la création. En enfantant, elle permet à un homme de fonder sa famille, et donc de réaliser son vœu le plus cher. Dans le cas contraire, un mari peut répudier une épouse stérile – à condition toutefois de l’indemniser.
Si la première visée du mariage est la procréation, les jeunes Égyptiens sont encouragés à épouser la personne qu’ils aiment. Hommes et femmes se choisissent et scellent leur union en se disant tour à tour : « Je t’ai faite ma femme. » et « Tu m’as faite ta femme. ». Pour se déclarer leurs sentiments, ils se touchent le nez en s’appelant affectueusement mon frère ou ma sœur. Rien à voir, en revanche, avec d’éventuels mariages incestueux, qui sont par ailleurs strictement interdits – exception faite des pharaons, qui peuvent ainsi affirmer leur statut divin¹.
Le mariage doit donc avant tout concrétiser le désir de vivre ensemble. On a coutume de faire un contrat de mariage pour les biens, mais l’administratif et le religieux n’y ont pas cours. Il en va de même pour le divorce, qui s’effectue par la seule volonté du couple, sans intervention aucune de l’administration. En d’autres termes, les anciens Égyptiens ont une conception civile du mariage et du divorce, comme beaucoup d’Occidentaux aujourd’hui. Quand la demande de divorce émane de l’époux, celui-ci doit céder une partie de ses biens à sa femme. Si c’est l’épouse qui décide de quitter son mari, la même obligation s’applique à elle, mais dans une moindre mesure. Le tribunal peut être saisi en cas de désaccord entre les conjoints. Dans la plupart des divorces, les enfants vont avec leur mère, laquelle garde la maison – sauf si celle-ci appartenait à la famille du mari avant le mariage. Seule une accusation d’infidélité, assortie de preuves tangibles, peut priver une femme de ses droits dans un divorce.
Une grande liberté sexuelle
L’Égypte se caractérise également par sa liberté sexuelle. Preuve en est, la virginité n’est pas exigée pour les futures mariées. D’ailleurs, il n’y a pas de mot signifiant « vierge » en Égypte ancienne. Qu’il s’agisse des hommes ou des femmes, les relations sexuelles avant le mariage sont donc autorisées. Il n’y a pas non plus d’interdit à l’encontre de l’homosexualité. De même, l’avortement et la contraception sont acceptés. À cet égard, le papyrus Ebers, l’un des plus anciens traités médicaux qui nous soient parvenus, contient des recettes contraceptives :
« Ordonnance pour qu’une femme cesse d’être enceinte pendant un, deux ou trois ans. Broyer finement ensemble de l’extrait d’acacia avec des dattes et un peu de miel. Imbiber un coton dans cette mixture et l’insérer dans le vagin. »
Les seules remontrances concernent l’infidélité. Toucher une femme mariée est considéré comme un crime et, au pire des cas, une femme peut être condamnée à mort pour adultère. En effet, l’adultère affecte le sang : un mari trompé ne peut être certain que ses enfants sont bel et bien les siens. C’est l’équilibre de toute la famille qui est menacé.
« Ne copule pas avec une femme mariée. Celui qui copule avec une femme mariée dans le lit de celle-ci, sa propre épouse pourrait à son tour être violée sur le sol. »
Sagesses, Ptahotep
L’homme a cependant le droit, si besoin, d’associer à sa femme des concubines. Elle devient alors la Grande Épouse, comme dans les couples royaux. En revanche, à l’inverse de l’épouse, la concubine a juste le droit d’être à la disposition de l’homme et ne reçoit pas de compensation en cas de répudiation.
Sublimer le corps de la femme
Les momies et les vêtements découverts au cours des fouilles, comme les nombreuses peintures et statues qui ont traversé les siècles, permettent d’appréhender la mode antique. En raison de la forte chaleur, les Égyptiennes portent de fluides robes de lin à bretelles. Les plus riches d’entre elles agrémentent ces tenues moulantes de voiles transparents, de fines résilles de perles et de savants drapés. Hommes et femmes aiment se parer de bijoux somptueux. À défaut d’or et de pierreries, les femmes du peuple arborent des coquillages, des fleurs délicates et des amulettes protectrices en argile. Les cheveux des femmes sont coiffés avec soin ; nattées ou bouclées, les perruques sont fréquemment utilisées.
Lors de sa bataille avec Seth, le dieu Horus perd un œil et invente le maquillage pour retrouver sa splendeur. D’où la coutume égyptienne de se maquiller pour lutter contre les affres du temps ou camoufler les accidents de la vie². Les Égyptiennes se maquillent avec du khôl, du fard et des poudres à paupière faites à base de minéraux broyées : malachite pour le vert, oxyde de fer pour le rouge, galène pour le noir… Des tatouages au henné achèvent d’habiller leur peau nue.
Des femmes de pouvoir
Hatshepsout, « la noble dame », devient régente du royaume après la mort de son mari, le pharaon Thoutmosis II, en 1504 avant J.-C. Elle décide toutefois de se faire couronner Pharaon et n’hésite pas à porter les insignes masculins liés à cette fonction : sceptre, fouet, couronnes et même barbe postiche ! Quand son neveu parvient en âge de régner, elle lui refuse le trône. Son règne est marqué par une expédition commerciale de grande ampleur au pays de Pount, une contrée mystérieuse probablement située sur la côte africaine de la mer Rouge. Respectée par les souverains des pays voisins, elle gouverne une Égypte prospère. Hatshepsout est la seule femme à avoir ainsi usurpé le trône, qu’elle a gardé jusqu’à sa mort. Bien que la plupart de ses œuvres aient été martelées après sa disparition, son fabuleux temple funéraire de Djeser Djeserou³ (« la merveille des merveilles ») témoigne encore de sa grandeur.
Néfertiti, « la belle est venue », est l’épouse d’Akhenaton, qui devient pharaon en 1372 avant notre ère. Elle s’occupe de leurs six filles tout en aidant son mari à diriger le pays. Ensemble, ils opèrent une véritable révolution en instaurant le culte unique d’Aton, le disque solaire. Quand Pharaon abandonne de fait ses devoirs de dirigeant pour se consacrer pleinement à sa nouvelle religion monothéiste, Néfertiti assure ses responsabilités. Le couple royal doit coaliser toute sa force, sa folie, sa croyance et son amour pour affronter la toute-puissance des prêtres d’Amon et l’hostilité de l’opinion publique. Non loin de Thèbes, dans une zone déserte de la rive gauche du Nil, apparaît la cité d’Akhetaton, « contrée de lumière ». L’art se voit transcendé par un style novateur, original, émouvant, vivant ; à l’opposé des représentations solennelles et figées de l’art traditionnel. Au gré des fresques, les conjoints jouent avec leurs filles, le roi prend amoureusement sa femme par la main, la porte sur ses genoux… Les sentiments indéfectibles qui unissent les jeunes époux et leur tendresse envers leurs enfants sont assurément ce qui transparaît le plus dans les représentations qu’ils ont laissées. Néfertiti est d’ailleurs passée à la postérité grâce à la foule de bas-reliefs et de sculptures la figurant avec sa tiare majestueuse.
Néfertari, « la plus belle », est l’une des cinq épouses royales du prolifique Ramsès II⁴ – en l’occurrence sa favorite. Il l’a aimé jusqu’à ce que la mort les sépare, vers 1255 avant J.-C. Elle est d’ailleurs la seule à bénéficier de l’immense privilège d’être enterrée dans ce que nous appelons désormais la Vallée des Reines. Tout au long de sa vie passée auprès de Pharaon, Néfertari joue un rôle important dans la politique du royaume. Chose exceptionnelle pour une reine, elle accompagne Ramsès II pour négocier le traité de paix avec Khattusilis, roi des Hittites (un peuple de l’actuelle Turquie). Ainsi que Chah Jahan le fera bien plus tard avec le fameux Taj Mahal pour Mumtâz Mahal (« la merveille du palais »), Ramsès dédie à sa belle un temple splendide près de celui d’Abou Simbel. Un moyen de s’assurer du souvenir éternel de la femme qu’il aime. En effet, dans la culture égyptienne, quand le nom et l’image d’une personne sont perdus, son âme est diminuée et ne peut plus rester aux Champs des roseaux, le paradis égyptien.
Cléopâtre VII, « la gloire de mon père », descend quant à elle du général Ptolémée. Du sang grec coule dans ses veines. Rescapée d’une tragédie familiale, elle doit diriger un pays sur le déclin. Son grand sens de la diplomatie lui assure toutefois un allié puissant : la République romaine. Bien qu’elle ne soit pas aussi belle que certaines reines égyptiennes, elle est captivante. Son charme irrésistible séduit tour à tour César et Marc-Antoine. La défaite écrasante de son armée à Actium en 31 avant notre ère sonne cependant le glas de ses ambitions. Cléopâtre ne sera pas la maîtresse de l’Orient. Il n’est cependant pas question de reddition pour la « reine des rois », qui préfère rester digne et mourir en Pharaon. Elle lâche un aspic au venin mortel sur sa poitrine et emporte avec elle 3000 ans de civilisation égyptienne.
La disgrâce d’Isis
Matrice de la mentalité égyptienne, la religion païenne caractéristique de la période pharaonique ne résiste pas à l’avènement du christianisme. Le 27 février 380, l’empereur romain d’Orient, Théodose Ier, fait de ce nouveau culte monothéiste la religion officielle. L’Edit de Thessalonique prohibe le paganisme, et ceux qui refusent de vénérer la Sainte Trinité font l’objet de rudes persécutions. En Egypte, le patriarche Théophile d’Alexandrie se charge d’appliquer la loi impériale. Il interdit aux païens l’accès à leurs temples et voue les cérémonies païennes à la clandestinité. Le splendide Serapeum de Memphis est détruit sur ordre de Théodose. A l’issue de violents affrontements entre chrétiens et païens, les autres temples d’Alexandrie sont eux aussi démolis.
Au VIe siècle, Justinien Ier règne sur l’Orient. Déterminé à éradiquer les irréductibles païens concentrés au Sud de l’Egypte, il s’en prend aux fidèles d’Isis. En 540, les armées de l’empereur ont raison de la résistance des prêtres du temple de Philae⁵, dernier bastion de la religion égyptienne. Le sanctuaire de la déesse est transformé en église. La femme est désormais identifiée à Eve, celle qui, inspirée par le Serpent, a poussé Adam à goûter au fruit défendu.
Alexandra Nicolas
¹ Osiris, le dieu des morts, a épousé sa sœur, Isis. Puisqu’ils deviendront des dieux à part entière à leur mort, les pharaons ne se plient pas aux règles régissant la vie du commun des mortels. Évidemment, l’enjeu est avant tout d’ordre politique : ils renforcent leur légitimité en s’assurant un maximum d’ancêtres royaux, tout en écartant du pouvoir les autres grandes familles.
² Le maquillage est également utilisé pour recréer l’apparence juvénile et fertile du défunt, essentielle à sa renaissance dans l’au-delà.
³ Djeser Djeserou a été rebaptisée Deir el-Bahari (« couvent du Nord ») par les Arabes, en référence à un temple copte qui y fut construit. Bien que ce temple n’existe plus aujourd’hui, le nom est resté.
⁴ Ce pharaon est connu pour avoir engendré cinquante fils et cinquante-trois filles.
⁵ Les derniers hiéroglyphes qui nous sont parvenus, datés de 434, ont été retrouvés sur les parois du temple de Philae.
Sources :
- JACQ Christian et PLISSON Philippe, L’Égypte vue du ciel, XO Editions, 2009, Paris
- ZIEGLER Christiane, Les Pharaons, Flammarion, 2002, Paris
- DEMORY Jean-Claude (directeur de collection), L’Encyclopédie de l’Égypte ancienne, Hachette Collections, 2005
- MARSEILLE Jacques (directeur éditorial), L’Histoire du monde, Premières civilisations, des origines à 970 avant J.-C., Larousse, 1993, Paris
- « Le mariage ». L’Égypte des pharaons – Les mystères d’une civilisation fascinante, n°4, p. 12-13
- J. MARK Joshua, “Women in Ancient Egypt”, Ancient History Encyclopedia [en ligne], publié le 04/11/2016 et consulté le 25/12/2017 : https://www.ancient.eu/article/623/women-in-ancient-egypt/
- J. MARK Joshua, “Love, sex and marriage in Ancient Egypt”, Ancient History Encyclopedia [en ligne], publié le 26/09/2016 et consulté le 25/12/2017 : https://www.ancient.eu/article/934/love-sex-and-marriage-in-ancient-egypt/