Le rapport Artprice sur le marché de l’art 2018, est, comme d’habitude, fort lyrique sur un marché qui a « une immense croissance devant lui car il est le marché de la singularité dans un monde où tout est reproductible ». De fait, 2018 montre « un volume de transactions record : 539.000 lots vendus, soit deux fois plus qu’en 2000 ».
Bonne « performance » pour Picasso mais aussi Soulages, dont les prix flambent à l’approche de son centenaire : +1000% de hausse depuis 2000. Plusieurs artistes afro-américains se sont distingués, notamment Kerry James Marshall et la jeune nigériane Njideka Akunyili Crosby, dans les deux cas des peintres. Louise Bourgeois se hisse dans le top 10 des artistes internationaux et le street artist Kaws profite d’une visibilité planétaire.
Bref, tout baigne… sauf que « ces résultats flamboyants remettent en question le fonctionnement même du Marché de l’Art haut de gamme », sic. Que se passe-t-il donc pour qu’Artprice doive avouer que ce marché paradisiaque est menacé ? « La compétition entre les grandes maisons [de ventes] forcent celles-ci à prendre de grands risques pour garantir la vente de lots phares, et les poussent à réduire leurs marges bénéficiaires ».
« Malgré un chiffre d’affaires en hausse, les profits de Sotheby’s ont chuté de -23% », en dépit de la vente du Nu Couché de Modigliani (157 millions $), pourtant un record absolu pour Sotheby’s, la deuxième maison de ventes de la planète, doublée par Christie’s. Mais « les prestigieuses ventes d’art contemporain et d’après-guerre de Christie’s, organisées les 15 et 16 novembre à New York, ont affiché un taux d’invendus de 17% ». Et que trouve-t-on parmi les invendus ? Une sculpture emblématique de Jeff Koons, Cracked Egg (Blue) pour laquelle Christie’s espérait entre 13 et 19 millions de dollars, ou une toile de Gerhard Richter.
Après de spectaculaires progressions, des « stars » de l’art contemporain plongent : par rapport à 2017 Adrian Ghenie affiche -58 %, Mark Grotjahn -62 % et le Chinois Ai Weiwei -83 %. En Chine aussi le marché tangue car le « ralentissement du Marché sur le second semestre est de -7,4 % à l’Ouest et -15,6 % en Chine ». Cependant, 2018 s’est révélée la meilleure année pour la peinture à l’huile et l’art contemporain chinois depuis la crise financière mondiale, avec Zao Wou-Ki en vedette… tandis que la part de la calligraphie et de la peinture traditionnelle chinoise a chuté de 9 %.
Pas un mot, en revanche, sur les exploits du chinois Ye Yongqing, ce professeur au Sichuan Fine Arts Institute qui fait fortune en s’inspirant très fortement (hum !) du peintre et sculpteur belge Christian Silvain, dont les déclarations donnent la mesure de ce magnifique marché de l’art. Silvain a vu une de ses toiles qu’il avait vendue 6000 euros refaite par celui qu’il considère comme son plagiaire et atteindre 100 fois sa valeur initiale dans une grande salle de ventes.
Or Ye Yongqing n’en est pas à son coup d’essai ; naguère il « s’inspirait » de Pierre Alechinsky, mais Christie’s ou Sotheby’s sont trop occupées à rivaliser pour se soucier de ces détails. L’artiste belge les a donc alertées en vain, malgré des comparaisons photographiques qui semblent convaincantes. Las, le chinois vend bien, vend cher et pour l’interdire de vente il faudrait une décision de justice. Or le belge n’a pas les moyens d’engager une longue procédure, en Chine qui plus est, face à Ye Yongqing qui, grâce au travail de l’Européen, peut financer, lui, un cabinet d’avocats ! D’autant que Silvain soupçonne des liens avec la mafia chinoise et un possible blanchiment d’argent.
Il faut donc corriger l’enthousiasme d’Artprice : le marché de l’art très contemporain est « le marché de l’irrégularité dans un monde où tout est reproductible » et… connecté !
Christine Sourgins