Du 9 au 13 juillet dernier s’est tenu à Paris un événement tout à fait considérable dont personne n’a parlé : The Fossil Week. Organisé par la Sorbonne, le Muséum et le CNRS, ce congrès a pourtant réuni plus de 1200 participants venus de tous les continents présenter leurs recherches dans 43 séances thématiques où tous les types de fossile des plus anciens aux plus récents ont eu leur moment de gloire : micro-organismes, invertébrés, vertébrés, végétaux. Alors pourquoi cette réunion n’a-t-elle eu aucun écho ?
Il serait trop facile d’invoquer la concurrence déloyale des demi finales de la Coupe du Monde de Football : sport physique et sport cérébral trouvent chacun leur public, et même souvent le partagent. Mais à une condition : que le spectacle soit attrayant. Et d’évidence la Fossil Week, en dépit de son intitulé ronflant, n’a pas su emballer. Pourquoi ?
Retiré de la vie paléontologique active, je n’avais suivi la préparation de ce congrès quadriennal que de très loin. Son maître d’œuvre est une société philanthropique internationale, la Paleontological Society, qui publie plusieurs revues spécialisées, organise des programmes de recherche, accorde des bourses aux débutants et des honneurs aux anciens.
A Paris, le pays qui a vu naître Cuvier, c’était la cinquième réunion de ce type depuis la première tenue à Sidney en 2002, puis Beijing en 2006, Londres en 2010, Mendoza en 2014. Et les savants des quatre coins du monde étaient au rendez-vous pour une belle photo de groupe.
En consultant le volume des résumés très… volumineux, 1127 pages, j’ai eu un début de réponse à cet insuccès flagrant où une science très populaire auprès de tous les publics s’en est vue priver. Hors les cinq conférences clés faites par de grands savants, pour le reste mon opinion est faite : ce n’était pas un congrès de paléontologie tourné vers le public comme toute fashion week doit l’être, mais un karaoké de paléontologie pour professionnels de la profession. Autrement dit promis à un grand ratage.
Chacun est arrivé avec sa petite chanson, bien souvent une rengaine, l’a débitée devant son public de spécialistes, puis est reparti avec l’impression du devoir accompli. Comme les sessions étaient éclatées en divers lieux à l’échelle du 5ème arrondissement, jardins compris, les rencontres n’ont pu qu’être rares. Espérons qu’elles furent de qualité.
Sans lire tous les résumés, j’ai effectué des sondages sur le sujet qui me tient à cœur, les Mammifères. Très peu de nouveautés, plutôt des compléments et mises au point. Surtout, ce qui surprend est la prédominance des travaux analytiques. Il est vrai qu’à y regarder de près, tout fossile révèle un système pileux très développé, et sa quadripartition n’est pas un exercice difficile.
Depuis Jansen, et grâce à son microscope (1590), on ne cesse de détailler avec plus de précision l’anatomie du vivant et aussi celle des fossiles. C’est en 3D aujourd’hui que se révèlent les moindres détails des objets de la nature, sans parler des analyses pointues qui peuvent renseigner sur leurs mœurs alimentaires.
Cela donne lieu à des tableaux de chiffres, des graphiques et des illustrations aussi époustouflants que les descriptions qui suivent sont lassantes et arides. Malgré ce, ce type de « travail » dans les revues scientifiques tient le haut du pavé et, pour beaucoup de ses protagonistes, serait même le nerf de sa guerre contre l’ignorance !
Pour l’heure, il fait surtout le bonheur des directeurs d’études qui saucissonnent à l’envie dans leurs troupeaux de postulants paléontologues ces bribes que l’on dénomme pompeusement « sujets d’étude ». Mais attention, il n’y a pas qu’en paléontologie que ce mal du siècle né dans les agences de recherche s’est propagé : toutes les disciplines en souffrent, et hélas s’en accommodent, car leur survie est en jeu : publish or perish, n’est-il-pas ?
Heureusement, le volume de résumés de la Fossil Week révèle aussi des mises au point et réactualisations qui sont autant d’éclairs lumineux sur des moments ou des nœuds intemporels où l’histoire de la vie a basculé chez tel ou tel groupe animal ou végétal. Et je me languis de lire in extenso ces développements que l’on nous promet dans plusieurs têtes de chapitre.
Il reste regrettable que les organisateurs n’aient pas su attirer l’attention du public français sur certains des résultats de la recherche paléontologique qui ne demandent qu’un minimum de valorisation. Pour exemple, la richesse biologique des ambres, les aventures sous marines de divers mammifères et reptiles, et cette huppe de Messel de 40 millions d’années qui nous révèle les nuances de son plumage.
Et ce ne sont que trois exemples parmi une foultitude de ces merveilleux fossiles qui le temps d’un sein nu ont tenu la vedette lors de ces journées. Pourquoi ne pas en avoir saisi quelques uns pour les présenter au public français dans les médias de grande audience et les journaux ?
Quant au ton général des réunions, je l’ai déjà dit, il y eut bien trop de données analytiques déversées à ce congrès. Il est vrai que d’évidence ni Cuvier, ni Simpson, ni Gould n’ont trouvé de successeur. Mais tout de même il y avait Andrew Knoll pour présenter les premiers temps de la Vie.
Au final ce fut une belle occasion manquée, un beau ratage, alors que tous les éléments étaient réunis pour faire de cette Fossil Week une fête de la Paléontologie.
Jean-Louis Hartenberger