Après un François Hollande lyrique qualifiant la fondation Vuitton de « morceau d’humanité », les journalistes sont revenus sur les conditions de réalisation de cette œuvre de l’architecte Frank Ghery dans le Bois de Boulogne. Le projet ne respectait pas la charte des Bois, le Plan Local d’Urbanisme n’y autorisant pas de construction de plus d’un niveau, ce qui est un peu bas de plafond pour réaliser le « grand geste architectural » rêvé par Bernard Arnault. Que croyez-vous qu’il arriva ? Que le mécène et son architecte ont revu leur copie pour respecter la Loi ?
Non, en 2011, la Loi changea exprès et par le biais d’une pratique scandaleuse : le « cavalier législatif », qui consiste à introduire des dispositions qui n’ont rien à voir avec le sujet traité par un projet de loi (le livre numérique en l’occurrence). Ainsi, les opposants ne sont pas au courant et, « ni vu ni connu, j’t’embrouille ». C’est Frédéric Mitterrand, ministre de la Culture, autre grand lyrique, qui va déposer cet amendement sur mesure, fort cavalier pour une démocratie. M. Arnault eut ainsi les coudées franches et le projet, arrêté en justice par les riverains, repartit. Oui mais c’est un généreux mécène, il serait inconvenant de lui reprocher de nous léguer ce « morceau d’humanité » !
Sauf que ce morceau est défiscalisé, depuis la Loi Aillagon de 2003, à hauteur de 60 % et qu’il est difficile d’obtenir des chiffres, tant la culture de l’opacité est répandue… dans la Culture, ou ce qui en tient lieu. Ainsi les chiffres des embauches de LVMH semblent, d’après l’enquête, bien surévalués. Combien a coûté la fondation Vuitton ? Officiellement, 100 millions… le prix du rêve. Oui, mais les journalistes ont découvert (après ceux de Marianne) qu’entre le montant officiel et la réalité, il y a un léger décalage : coût total, 800 millions dont 480 défiscalisés, c’est-à-dire payés par le contribuable qui fait un joli cadeau au mécène. Il n’y a pas que Koons qui aime nous faire des cadeaux payants, c’est une constante en matière de mécénat, qui fonctionne comme une vente forcée, imposée aux contribuables.
Là, commence le plus gratifiant du reportage « Pièces à conviction » de France 3 : le député qui a poussé le « cavalier » n’est pas au courant des conséquences financières : « Si j’avais su, je ne l’aurais pas fait », dit-il. La suite du reportage ne montre pas ce qu’autrefois on appelait « des idiots utiles », non, mais de braves gens « qui n’ont pas les chiffres en tête », comme M. Renaud Donnedieu de Vabres, pourtant l’un des cinq administrateurs de la Fondation Vuitton : incompétence ? Cynisme ?
Et M. Aillagon, à l’origine d’une Loi sur le mécénat qui dérape (le coût de la dépense fiscale explose depuis 2004, multipliée par 7,7 ) : pas au courant non plus ! Seule Aurélie Filippetti parle sans langue de bois, mais elle n’est plus ministre, cela aide : elle ose dire que la générosité de ces mécènes est piochée dans la poche d’autrui. A quand un plafond de la défiscalisation pour cause de mécénat ? Lors du débat final, une intervenante souligna que le montant de l’évasion fiscale est équivalent à celui de notre déficit. (Mais c’est le contribuable qui est sans cesse culpabilisé d’être dépensier, resquilleur, etc !). Faudra-t-il créer un délit d’abus de mécénat ?
Pour notre part, nous proposerions plutôt de créer un anti-prix pour les mécènes abusifs : le prix Bobi. Non pour l’assonance avec bobard, mais en référence à ce personnage du roman Que ma joie demeure. Bobi est un chic type, généreux. « Oui, commentait l’auteur, Jean Giono, il est généreux mais du bien des autres ». Attitude fort répandue chez nos grandes consciences…
Christine Sourgins
www.sourgins.fr
Le livre de Christine Sourgins, Les mirages de l’Art contemporain, sera disponible en librairie le 24 mai, avec cinquante pages supplémentaires sur l’Art financier.