Telle que nous la connaissons aujourd’hui, empreinte de sagesse, de culture et d’exotisme, l’Inde nous est présentée dans Le Dernier Vice-Roi des Indes à un moment clef de son histoire : lorsqu’elle obtient son indépendance en 1947. La réalisatrice de ce long métrage n’est autre que Gurinder Chadha, Britannique de nationalité et Indienne de par ses origines. Elle fait par ailleurs un hommage à sa grand-mère à la fin du film, dédié au courage de son aïeul qui réussit à sauver sa vie, ce qui permettra à la réalisatrice de voir le jour… L’œuvre arrive-t-elle à dépeindre objectivement la situation de l’Inde de 1947 ou prend-elle quelques libertés ? Décodage.
Une base historique prenante
La réalisatrice reconnaît elle-même avoir pris quelques libertés vis-à-vis de la réalité historique. Le film débute donc en 1947 et nous transporte au moment de l’arrivée de Lord Mountbatten et de sa famille au palais du vice-roi à Delhi. Celui-ci est chargé d’accompagner l’indépendance de l’Inde afin que celle-ci se déroule dans les conditions les plus favorables. Il nous apparaît éminemment sympathique, et l’acteur, Hugh Bonneville, connu pour avoir interprété Lord Grantham dans la série à succès Downton Abbey, joue remarquablement bien le rôle que la réalisatrice lui a confié. On voit donc la famille du vice-roi et celui-ci soucieux de s’attirer les bonnes grâces et s’efforçant de pacifier une situation extrêmement compliquée.
Car l’Inde de l’indépendance n’est pas l’Inde sans violence que prônait Gandhi. En effet, les différentes communautés s’entre-déchiraient afin d’obtenir l’arrangement le plus favorable possible à leur cause : les musulmans, les sikhs et les hindous ne parvenaient pas à s’entendre, notamment leurs représentants dont les plus fameux étaient Jinnah et Nehru. Les hindous ne veulent pas d’une partition de l’Inde, mais les musulmans souhaitent un État à eux, État où ils ne seraient pas soumis aux hindous en majorité écrasante, mais uniquement à leur propres lois. Cette dissension fera près d’un million de morts en l’espace de trois mois seulement et les conséquences de la partition de l’Inde en deux États indépendants forcera les Indiens à se déplacer massivement pour rejoindre l’État leur correspondant. Quinze millions de personnes au total, de fait, sûrement le plus grand exode de populations sur un si court laps de temps.
La grande réussite de ce film est de rappeler cet épisode de l’histoire indienne, en la mêlant de scènes plus légères sous la forme de l’amour impossible entre une musulmane et un hindou. Les passages où l’on suit Lord Mountbatten sont aussi intéressant, car on voit une volonté de ce dernier de sauver ce qui peut l’être ainsi que son tiraillement personnel entre sa volonté de sauver l’Inde unie et de trouver une solution afin de faire cesser au plus vite les exactions, les meurtres, les viols et les pillages. Dans le but d’amener le lecteur à comprendre l’Inde, Gurinder Chadha utilise des images d’archives des violences commises à l’époque et les incorpore de façon naturelle à son œuvre.
Elle insiste également sur le fait que la partition est une volonté du gouvernement britannique et que celui-ci pousse Mountbatten à choisir ce camp. Il est également présenté une carte secrète issue d’archives du Cabinet de la Guerre de Churchill. Cette volonté des Britanniques de favoriser la partition s’expliquerait, selon la réalisatrice, par des accords secrets entre le gouvernement britannique et Jinnah. Celui-ci aurait son Pakistan et les Britanniques auraient un rempart entre une Inde à tendance socialiste et une URSS encore très présente. Ils auraient également ainsi un accès au pétrole. Ce message est lourdement martelé. Il est reproché aux Britanniques de diviser les peuples de l’Inde pour mieux régner et être les seuls vainqueurs en 1947, le Pakistan n’étant pas donné comme promis et l’Inde étant morcelée.
Une vision tronquée
La première erreur de ce film est de parler de trois siècles de domination britannique en Inde. La domination de ceux-ci ne devient réelle qu’après la guerre de Sept ans, qui s’achève en 1763. En effet, les Français et les Hollandais furent présent ; la Compagnie des Indes Orientales, fondée au XVIIème siècle, défendue par le Cardinal de Richelieu et organisée par Colbert en est un exemple. La domination des mers était sienne entre 1720 et 1740, bien plus que celle de sa rivale anglaise.
Ce point insignifiant rectifié, penchons-nous sur la trame de fond. Si l’on se réfère à la biographie de François Kersaudy sur Lord Mountbatten, il n’était pas du tout le personnage hésitant qui nous est présenté, mais au contraire un homme de fort caractère qui savait où aller. C’est pour cela qu’il fut choisi comme dernier vice-roi des Indes. Le film est centré, pour ainsi dire, sur ses hésitations et ses incertitudes quant à la solution à choisir. Cela s’éloigne de la réalité psychologique de notre personnage. Une autre erreur est celle qui consiste à présenter les Anglais comme partisans de la partition alors même que les lettres du Major Attlee, alors Premier ministre, montrent une volonté de maintenir une Inde unie. De même, ce fameux document secret du ministère de la Guerre est bien connu aujourd’hui, et il ne contient aucune carte présentant un possible complot entre Jinnah et Churchill. Churchill, qui au passage souhaitait également que l’Inde fût unie. Mais pourquoi avoir présenté cela ?
Cela pourrait peut-être s’expliquer par le mythe auquel semble s’attacher ce film et qu’il essaie en vain de nous faire croire : qu’il existât une Inde pré-britannique, et une union des peuples et des religions la composant. Le vice-roi est, comme son nom l’indique, vice-roi des Indes et non de l’Inde. L’Inde, c’est la partie musulmane, plutôt unie, qui fut un sultanat puis l’empire Moghol ; c’est quelques villages bouddhistes et sikhs, et c’est surtout 565 États princiers indépendants. Il y eut des confédérations, des soumissions, des unions… mais toujours des séparations. La lutte entre l’empire moghol et l’empire marathe en est un exemple, comme il y en a beaucoup. Ainsi, loin d’avoir attisé les séparations entre les peuples, les Britanniques ont d’une certaine façon créé l’Inde telle que nous la connaissons.
Ne nous trompons pas : il y a bien un terreau commun, une culture commune, un même peuple, mais la volonté du film de présenter une Inde unie avant l’arrivée des Britanniques, une Inde où il y aurait eu la paix et la concorde entre musulmans et hindous est tout simplement un mythe. De même, ce bel amour entre la jeune fille musulmane et le jeune hindou, s’il est très beau et très contemporain, du seul point de vue historique semble bien peu probable. On peut d’ailleurs reprocher au film une fin heureuse, qui atténue la force du message. En effet, on est amené à croire que la jeune fille se fait tuer en partant pour le nord de l’Inde, mais à la fin du film, elle réapparaît, miraculeusement rescapée et sauvée par une hindoue, et arrive à retrouver son amour perdu au milieu d’une foule immense de réfugiés. Le message aurait sûrement été plus poignant sans ce happy-end, mais l’on peut comprendre une volonté de ne pas assombrir un film qui prend pour cadre cette partie tragique de l’histoire.
Statut : Conseillé (À condition de se renseigner sur cette période peu connue en France de l’histoire d’une civilisation et d’un peuple ayant réussi à s’arracher à la domination du perfide anglais.)
Guillaume Péguy