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 L’Ennemi de mon ennemi, de Neil Beloufa - Décodeurs 360 | Décodeurs 360
Exposition L'ennemi de mon ennemi de Neil Beloufa au Palais de Tokyo
Auteur de l’article
  Historienne de l’art, spécialisée dans l’étude du milieu de l’art dit « contemporain » et du système qu’il a engendré, elle est l’auteur d’un livre de référence : Les mirages de l’Art contemporain aux éditions de la Table Ronde, réédité en 2018 avec un supplément, « Brève histoire de l’Art financier ». Elle a collaboré à de nombreuses revues : « Conflits actuels », « Liberté politique », « écritique » etc. Elle appartient au comité de rédaction de la revue Commentaire et anime un blog avec une lettre d’information depuis 2009.
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L’Ennemi de mon ennemi, de Neil Beloufa


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L’art contemporain, un capitalisme de l’engagement

Neïl Beloufa est un jeune artiste « lancé »,  nominé au Prix Marcel Duchamp en 2015, sollicité par les biennales,  présent dans de nombreuses collections, dont celles du centre Pompidou ou du MoMA. Un artiste d’art contemporain bien comme il faut, qui, au Palais de Tokyo, réalise « plus qu’une exposition, c’est un monde » nous assure… Le Monde (1), journal bluffé par cette entreprise « titanesque ». Un « dispositif scénographique représentant de façon chaotique et parcellaire la manière dont s’écrit l’Histoire et se légitiment les pouvoirs. », dixit le site du Palais de Tokyo. Les mots « chaotique et parcellaire » sont la légitimation intellectuelle d’une installation attrape-tout qui charrie images ou objets ayant rapport avec le pouvoir. Citons Benoît Hamon affublé des oreilles de Mr Spock, un jeu de cartes à l’effigie de Saddam Hussein, une affiche pétainiste entre deux gadgets à la gloire de Mao, etc. C’est le principe de l’exposition « raton laveur », la poésie en moins. L’artiste avoue pour la première fois en avoir peur : « cette exposition me fait mal car elle est attaquable à tout point de vue ».  Il assure qu’il ne veut surtout pas qu’elle « impose un sens : elle porte en elle l’incohérence et le marasme du monde ».

N’importe qui, ouvrant sa radio, sa télé ou sa tablette, voit se déverser dans son salon, ses yeux et ses oreilles « l’incohérence et le marasme du monde », et pour pas cher. Alors quel intérêt de venir au Palais de Tokyo ?

Il y a un plus, une postmodernité, qu’on n’avait guère vue jusque-là. Car, pour mettre en scène deux lieux communs de l’art contemporain, « l’interchangeabilité des stratégies et des discours »  et « l’ambiguïté permanente entre le bien et le mal », l’artiste recourt à des robots du type de ceux qu’Amazon utilise. Ceux-ci bougent les éléments de l’exposition en permanence « selon un scénario de type algorithmique ». Donc les points de vue changent constamment avec un risque de télescopage dont l’artiste fait mine de s’effrayer. Si les « soldates israéliennes en promo sexy sur Instagram » (sic) entraient en correspondance avec l’affiche pétainiste  ou le simulateur d’un bombardement à Téhéran, il pourrait y avoir un petit scandale (toujours très utile pour la com)… Mais l’artiste est au-dessus d’une programmation de l’indignation et se targue de rentrer en « compétition avec la domination Google, car on propose le même vide, la même ampleur, la même terreur ».

Pauvre Neïl Beloufa, qui a compris qu’un musée d’Art contemporain « participe de l’idéologie libérale globalisante » et que  quand on l’invite « c’est pour critiquer le système, mais aussi pour le représenter » ; « s’il fut un temps où les artistes proposaient des images que le pouvoir ne souhaitait pas voir, aujourd’hui il les suscite, les désire, les consomme, et paradoxalement représente sa liberté à travers elles ». On ne saurait être plus lucide sur l’inutilité de l’art contemporain, faux rebelle et vrai collabo. Voilà un artiste qui le sait, le dit… et pourtant persévère dans l’art contemporain. « Nous les artistes, avons perdu notre liberté, nous sommes serviles, coupés de la société. Pourtant je crois toujours profondément en l’art ». « Moi-même, je suis compromis, lâche-t-il. Il y a peu, je me suis retrouvé à exposer la même année en Iran, au MoMa de New York, à la fondation privée chinoise K11… ». Preuve que personne n’est très gêné par son rêve de « produire quelque chose d’inutilisable ». Le système l’utilise, sinon il ne serait pas au Palais de Tokyo. La machine célibataire de l’art contemporain tourne : le centre y  justifie salaires, subventions et mécénats, les journalistes y gagnent des piges. Il n’y a guère que le public qui n’y gagne pas grand-chose.

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Pour se rassurer Neïl Beloufa a associé « des personnalités extérieures sur des sujets précis ». Parmi les volontaires ayant prêté leur concours, Gustave Courbet. « Quand il peint, depuis son exil en Suisse, un château en expliquant qu’il lui rappelle la prison où on l’a enfermé, il reconnaît que c’est parce que cela se vend particulièrement bien : il capitalise sur son engagement ». Étrange justification par la tradition pour des artistes qui, il n’y a guère, clamaient leur volonté de rupture avec elle. Et bonne définition de l’art contemporain transgresseur et militant : un capitalisme de l’engagement ! Ou comment toucher des rentes de la provoc en tous genres… Autre facette de l’Art financier !

Christine Sourgins
www.sourgins.fr


(1) Emmanuelle Lequeux, « Neïl Beloufa joue à se faire peur avec la propagande », Le Monde du 20 mars 2018, p. 16. Les citations sont tirées de l’article.

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