Les œuvres d’Art contemporain, sont souvent éphémères, voire jetables, montées et démontées suivant leur protocole, elles voyagent sans arrêt autour de la planète ou dans les banlieues, cet « art citoyen » devant créer du lien social. De plus en plus, c’est tout l’art, y compris l’art ancien, patrimonial, qui est traité comme un produit hautement « bankable » ou « communicant ». On a donc développé l’idée de vendre un musée comme une marque et de louer les collections d’art ancien à l’autre bout du monde comme on fait tourner des stocks de marchandises. La Joconde vient d’être emportée dans le mouvement par Mme Nyssen, ministre de la Culture, qui se targue « d’idées un peu disruptives ».
Comment l’idéologie politique met-elle en danger la Joconde ?
La Joconde est donc partante pour Lens. Le maire de la ville, où se trouve une antenne du Louvre, est ravi ; les supporteurs du club de foot de la ville ont fait valoir un argument fort : une banderole géante à l’effigie de Mona Lisa déployée dans le stade. Le but de la ministre : « Mon fer de lance, (est-ce un jeux de mot, « faire de Lens », à la manière de Marcel Duchamp ?) c’est de faire en sorte qu’on lutte contre la ségrégation culturelle, et pour cela, l’un des piliers c’est un grand plan sur l’itinérance. L’offre culturelle, elle existe : pourquoi serait-elle confinée à certains lieux et pas accessible partout par tous ? »
Mona Lisa reprend du service en assistante sociale qui va réduire la fracture sociale ! Voilà ce qui arrive quand nos élites mettent les requins au formol, les vagins de la Reine, les Domestikators et autres Koonseries dans le même sac qu’un panneau de bois où sourit une effigie mystérieuse, miraculeusement rescapée du passé. Or la Joconde est l’une des œuvres si fragiles qu’elles ne devraient plus être déplacées, même à l’intérieur du musée !
C’est la leçon qui fut tirée des dernières bêtises : les voyages aux USA en 1963 (on ne félicite pas Malraux) et au Japon en 1974. Mais les leçons s’oublient et Mona Lisa est sur la rampe de départ. Il n’est pas sûr que la fracture sociale s’en porte mieux mais la com du gouvernement, certainement.
Et Poitiers ? Poitiers qui n’a même pas d’annexe du Louvre, pourquoi Poitiers n’aurait-il pas droit aussi à la tournée Joconde ? Quel mépris ! L’équité l’oblige à passer ensuite à Nice (ville martyre), Montpellier, Brest etc. Sans oublier la Corse : quand on s’appelle l’île de Beauté, on se doit de recevoir la Joconde. Et puis nous sommes en Europe, pourquoi privilégier Lens et ignorer la patrie de Léonard : l’Italie aimerait bien revoir sa petite Mona Lisa. La ministre pense ouvrir un cercle vertueux, elle ouvre une boîte de Pandore. Envoyer la Joconde à Lens, c’est discriminer la terre entière.
M. Martinez, qui eut le courage de s’opposer au Domestikator devant son musée, voit son mandat de directeur du Louvre reconduit ces jours ci, ou pas ; on espère qu’il n’y aura pas de marchandage mandat contre Mona. Car le directeur comme les conservateurs responsables (ne parlons pas des courtisans) doivent être effarés de ces « idées disruptives » qui pourraient nous coûter cher. Peinte sur un mince panneau de peuplier courbé, une fente est visible menaçant le visage. À force de faire joujou avec le patrimoine, il y aura un gros accident, la Joconde reviendra balafrée : émoi au Louvre (Mona Lisa indisponible : un sacré manque à gagner, une restauration peut durer des années) et indignation planétaire contre l’incurie des Français. Le French bashing aura du grain à moudre. Car le Louvre, la France ne possèdent pas la Joconde, non : ils en ont la charge, le devoir de veiller sur elle au nom de l’humanité. Pas d’en faire leur mascotte publicitaire ou idéologique ou un cadeau électoral. On alors c’est qu’ils ne la méritent plus.
Christine Sourgins
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