A l’heure où certains pratiquants du Street-art, comme Stéphane Moscato, prennent conscience que : « Les élus et les architectes se sont aperçus que nos fresques étaient un atout pour attirer de nouvelles populations dans certains quartiers. Nous mettons des pansements de couleur et, en un sens, nous participons au déplacement de certaines personnes en servant les intérêts des investisseurs »¹… on comprend mieux les déclarations de Stéphane Bern ayant, lui aussi, l’impression d’être un « cache misère ».
Celui qui imagina un Loto en faveur du Patrimoine, s’alarme d’une politique lourde de menaces. Les architectes ont déjà dénoncé la Loi Elan, un «“open bar” pour que les bailleurs sociaux fassent comme les promoteurs »². Selon Monsieur Patrimoine « les élus ont voté d’une seule voix pour la loi Elan […] ça fait 120 ans qu’ils veulent la peau des architectes des bâtiments de France, donc ils vont l’avoir ».
Est visé le petit patrimoine en péril, qu’il faudrait rénover, alors que certains élus trouveront plus juteux de le raser pour du flambant neuf. Ce petit patrimoine fait toute la saveur de nos terroirs, il entraîne un tourisme différent, plus « éclairé » que le tourisme de masse qui épuise les sites qu’il sur-fréquente, comme Versailles, (d’où l’absurdité d’y mettre de l’Art contemporain pour faire venir du monde !).
La ministre de la Culture a démenti mais elle est fragilisée par les agrandissements de sa maison d’édition, effectués dans un monument historique… sans consultation d’un architecte des bâtiments de France (et sans déclaration au fisc). Cependant, il se murmure que Mme Nyssen n’a pas personnellement dirigé ces travaux et que l’affaire serait instrumentalisée par sa propre administration ne supportant pas d’être dirigée par quelqu’un qui n’est pas du sérail… A suivre.
Si on croyait un combat pour le patrimoine gagné, c’est bien celui que la classe médiatique remporta en début d’année contre le bouquet de tulipes de Jeff Koons, afin qu’il ne défigure pas l’espace entre le Palais de Tokyo et le musée d’Art moderne de la Ville de Paris. Or, qu’a-t-on pu voir à la devanture du Palais de Tokyo cet été ? Une maison de poupée Barbie géante avec ses couleurs rose et mauve, d’un kitsch digne de Koons, le tout invitant à visiter une exposition consacrée à l’enfance.
En ce moment l’enfantillage fait florès dans l’art contemporain ; peut-être le goût d’une nouvelle génération (?). On se consolera en pensant que le papier peint rosé et le fauteuil bleu turquoise de Barbie ont duré le temps d’une expo, à la différence des tulipes de Jeff qui eurent été éternelles. Mais on se dit qu’il est bizarre que ce petit monde, qui aime toujours autant le kitsch, ait lâché Koons, bichonné à Versailles, au centre Pompidou, au Collège de France… Y aurait-il une cause cachée ?
Ce lâchage pourrait bien être éclairé par l’interview de M. Pinault dans Le Monde cet été³. Les déclarations de ce mécène d’Art très contemporain sur le président Macron, qui « ne comprend pas les petites gens », agitèrent des médias négligeant la suite des propos. Or M. Pinault vient de faire une grande découverte. Il lui a fallu du temps, mais il a enfin compris que : « Jeff Koons se perd dans les cocktails » ! D’où la revente à plusieurs dizaines de millions du Split-Rocker de l’Américain, une pièce achetée 1,5 million.
Mais cette œuvre, à l’origine, ne serait-elle pas une co-production, c’est-à-dire financée avec l’Etat, donc avec l’argent des petites gens ? En tout cas, voilà qui nous éclaire sur les malheurs du bouquet de tulipes de Jeff, qui n’a peut-être plus en France le soutien nécessaire.
Christine Sourgins
¹ Le Monde, 17 et 18 juin 2018, p.19.
² Ibidem, 18 mai 2018.
³ M le magazine du Monde, 23 juin 2018, p.45 et 47.