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 « Plaisir d’offrir » - Décodeurs 360 | Décodeurs 360
Bouquet de Jeff Koons
Auteur de l’article
  Historienne de l’art, spécialisée dans l’étude du milieu de l’art dit « contemporain » et du système qu’il a engendré, elle est l’auteur d’un livre de référence : Les mirages de l’Art contemporain aux éditions de la Table Ronde, réédité en 2018 avec un supplément, « Brève histoire de l’Art financier ». Elle a collaboré à de nombreuses revues : « Conflits actuels », « Liberté politique », « écritique » etc. Elle appartient au comité de rédaction de la revue Commentaire et anime un blog avec une lettre d’information depuis 2009.
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« Plaisir d’offrir »


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Les fleurs du mal

En novembre 2017, l’ambassade des États-Unis et la mairie de Paris avaient annoncé le don du Bouquet of Tulips de Jeff Koons, un cadeau payant. Koons ne donnait que l’idée ; à charge pour la Ville de financer sa réalisation. Des mécènes se sont réunis et l’œuvre serait en cours de réalisation en Allemagne (bonjour le made in France). Mais l’excuse de la mairie de Paris « ça ne coûtera rien à la Ville puisque le mécénat est privé » ne tient pas car les « généreux » mécènes vont pouvoir défiscaliser à hauteur de 66% de leur « don » ! Et c’est donc le contribuable français qui va payer le bouquet, estimé à 3,5 millions d’euros.

Au minimum, car la chose est très lourde : 35 tonnes de bronze, acier inoxydable et aluminium poli. Des travaux de renforcement sont à prévoir pour que le sous-sol du Palais de Tokyo puisse en supporter le poids, immobilisant des espaces d’exposition, d’où un manque à gagner pour le centre d’art (1,5 million dit-on).

Mais c’est d’abord la démocratie qui est en danger : placer une œuvre aussi encombrante, dans un lieu aussi prestigieux ne devrait pas déroger à l’appel à projets, en usage dans la République française. L’opération ressemble à ces cadeaux publicitaires qui ne coûtent guère à ceux qui les écoulent car ils rapportent gros. Ici un emplacement historiquement chargé, avec une grosse visibilité internationale, cela vaut de l’or…

Prendre un placement de produit pour un acte de générosité est gênant pour une municipalité coutumière du gratuit payant. À propos de la future Fondation Pinault, qui verra le jour à la Bourse du commerce, dans un ou deux ans, le Canard enchaîné vient de révéler que la mairie de Paris avait acheté le bâtiment pour environ 86 millions d’euros à la Chambre de commerce et d’industrie de la capitale. Alors que la ville l’avait concédé en 1949 à cette même Chambre pour… un franc symbolique. On a un gros besoin de lunettes à la mairie !

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À l’heure où les rats prolifèrent, Madame Hidalgo va-t-elle, en plus, semer la perturbation architecturalement et patrimonialement parlant, avec des tulipes géantes (12 mètres de hauteur, 8 de large, 10 de profondeur) dont l’impact visuel va bouleverser l’harmonie entre les colonnades du Musée d’art moderne de la ville de Paris et le Palais de Tokyo ?  Or, tournant historique, des personnalités du monde culturel se rebellent ! Dans une tribune publiée dans Libération, ils pétitionnent contre le projet : de Christian Boltanski, artiste d’AC, à Nicolas Bourriaud, un des fondateurs du palais de Tokyo en passant par l’ancien ministre de la Culture, Frédéric Mitterrand¹.

L’emplacement choisi les choque particulièrement : placer Koons, qui incarne un art industriel, m’as-tu-vu et spéculatif, devant le Palais de Tokyo dédié aux artistes émergents et à la scène artistique française… c’est comme ériger une statue à la gloire de Conan le Barbare devant une salle de cinéma d’art et d’essai où l’on vénère Godard. Vue la fronde, la ministre de la Culture, Françoise Nyssen, a demandé des « études complémentaires ».

Une solution simple serait de déplacer ce bouquet qui n’a aucun rapport avec le lieu des attentats qu’il entend commémorer, mais Koons s’y refuserait certainement. Autre moyen de valider la générosité koonsienne : pourquoi ne pas affecter le produit de la vente des tulipes aux familles de victimes² ? Sinon, on va droit à «  j’irai banquer sur vos tombes »

D’ailleurs, est-on sûr qu’il s’agisse d’un bouquet de tulipes ? Elles sont tellement stylisées qu’elles ressemblent à d’obèses bâtons de dynamite munis d’une mèche. Un comble quand on entend consoler la population d’une vague d’explosions criminelles. Est-ce un zeste de cynisme dont Jeff  serait bien capable – car on sait qu’une œuvre d’art contemporain réussie (version AC) doit être transgressive. Selon la maxime de Marcel Duchamp, « ce sont les regardeurs qui font les tableaux » donc ce sont les regardeurs qui font les tulipes ! Et beaucoup commencent à les trouver vénéneuses…

Christine Sourgins
www.sourgins.fr


¹ Des conservateurs, curateurs, commissaires d’exposition dont certains, ne soyons pas dupes,  ne rechignent pas en général aux délices de l’art financier ; Alexia Fabre, Catherine Grenier, qui officia longtemps à Beaubourg, ainsi que Marie-Laure Bernadac. Des collectionneurs Antoine de Galbert, fondateur de la Maison rouge, ou le cinéaste Marin Karmitz. Dominique Perrault, architecte, le réalisateur Olivier Assayas… Stéphane Corréard, directeur du salon Galeristes, à l’origine de cette pétition contre l’installation (dont l’épouse est conseillère auprès du Premier ministre comme nous l’apprend le Monde du 25 janvier, page 16). Il y a d’ailleurs une élue, vice-présidente de la commission des Finances, Émilie Cariou, députée (LREM). Mais il y a aussi, à ne pas mettre dans le même sac, le courageux Alexandre Gady, président de Sites et Monuments, ardent défenseur des paysages…

² C’est une internaute qui a posté l’idée au bas d’une pétition lancée par Françoise Monnin, rédactrice en chef d’Artension, qui a réagi bien avant les caciques de la Culture. Pour la rejoindre : cliquez.

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