Docteur en Histoire contemporaine, professeur de géopolitique et essayiste, Alexandre Del Valle étudie l’islamisme, le terrorisme et les conflits de civilisation entre l’Occident et le monde arabo-musulman. Co-fondateur de l’Observatoire géopolitique de la Méditerranée, basé à Chypre, il est chercheur-associé au Center of Political and Foreign Affairs et à l’Institut Choiseul. Il vient de publier La Stratégie de l’intimidation, aux Editions l’Artilleur.
Le 22 mars, vous publiez le livre La Stratégie de l’intimidation. Quels intérêts cette stratégie sert-elle ?
La réponse est en partie révélée dans le sous-titre de mon livre : Du terrorisme jihadiste à l’islamiquement correct. Cette stratégie vise à conquérir et islamiser le monde. Je distingue deux méthodes : l’action violente des mouvements islamo-terroristes et l’action apparemment non-violente des pôles institutionnels, autrement dit les lobbies et les groupes terroristes.
C’est finalement la distinction entre la stratégie des Frères musulmans et celle d’Al-Qaïda ou de Daesh.
C’est cela. Les deux intimident. D’un côté, ceux que j’appelle les « coupeurs de langue » font taire. Sous couvert de lutter contre l’islamophobie, ils diabolisent ceux qui critiquent l’islam et les sources coraniques et chariatiques de la violence jihadiste. C’est notamment le cas du CCIF (Collectif contre l’islamophobie en France), des Frères musulmans… Ceux que j’appelle les « islamistes institutionnels » : Arabie saoudite wahhabite, Turquie néo-ottomane du sultan Erdoğan, mouvances indo-pakistanaises comme le Tabligh, Ligue islamique mondiale, ISESCO (Islamic Educational, Scientific and Cultural Organization) et Organisation de la coopération islamique. Dans les premiers chapitres du livre, j’analyse toute la stratégie conquérante de ces pôles institutionnels, respectables, qui ont pignon sur rue chez nous, et qui distillent un sentiment de « paranoïa communautariste » chez les musulmans d’Europe et de France.
Je démontre, textes à l’appui, que ces pôles prônent le repli communautaire, le refus des mœurs des « mécréants » autochtones et qu’ils font passer leurs doléances obscurantistes et suprémacistes pour un « droit à la différence », cela au nom d’un antiracisme dévoyé. Je démontre aussi, dans la seconde partie de l’ouvrage, les motifs qui font converger ou qui unissent ces islamistes institutionnels et les forces « islamiquement correctes » de « gauche » ou bien-pensantes. Ceux-ci sont leurs complices, leurs « idiots utiles ».
Ce sont des forces qui ne se limitent pas à d’extrême-gauche, même si celles-ci sont les plus virulentes dans le cadre de l’alliance révolutionnaire entre rouges et verts face à l’Occident honni. Je montre que les lobbies et milieux intellectuels « islamiquement corrects » luttent davantage contre l’islamophobie que contre l’islamisme et que leur stratégie habile consiste à désarmer et faire taire tous ceux qui tentent de résister au totalitarisme islamiste institutionnel ou de dénoncer les bases légales coraniques et juridiques sacrées du jihadisme.
J’ai nommé ce phénomène la « plenelisation des esprits », en référence à Edwy Plenel¹, cofondateur et président de Mediapart. Cette alliance entre les totalitarismes rouge et vert est ancienne. C’est l’alliance entre Tariq Ramadan et Edwy Plenel. Elle sert la volonté des forces d’extrême-gauche de déstabiliser l’État bourgeois chrétien. Les actions du NPA (le Nouveau Parti Anticapitaliste, créé en 2009) ou d’Olivier Besancenot en faveur de la burka et du burkini corroborent cela. L’extrême-gauche trouve des excuses aux islamistes, surtout après les attentats, en refusant tout lien entre islam et violence.
Les « coupeurs de tête », ceux qui tuent au nom de l’islam sont soutenus par les « coupeurs de langue » (ceux qui empêchent de désigner l’ennemi et de décrire les sources sacrées de la violence islamiste). Ceux-ci transforment l’acte terroriste, une occasion de remettre en question la violence chariatique, en une opportunité de faire passer les musulmans pour des « victimes de l’islamophobie ». Ils dédouanent ainsi les islamistes. Ils transforment un événement violent en occasion de culpabiliser ceux qui critiquent l’islam et de faire la pub en faveur d’un islam modéré, tolérant qui n’aurait de ce fait RIEN à se reprocher, d’autant que les musulmans seraient un bloc sans tâche et victime des bourreaux « islamophobes » laïques et judéo-chrétiens…
Vous soulignez l’alliance ancienne entre communisme et islamisme radical ; néanmoins, pendant la Guerre froide, l’URSS soutenait davantage les régimes laïcs, comme l’Égypte de Gamal Abdel Nasser et la Syrie de Noureddine al-Atassi, puis d’Hafez el-Assad…
En effet, pendant la Guerre froide les Soviétiques étaient plus proches des nationalistes arabes, quand les États-Unis et les milieux atlantistes s’alliaient volontiers avec les forces islamistes ancêtres d’Al-Qaïda. Le retournement a lieu en 1991, lors de la guerre du Golfe, avec l’occupation de l’Arabie saoudite, de l’Irak et du Koweït par les forces anglo-américaines. Cela provoque un renversement d’alliances : la mouvance jihadiste bascule alors dans l’anti-américanisme. L’ennemi n’est plus l’URSS, mais les États-Unis — et l’Occident en général. Beaucoup de tiers-mondistes vont alors devenir islamistes.
Voir la Partie II : De « l’islamiquement correct » au « cosmopolitiquement correct »
Voir la Partie III : Qui est l’ennemi ?
Voir la Partie IV : Liaisons dangereuses
Propos recueillis par Alexandra Nicolas
¹ Débat entre Alexandre Del Valle et Edwy Plenel : Que se cache-t-il derrière l’islamisme ? Diffusé sur Salut les Terriens, le samedi 24 mars sur C8 : https://www.dailymotion.com/video/x6gszc9