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 Le FMI est-il uniquement au service des puissants ? - Décodeurs 360 | Décodeurs 360
Banane
Auteur de l’article
Diplômé d’un master en droits humains et spécialisé sur l’Amérique latine, Amílcar Zinica travaille sur les mémoires des dictatures, notamment au Chili. Il étudie également l’Histoire et écrit sur la spiritualité et la philosophie anarchiste.
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Le FMI est-il uniquement au service des puissants ?


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La « guerre de la banane » en Jamaïque, illustration et symptôme d’un système économique défaillant

En août 2021, la Jamaïque a fêté les 59 ans de son indépendance. Néanmoins, si la souveraineté politique britannique a été rompue par les accords de 1962, la dépendance économique de cet État insulaire n’a fait que se renforcer. Retour sur une guerre économique de vingt ans, aux enjeux cruciaux pour les îles caribéennes. 

Quels sont les ressorts de la « guerre de la banane » ?
Quel rôle le FMI a-t-il joué dans l’appauvrissement des producteurs jamaïcains ?

À la fin des années 1990, une plainte portée devant l’OMC par plusieurs gouvernements latino-américains, puis par les États-Unis, aboutit à un conflit économique majeur avec les pays d’Europe occidentale. Derrière cette crise commerciale, plusieurs acteurs entrent en jeu : les États qui s’opposent sur les politiques tarifaires et douanières entourant les bananes caribéennes1, les firmes transnationales états-uniennes qui contrôlent l’essentiel de l’exportation mondiale de bananes-dessert et les instances de régulations internationales, dont l’OMC.

Ce conflit largement médiatisé prit définitivement fin en 2009, suite à un accord favorisant les firmes états-uniennes contre les producteurs caribéens. Le recours à l’OMC entérina la fin des accords prioritaires que l’Union européenne, encouragée en ce sens par les anciens empires coloniaux – France et Grande Bretagne –, entretenait avec d’anciennes possessions, regroupées sous la dénomination « Pays ACP » (Asie, Caraïbes, Pacifique). En 2000, le Traité de Lomé (1975) est ainsi remplacé par l’Accord de Cotonou (Bénin), renouvelable tous les cinq ans, qui met un terme à cet accès préférentiel que les producteurs caribéens avaient sur le marché européen. Suivant les revendications de l’OMC, cet Accord prévoit une libéralisation accrue des échanges et ne protège désormais plus les petits producteurs de la concurrence états-unienne.

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Une émancipation contrariée par la spirale de l’endettement

La Jamaïque est une ancienne possession du Royaume-Uni (1655-1962) et s’est donc intégrée dans l’empire colonial de la Couronne, puis dans l’économie-monde britannique au XIXe siècle. Bien que possession ultramarine de l’empire, elle n’échappe pas aux prospections états-uniennes sur le continent. Durant les trois premières décennies du XXe siècle, l’hégémonie de la « United Fruit Company » (UFC), formée en 1899, est confortée. Des interventions militaires états-uniennes se multiplient pour défendre les intérêts commerciaux de la UFC, comme à Haïti en 1891, au Nicaragua en 1898, au Venezuela en 1902, ou en République dominicaine en 1912. Ce n’est qu’après la Seconde Guerre mondiale que ce monopole se voit concurrencé par de nouveaux acteurs qui intègrent le marché ainsi que par le mouvement de décolonisation tiers-mondiste et anti-impérialiste.

Économie agricole, la Jamaïque exporte des fruits tropicaux, du lait, mais aussi de la viande ou des minerais rares comme la bauxite, et son taux de croissance avoisine les 6 % par an au début des années 1970. Embourbée dans la crise économique du milieu des années 1970, la Jamaïque signe un accord avec le Fonds Monétaire International, censé résoudre les problèmes structurels de son économie : le prêt octroyé prévoit des liquidités à très court-terme avec des taux d’intérêts élevés, empêchant la transformation des infrastructures sur le long-terme. Le gouvernement de Michael Manley est contraint de suivre les experts du FMI et dévalue le dollar jamaïcain, accroissant au passage la dette extérieure, qui passe de huit cent millions de dollars au début des années 1970 à quatre milliards de dollars à la fin des années 1980, puis à sept milliards de dollars au début des années 20002.

L’accroissement de la dette limite les capacités de production de l’économie jamaïcaine, ce qui réduit par conséquent le volume des exportations. La stratégie de court-terme du FMI se trouve dans l’impasse. Les revenus de l’agriculture ne font que diminuer, et l’économie nationale est prise en main par les entreprises états-uniennes qui y exportent des produits de première nécessité, notamment de la nourriture. Face à cette situation, le gouvernement jamaïcain tente de relancer la compétitivité de son agriculture nationale en offrant des subventions à ses producteurs. Néanmoins, il se heurte à l’hostilité du FMI, qui refuse que l’argent octroyé soit de nouveau prêté. L’institution fixe un taux minimal d’intérêt sur les prêts internes de 23 % ; un taux impossible à rembourser pour les paysans. En 1978, le nouvel accord conclu est drastique : réduction des programmes sociaux, dévaluation sans hausse des salaires, suppression des subventions aux produits de première nécessité…

Aussi, des « free zones » productrices sont installées en Jamaïque. Tous les matériaux proviennent des États-Unis mais l’assemblage se fait sur l’île. Les ouvriers travaillent six jours sur sept et perçoivent 30 $US par semaine. Face aux grèves et à la contestation sociale, les propriétaires des énormes hangars où étaient entreposés les ateliers de production décident de fermer leurs portes pour s’installer au Mexique, où la main d’œuvre est moins coûteuse. En ce sens, les investissements de capital étranger voulus par le FMI n’auront pas répondu aux attentes : au lieu de créer des emplois stables, d’améliorer la production, de relancer la croissance et d’investir dans l’économie pour la redémarrer après une période de récession, ces capitaux n’ont fait que passer par la Jamaïque sans s’y installer.

Une économie bananière en proie aux lobbies états-uniens

Le début des années 1990 marque un tournant majeur dans l’organisation du système bananier en Jamaïque. En 1993 se met en place l’Organisation Commune du Marché Bananier Européen (OCMBE), qui continue de favoriser le système préférentiel avec les pays ACP. En 1995, l’Organisation Mondiale du Commerce remplace le GATT et installe de nouveaux principes de réglementation. C’est le moment où émerge la crise : les deux institutions – OCMBE et OMC – suivent des objectifs contradictoires : la protection du marché européen pour la première et la libéralisation des échanges pour la seconde. C’est le début d’un conflit que les contemporains nomment la « guerre de la banane ».

La nouvelle réglementation de l’OMC défavorise les producteurs de bananes jamaïcains, qui sont dénoncés à cause du tarif préférentiel qui les lie à l’Union européenne. Alors que les petits États caribéens ne représentent qu’une très faible part des exportations mondiales, cet accès préférentiel leur garantit entre 15 et 20 % du marché européen. Les pays latino-américains, comme le Honduras ou l’Équateur (1er exportateur en 2004) sont les premiers à se plaindre devant l’institution internationale3. Les lobbys états-uniens, qui contrôlent environ les deux tiers du commerce mondial de la banane, font pression sur leur gouvernement pour qu’une plainte des États-Unis soit officiellement engagée. En mai 1996, le gouvernement Clinton se joint aux protestations des pays latino-américains (Guatemala, Honduras, Panama, Mexique, Équateur) devant l’OMC et exige la fin des accords préférentiels, tout en annonçant des mesures de rétorsion commerciale à l’encontre de l’Union européenne. Les multinationales comme Chiquita, Dole et Del Monte sont les protagonistes de cette stratégie de lobbying permanent.

Un an plus tard, en 1997, l’OMC rend son verdict. L’OCMBE doit mettre un terme aux accords préférentiels qui la lie avec les pays ACP. En 1998 et 1999, des négociations ont lieu : l’Union européenne propose plusieurs projets de réformes, qui sont rejetés par l’OMC. Le conflit se termine finalement lorsque l’Union s’engage à mettre en place un tarif douanier unique pour les bananes à l’horizon 2006. De leur côté, les États-Unis mettent fin aux sanctions imposées. Les nouveaux Accords de Cotonou (2000) sont censés assurer la pérennité des industries d’exportation de bananes ACP alors que le règlement avec l’OMC empêche qu’une véritable politique de l’UE soit mise en place avec les ex-colonies. Le défi est donc considérable pour les pays comme la Jamaïque : en l’espace de quelques années, ils doivent totalement reconfigurer le système bananier dans lequel ils s’étaient intégrés depuis des décennies et restructurer leur économie. En 2009, la « guerre de la banane » prend définitivement fin avec l’accord signé à Genève, lequel doit stimuler le commerce international de bananes par la diminution des droits de douane sur les « bananes-dollars ».

Pour dédommager les pays ACP, une enveloppe de 200 millions de dollars a été prévue par la Commission européenne, mais elle est largement insuffisante pour restructurer l’industrie bananière et la rendre compétitive face aux multinationales implantées sur le continent. Selon Guillaume Daudin, économiste à l’Observatoire Français des Conjonctures Économiques, cité par Le Figaro en 2009, « les États-Unis ne sont pas producteurs, mais 60 % du marché de la banane est contrôlé par les grands groupes américains ». La crise de la banane jamaïcaine a donc permis d’illustrer deux tendances importantes au sein de l’économie mondiale régulée par l’OMC : d’une part, l’organisation s’est montrée particulièrement sensible aux intérêts privés au détriment d’un État souverain ; d’autre part, la représentation des petits États est très difficile à assurer devant l’institution.

Amílcar Zinica

Sources

Ouvrage

KINCAID Jamaica, A Small Place, Reprint Editions, 2000.

Articles spécialisés

BURAC Maurice, « La guerre de la banane dans la Grande Caraïbe », Université des Antilles et de la Guyane, Actes du Festival International de la Géographie : Les géographes redécouvrent les Amériques, 17e édition. Saint-Dié-des-Vosges. 28 septembre-1er octobre 2006.

CLEGG Peter. Conflit de la banane : comment l’OMC marginalise les petits États. In : Alternatives économiques. N°14, 2002.

LAROCHE-DUPRAZ Catherine. Vers une nouvelle réforme de l’organisation commune de marché de la banane. In : Économie rurale. N°261, 2001.

MAILLARD Jean-Claude, « Le commerce international de la banane : marché, filière, système », Les Cahiers d’Outre-Mer [En ligne], 220 | Octobre-Décembre 2002, mis en ligne le 13 février 2008, consulté le 19 avril 2019. URL : http://journals.openedition.org/com/942 ; DOI : 10.4000/com.942

Articles de presse

CHATAIN Jean. « La « banane dollar » est reine », L’Humanité, publié le 14/12/2005. URL : https://www.humanite.fr/node/340564

LANDRIEU Valérie. « Fin de la « guerre de la banane » à l’OMC : les producteurs européens sur leur faim », Les Échos, publié le 18/12/2009. URL : https://www.lesechos.fr/2009/12/fin-de-la-guerre-de-la-banane-a-lomc-les-producteurs-europeens-sur-leur-faim-476710

GUICHARD Guillaume. « La guerre de la banane prend fin », Le Figaro, publié le 15/12/2009. URL : https://www.lefigaro.fr/conjoncture/2009/12/15/04016-20091215ARTFIG00561-la-guerre-de-la-banane-prend-fin-.php

Documentaire

Life and Debt, Stéphanie Black, 2001


1. En 2004, elles représentent environ 60 millions de tonnes produites et 14 millions exportées, selon l’Humanité.

2. Michael Witter, économiste à l’Université des Indes occidentales (University of the West Indies), cité au sein du documentaire Life and Debt de Stéphanie Black, 2001.

3. BURAC Maurice, « La guerre de la banane dans la Grande Caraïbe », Université des Antilles et de la Guyane, Actes du Festival International de la Géographie : Les géographes redécouvrent les Amériques, 17e édition. Saint-Dié-des-Vosges. 28 septembre-1er octobre 2006.

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