Bruno Retailleau et Dominique de Legge
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Parallèlement à son cursus universitaire en Sciences politiques et Relations internationales, Alexandra a renforcé sa rigueur analytique en travaillant pour le ministère des Armées. Passionnée par l’Océan, l’Orient et l’Histoire, elle s’évade au gré des expositions parisiennes et des livres chinés deçà-delà. Dès qu’elle le peut, elle voyage en quête de nouvelles cultures, de grands espaces et de sites de plongée insolites : autant de sources d’inspiration pour ses articles.
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Moyen-Orient : la France est-elle encore crédible ?


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Le regard de deux sénateurs : Bruno Retailleau et Dominique de Legge

Quatre sénateurs se sont rendus en Irak et au Liban du 5 au 10 janvier 2018 afin de mesurer l’application du Plan de Paris (2015), qui visait à préparer les conditions permettant le retour des chrétiens et autres minorités persécutées sur leur terre natale. Il s’agissait également d’observer comment les Irakiens vivaient « l’après Daech ». Le 12 avril, faisant suite à cette mission diplomatique, le groupe d’amitié avec les minorités et les chrétiens d’Orient du Sénat, présidé par Bruno Retailleau, a organisé le colloque « Citoyenneté et justice ».

Nous avons rencontré Bruno Retailleau (sénateur de la Vendée) et Dominique de Legge (sénateur de l’Ille-et-Vilaine), qui ont tous deux pris part au voyage de janvier dernier. Ils font partie de ces 125 sénateurs impliqués dans la défense des minorités et des chrétiens d’Orient.

Voir la première partie : Quand l’avenir de l’Irak s’esquisse au palais du Luxembourg

Ce voyage a-t-il changé votre vision du Moyen-Orient et de la situation des chrétiens d’Orient ?

Bruno Retailleau : Non. Les chrétiens et, de manière générale, les minorités sont persécutés par l’Etat islamique. Ce voyage devait nous permettre de vérifier où elles en étaient.
Ce qu’il en ressort, c’est que l’Etat islamique est un totalitarisme. Un totalitarisme qui a la volonté de détruire les biens, les personnes, les cultures ; d’effacer les moindres traces. Les djihadistes ont détruit les églises et même les images des églises, parfois pluriséculaires, parfois millénaires.

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Ce voyage s’inscrivait dans une nouvelle étape : l’Etat islamique ayant été défait territorialement, les populations persécutées se réinstallaient dans les zones d’où elles avaient été exclues, notamment la plaine de Ninive. Nous en dressons un bilan en demi-teinte, et ce pour plusieurs raisons.

  • Premièrement, on constate l’absence de l’Etat irakien dans l’effort de reconstruction. Cet effort est mené par les communautés religieuses et les ONG.
  • On observe le retour des chrétiens à Qaraqosh, une ville qui était majoritairement chrétienne avant l’émergence de l’Etat islamique. Si les chrétiens retournent dans les villes où ils étaient majoritaires, ce n’est pas le cas ailleurs, notamment à Mossoul. Cela s’explique aussi par les conditions de sécurité. L’incertitude terrible qui règne à Mossoul est une barrière pour la réinstallation.
  • Les chrétiens d’Orient ne constituent plus qu’1% de la population irakienne. Guerre après guerre, persécution après persécution, on atteint un seuil critique. On peut se demander si demain ils seront encore significativement présents dans les zones où le christianisme a précédé de plusieurs siècles l’islam.

Dominique de Legge : C’est une chose de lire et de s’informer dans son bureau, c’en est une autre de percevoir les réalités du terrain. Plusieurs choses m’ont frappé lors de ce voyage. En premier lieu, le fait de mesurer concrètement, sur le terrain, la complexité de l’enchevêtrement des différentes communautés et, dans le même temps, les conséquences de l’absence d’un Etat pouvant exercer ses fonctions régaliennes. Les problématiques de sécurité sont largement déléguées – ce qui n’est jamais sain –, ou assumées par des structures dont les décisions et la hiérarchie ne dépendent pas du pouvoir central. J’ai constaté l’absence d’un Etat tel que nous le concevons en Occident, ce que je n’avais pas perçu avant de partir. Passer des checkpoints ou être pris en charge par une milice, il n’y a qu’en allant sur place que l’on peut prendre conscience de ce que cela implique.

J’ai également été particulièrement frappé par la violence et la haine à l’encontre de tout ce qui exprime une référence chrétienne, qu’il s’agisse de l’expression culturelle, intellectuelle et, de manière générale, l’illustration du progrès de la civilisation. Les destructions de manuscrits du Xe, les incendies de monastères des IVe, Ve et VIe siècles, simplement parce qu’il y a des croix dessus… Tout cela témoigne d’un profond mépris de l’Histoire, du refus d’accepter ce que nous sommes, du rejet de l’héritage de tout ce qui nous a précédés. Il y a une forme de barbarie au nom d’une religion, l’islam. Il faut le reconnaître. Avec notre approche terriblement laïque, on se garde de cette analyse plus fine. On met toutes les religions dans le même panier, on combat toutes les religions comme si elles étaient toutes porteuses du mal, quand cela ne concerne que l’islamisme radical.

Je crois que l’islamisme radical va plus loin que le nazisme. Hitler détruisait pour les besoins de la guerre. – Faire la guerre n’est jamais bon. – Mais Daech détruit même quand il n’y a pas besoin de détruire. Dans des villes vides, où il n’y a plus personne, les djihadistes incendient des églises parce que ce sont des églises. Ils prennent le temps d’incendier pour la seule raison qu’il s’agit de symboles du christianisme. Je ne crois pas qu’il y ait d’autres exemples de cela dans l’Histoire. Si l’on prend le cas des génocides, il est clair qu’Hitler en a tué du monde, que la Révolution française et le bolchévisme ont fait des ravages… Mais même Lénine n’a pas incendié le palais de Saint Pétersbourg ; Daech l’aurait fait. Tous ces dictateurs voulaient écrire l’Histoire, pas forcément la détruire. Daech, c’est la destruction. Malgré la défaite de l’Etat islamique, je suis convaincu que l’idéologie demeure ; ce n’est pas parce qu’on rase la barbe que le cerveau refonctionne…

Ce voyage m’a conforté dans l’idée qu’il faut être pragmatique. La morale est un élément important, mais si on commence à raisonner en termes de démocratie et de moralité, on ne peut pas régler les problèmes. Il faut faire avec les pratiques et les gens présents sur place. Venir avec les valeurs de démocratie et de laïcité de l’Occident, c’est un peu naïf ; ces valeurs ne veulent rien dire pour les communautés locales qui voient une osmose entre le temporel et le spirituel. La laïcité ne veut rien dire pour les musulmans. En Irak, sur la carte d’identité figure la religion, la loi est la charia… On peut le regretter. Cependant, si on arrive avec 2000 ans d’Histoire et des principes sortis de la Révolution de 1789, on peut avoir un débat intéressant, mais non-opérant.

Selon vous, quelle doit être la politique étrangère française sur la question des chrétiens d’Orient ?

Bruno Retailleau : La politique étrangère française doit tenir compte des engagements constants de ses dirigeants depuis longtemps : protéger les chrétiens d’Orient et les minorités dans le Moyen-Orient. L’acte des Capitulations, signées en 1536 par Soliman le Magnifique et François Ier conférait à la France la responsabilité de protéger les minorités dans l’Empire ottoman. Plus tôt dans l’Histoire de France, Saint Louis prêtait serment en ce sens sur la route de Jérusalem. La protection des minorités est une constante. Les différents gouvernements ont toujours insisté pour que les minorités soient soutenues. J’ai soutenu Laurent Fabius pour organiser la conférence de Paris sur les chrétiens d’Orient en 2015. Cette conférence a permis de lever un fond d’aide pour les ONG. Celles-ci mènent des actions concrètes pour secourir les minorités.

Je pense que les chrétiens d’Orient sont ce que sont les abeilles pour l’environnement. Ils donnent de bons indices sur la santé d’une société et sa capacité de tolérance. Je m’aperçois qu’au cours des siècles, ce sont eux qui assuraient le mieux les passerelles et le dialogue entre les différentes communautés. Ils sont nécessaires à la vie civile au Levant.

Dominique de Legge : De nombreux parlementaires sont allés voir Bachar el-Assad, ce qui a été très critiqué. C’était un acte politique. Il faut parler avec le pouvoir en place pour régler le problème ; être pragmatique. A cause de notre attitude d’extrême pudeur de jeune vierge effarouchée, on est en train d’abandonner un territoire, celui de nos origines, le berceau du christianisme. Le christianisme, qui a façonné l’architecture de notre pays, nous a donné de grands maîtres qui ont exalté tous les arts… Au nom de la moralité, on ne discute pas avec Bachar el-Assad. Au nom de la laïcité, on laisse des territoires aux mains de l’Iran et de la Russie. La France est attendue. C’est une des seules Nations capables de mettre tout le monde à la même table. Elle a une responsabilité politique majeure. Le Sénat est là pour le rappeler.

Cependant, en tant que sénateurs, nous n’avons pas de leçons à donner aux dirigeants. Notre rôle, c’est d’essayer d’éclairer l’Etat français pour qu’il agisse. La France peut peser, que ce soit par la carotte ou par le bâton. Il devait se tenir une conférence en France sur la question des reconstructions après le départ des djihadistes, mais celle-ci a été reportée… Sans parole forte et action déterminée dans tous les domaines, nous ne sommes pas crédibles. Les Russes sont plus présents en Syrie que les Français. Pendant trois ans, nous n’avons pas aidé les Syriens à cause de Bachar el-Assad. S’il n’est pas fréquentable, il représente un moindre mal pour les minorités chrétiennes.

Le Sénat a-t-il une influence sur la politique étrangère de la France ?

Bruno Retailleau : Notre rôle, c’est de veiller à rappeler constamment au gouvernement ses responsabilités vis-à-vis des chrétiens et des minorités. On peut déplorer la politique étrangère inappropriée de la France, qui, sous le précédent quinquennat, l’a exclue de l’échiquier syrien. Je pense que la France a un rôle important à jouer en Irak, traversé par plusieurs lignes de fracture. D’une part, une fracture religieuse, au sein de l’islam, entre sunnites et chiites. D’autre part, une fracture millénaire, entre Arabes et Perses, qui explique en partie les tensions avec l’Iran. Contrairement aux Etats-Unis, la France n’a pas cautionné la guerre en 2003. Elle en retire un crédit important, qui j’espère ne sera pas amputé par les frappes en Syrie. Si elle veut peser au Moyen-Orient, elle doit peser sur l’Irak.

Dominique de Legge : Le Sénat est cantonné au domaine législatif. L’exécutif a les responsabilités, les fonctions régaliennes, quand le Parlement doit faire la loi et contrôler l’action de l’Etat. Le Sénat peut exprimer des demandes, contrôler l’action de l’Etat, exprimer des opinions… Mais la France s’exprime d’une seule voix. Le Sénat n’a pas de mandat, pas de moyens pour déclencher une aide humanitaire, mobiliser une armée, siéger à l’ONU… Il n’y a pas de diplomatie parallèle. Il y a nécessité pour le Sénat d’assumer la responsabilité de législateur et de contrôleur de l’action du gouvernement, notamment en se rendant sur place pour apprécier un certain nombre de choses. En l’occurrence, la manière dont les forces armées mobilisées agissent, la manière dont les crédits votés pour l’aide humanitaire s’organisent… En ce qui concerne le vote, ces crédits sont proposés dans le cadre du budget. On peut les majorer en prenant ailleurs, mais c’est complexe, surtout avec l’utilisation du 49-3. […] Il n’y a pas de politique étrangère du Sénat ; il y a une politique étrangère de la France.

In fine, pourquoi s’impliquer en Irak ?

Plus qu’une caractéristique de notre politique étrangère, la défense des minorités du monde arabe participe de la défense des valeurs qui nous animent et qui structurent notre identité nationale. Christian Cambon, Président de la Commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées du Sénat, rappelle en effet que « l’Histoire de ces communautés […] est aussi au fond la nôtre », dans la mesure où « la civilisation occidentale est le fruit d’un essaimage du Moyen-Orient ». La marginalisation et la diabolisation des chrétiens d’Orient, qui ont « sempiternellement été considérés comme des ennemis de l’intérieur » ne saurait être ignorée ; les juifs d’Europe faisaient l’objet du même rejet dans les années 1930, ce qui a par la suite justifié les pires atrocités. Monsieur Cambon maintient cependant que « l’Europe ne se veut pas donneuse de leçons », mais souhaite apporter son témoignage pour éviter que l’Histoire ne se répète.

« Nous avons été partenaires dans la bataille, nous devons être partenaires dans la paix. », poursuit le Président de la Commission. « Notre pays dispose d’une bonne image, nos forces au sol et nos forces aériennes ayant pris part aux combats. » Une image à ne pas ternir. La chute de l’Etat islamique est un tournant. Les combats militaires laissent place aux luttes politiques ; le vide laissé par Daech ne tardera pas à être comblé. Et le chaos tend à favoriser la prise de pouvoir des extrémistes et des autocrates. Les enjeux et les défis sont donc immenses. « On estime à plus de 70 milliards d’euros le coût de la reconstruction des secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et des filières agricoles. » Et comment estimer le temps nécessaire à la reconstruction des millions d’hommes, de femmes et d’enfants traumatisés par la guerre ? A l’évidence, seul un régime respectueux des libertés pourra panser les plaies des Irakiens et leur assurer un avenir serein.

Aux yeux de Christian Cambon, « Les conquêtes militaires ne seront décisives que si elles permettent le retour des réfugiés. Cela doit s’accompagner de l’accessibilité de toutes les minorités religieuses à une citoyenneté pleine et entière dans un Etat de droit où règne la justice. »

Voir la première partie : Quand l’avenir de l’Irak s’esquisse au palais du Luxembourg

Propos recueillis par Alexandra Nicolas


¹ Citations issues du discours de clôture de Christian Cambon, prononcé lors du colloque du 12 avril 2018.

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