Donald Trump et Jim Mattis, ancien ministre de la défense des États-Unis
Auteur de l’article
  Pierre Guerlain est professeur émérite à l'université Paris Nanterre. Son champs d'expertise est la politique étrangère des Etats-Unis. Il travaille aussi sur la vie politique américaine et l'observation transculturelle. Il publie des articles sur les Etats-Unis dans divers médias.
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Qui veut la guerre aux Etats-Unis ?


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Trump, la Syrie et les perroquets du Pentagone

Le 19 décembre 2018, le président américain a annoncé qu’il allait retirer les troupes américaines présentes en Syrie, soit environ 2000 soldats. Cette décision, qui n’a pas tenu longtemps avant un rétropédalage, moins de deux semaines plus tard, a provoqué des réactions indignées de la part des commentateurs des médias dominants de qualité, quasi-unanimes. Le ministre de la défense, Jim Mattis, a donné sa démission, ce qui a fait de ce ministre démissionnaire un héros instantané des médias.

L’indignation et les accusations visant la décision de Trump sont venues tant du côté des Démocrates que des Républicains. Pour Hillary Clinton, la décision était un signe d’isolationnisme, donc de faiblesse qui avantageait l’État islamique, la Russie et l’Iran, ce qui mettait la sécurité des États-Unis en danger. Clinton ne mentionnait pas la Turquie, premier bénéficiaire de cette décision, et en mettant Daech, la Russie et l’Iran dans le même sac, elle a affiché sa confusion puis a ajouté une contre-vérité car la sécurité nationale des États-Unis n’est pas en jeu.

Du côté républicain, Lindsey Graham a considéré qu’il s’agissait d’une « erreur à la Obama », probablement en référence au refus de l’ancien président de bombarder la Syrie en 2013, sûrement pas à sa décision de 2015 d’envoyer les troupes qu’il s’agit aujourd’hui de retirer.

Ce consensus médiatique ne correspond pas aux opinions des Américains qui sont très divisés sur la poursuite des guerres américaines. Ainsi, un sondage du très sérieux Pew Research Center d’octobre 2018 montrait qu’une majorité relative considérait que la guerre en Afghanistan était un échec. Le parti de la guerre, comme l’on dit dans la gauche radicale américaine comme chez les libertariens, ne reflète pas les opinions majoritaires mais surtout celles des classes dominantes et des médias qu’elles contrôlent.

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Le ministre de la défense Mattis est connu par son sobriquet « Mad Dog Mattis » qu’il doit à ses déclarations et actions sur le terrain des deux guerres américaines en Afghanistan et en Irak. Sur l’Afghanistan, il a notamment déclaré à San Diego en 2005 : « It’s fun to kill some people » (« c’est marrant de tuer certaines personnes »). En 2003, il avait donné ce conseil à ses troupes en Irak : « Soyez polis, soyez professionnels mais ayez un plan pour tuer tous ceux que vous rencontrez ».

Le nouveau héros de la résistance à Trump est donc un général qui prend plaisir à tuer tout le monde. Il était supposé être un des « adultes » canalisant Trump le président ignare et impulsif ; ses déclarations laissent cependant supposer qu’il est plus proche d’un psychopathe criminel que d’un adulte réfléchi et modéré.

Qu’a donc dit ce « chien fou » héroïque résistant à Trump dans sa lettre de démission ? Il a repris une terminologie de la guerre froide utilisée en son temps par Bill Clinton : « Les États-Unis restent le pays indispensable dans le monde libre » (« the US remains the indispensable nation in the free world »).

En anglais, le contraire du mot « indispensable » est « dispensable », c’est-à-dire « pas nécessaire, jetable ». Clinton comme Mattis disent donc au reste du monde qu’il est secondaire, pas essentiel ou nécessaire. Ailleurs dans la lettre, Mattis parle de « respect pour les alliés », ce qui ne cadre pas avec la vision typique de l’exceptionnalisme américain qu’il défend et qui établit une hiérarchie des pays avec les États-Unis au sommet.

Pour Mattis, les deux ennemis des Etats-Unis sont la Chine et la Russie et, comme tant d’autres responsables américains, il ne semble pas comprendre que les actions des États-Unis favorisent et renforcent la création d’un bloc sino-russe qui est en train de changer les rapports de force à l’échelle planétaire. Ces considérations géopolitiques sont abordées dans un article Patrick Cockburn.

Le consensus opposé au retrait des troupes américaines de Syrie, au nom d’objectifs contradictoires, de la protection de la Syrie ou des Kurdes, de la lutte contre Daech, l’Iran ou la Russie, passe sous silence un certain nombre de faits. La résistance à Trump, qui est un président désastreux, dit vénérer les faits alors que Trump, en menteur avéré et conman (escroc) patenté préfère les « faits alternatifs » ou les « hyperboles véridiques ». Rappelons quelques faits opportunément oubliés ou tus par les perroquets du Pentagone qui vénèrent Mattis.

Les États-Unis sont présents en Syrie de façon illégale : pas de mandat de l’ONU, pas de vote au Congrès et pas d’invitation de la part des autorités légitimes du pays. Ces faits sont utilement rappelés par un député californien Ro Khanna qui dit approuver la décision du Trump d’avant le rétropédalage.

La classe médiatico-politique qui clame son amour du droit international, lorsque la Russie le viole en Crimée, se tait sur ce même droit lorsqu’il s’agit d’approuver une intervention américaine ou occidentale. Les choses sont identiques en France, un pays qui n’a pas non plus de mandat pour intervenir en Syrie. Aux États-Unis, le droit américain est lui-même violé mais seuls quelques responsables en parlent.

Des médias de gauche ou de centre-gauche (libéraux aux États-Unis) comme le New York Times, MSNBC, Le Monde ou Mediapart se taisent sur une violation du droit et adulent un tueur qui se vante d’aimer tuer. La détestation de Trump, fort compréhensible étant donné le caractère abominable du personnage, conduit à une paralysie intellectuelle et à une mise entre parenthèse des principes éthiques auxquels ces médias disent tenir : respect du droit, respect des faits, préférences pour des politiques de paix et décentes.

Le régime d’Assad est, bien évidemment, meurtrier mais ce n’est pas une raison pour aduler d’autres types de tueurs. Trump a dit approuver la torture lors de la campagne de 2016 et il a choisi celui qu’il a lui-même affectueusement appelé « Mad Dog Mattis » car il aime les militaires machos et les hommes forts.

L’opposition entre Trump et Mattis n’est pas une opposition entre un président ignare et pervers, d’une part, et un adulte responsable qui sait mener les affaires d’État, d’autre part. Au contraire, il s’agit d’une opposition entre, d’un côté, un impulsif qui comprend les relations internationales comme un jeu à somme nulle entre pays dans lesquelles les États-Unis sont traités comme des « suckers » (« poires, quiches ») par ceux qui veulent les utiliser dans leurs combats et d’un autre côté, un représentant attitré du complexe militaro-industriel pour qui les guerres perpétuelles sont des occasions de faire des bénéfices. Trump a d’ailleurs explicitement présenté sa conception lors de sa visite aux troupes américaines en Irak à Noël 2018.

Pour comprendre cette opposition, qui n’a rien à voir avec le récit mystificateur avancé par les médias dominants qui font partie du « parti de la guerre », il vaut mieux lire l’excellent roman de Roberto Saviano, Pirhanas, qui décrit une guerre des gangs et l’émergence d’un nouveau gang sur la scène napolitaine. L’un des personnages a une philosophie qui est à l’image de celle de Trump : il y a deux catégories de gens dans le monde : « les baiseurs » et « les baisés ». Trump a développé cette même idée en utilisant le même mot vulgaire (screw). Dans la guerre des gangs, il n’y a pas les bons d’un côté et les méchants de l’autre. Il n’y a que des méchants qui tuent sans remords.

Les médias dominants proposent, au contraire, une fable hollywoodienne avec un méchant, Trump, et des gentils, des héros, des résistants : tous ceux qui critiquent Trump, quelle que soit leur position ou le contexte de la critique. Mattis, comme McCain ou George HW Bush, sont ainsi des gentils, des bons dans cette fable hollywoodienne reprise même par des médias dits de gauche car, même s’ils sont eux-mêmes des militaristes, des criminels de guerre ou des réactionnaires, ils ont critiqué le bouffon présidentiel.

Après avoir délibérément oublié le droit et l’impopularité relative des guerres américaines, le parti de la guerre a aussi oublié de mentionner un autre fait : le coût exorbitant des guerres américaines, coût financier, bien sûr, mais aussi coût humain.

Comme les États-Unis ne sont pas une dictature, il est très facile de trouver ces données. L’Institut Watson de l’Université Brown a dédié un site à ces coûts, on y apprend que les guerres de l’après 11 septembre 2001 ont coûté près de 6 000 milliards de dollars, coûté la vie à près d’un demi-million de personnes et créé une vague de 21 millions de réfugiés ou personnes déplacées (principalement des Afghans, des Irakiens, des Pakistanais et des Syriens).

Ces morts dans les pays d’intervention des États-Unis, (guerre, drones ou actions secrètes) sont oubliés par les perroquets du Pentagone qui ne parlent que des Kurdes que l’intervention américaine est censée protéger.

La « guerre à la terreur », ineptie conceptuelle, a surtout renforcé le terrorisme ; les camps de Bucca en Irak, Bagram en Afghanistan et, bien sûr, Guantanamo ont servi de campagne de publicité pour les groupes terroristes. Les États-Unis ont eux-mêmes souvent coopéré avec ces terroristes en suivant la pratique vantée par Brzezinski dans un entretien avec le Nouvel Observateur le 15 janvier 1998 : « Qu’est-ce qui est le plus important au regard de l’histoire du monde ? Les talibans ou la chute de l’empire soviétique ? Quelques excités islamistes où la libération de l’Europe centrale et la fin de la guerre froide ? ».

Cette coopération s’est révélée si productive qu’elle a été appliquée en Syrie également pour faire tomber le régime d’Assad (un régime meurtrier mais ce n’est pas la raison de l’opposition américaine qui s’accommode très bien du régime meurtrier saoudien ou du Saddam Hussein d’avant 1990, lorsqu’il s’en prend aux intérêts américains au Koweït). Pour comprendre l’histoire de l’implication américaine en Syrie, on pourra écouter John Kerry qui, en septembre 2016, parlait en privé avec la délégation des Pays-Bas à l’ONU.

L’ancien ambassadeur britannique, Craig Murray, qui lors de sa mission en Ouzbékistan a pu prendre la mesure de l’hypocrisie des gouvernements occidentaux en matière de défense des droits humains note fort justement, dans son blog du 20 décembre 2018, que « l’occupation américaine du Moyen Orient ne supprime pas le terrorisme mais le cause ».

La décision de Trump a inquiété le complexe militaro-industriel car elle semblait se démarquer de la ligne habituelle en faveur de la guerre perpétuelle avec construction de l’ennemi russe ; elle a rapidement été corrigée, ce qui devrait interpeller les partisans de la paix qui l’avaient approuvée, sans prendre en compte les revirements habituels chez Trump, ni l’influence prépondérante du complexe.

L’amnésie des médias adorateurs de Mattis et de la machine militaire américaine concerne aussi l’histoire. Un autre président américain, conservateur, républicain et général célèbre, Eisenhower, avait en 1953 fort clairement expliqué l’impact socialement négatif de la guerre dans son discours intitulé « The Chance for Peace ». Il établissait un rapport entre le coût d’un bombardier et des écoles, des hôpitaux ou des centrales électriques.

La guerre a un coût social dans les pays qui la font aussi et nos va-t-en-guerre, de droite comme de pseudo-gauche, semblent l’oublier ou s’en moquer. Eisenhower serait pris pour un pacifiste radical ou un gauchiste irresponsable aujourd’hui, y compris par les perroquets du Pentagone qui  se pensent progressistes.

En 1961, lorsqu’il a quitté le pouvoir, Eisenhower a mis en garde contre l’influence du complexe militaro-industriel. Aujourd’hui, ce complexe a gagné la bataille gramscienne des « cœurs et des esprits » puisque, par pseudo-résistance à Trump, même les liberals et une bonne partie de la gauche applaudissent les violations du droit, les interventions militaires et les guerres permanentes qui débouchent sur le contraire des objectifs annoncés, soit plus de terrorisme, plus de morts, plus de réfugiés, moins d’investissements dans les infrastructures sociales.

La décision impulsive de Trump, vite corrigée, doit bien évidemment être critiquée mais pas depuis une position encore plus guerrière et droitière. C’est ce que font, entre autres, Phyllis Bennis ou Medea Benjamin. Un véritable désengagement américain devrait se faire dans le cadre d’une conférence internationale avec toutes les parties prenantes en Syrie.

Le pays qui compte au moins 800 bases militaires à l’étranger n’est pas isolationniste mais rêve d’une « domination totale sur tous les fronts » (« full spectrum dominance ») qu’Harold Pinter présentait dans son discours de réception du Prix Nobel de littérature en 2005. La fuite en avant militaire tente peut-être de masquer un déclin économique mais elle y contribue grandement et, comme le voyait déjà Eisenhower il y a 65 ans, elle n’est bonne ni pour les États-Unis ni pour le monde. Les perroquets du Pentagone pourraient lire Saviano, Pinter et Eisenhower plutôt que de s’enivrer de la prose des agents du complexe militaro-industriel.

Pierre Guerlain

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