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 Russiagate : le coup monté démonté - Décodeurs 360 | Décodeurs 360
Rencontre entre Trump et Poutine
Auteur de l’article
  Pierre Guerlain est professeur émérite à l'université Paris Nanterre. Son champs d'expertise est la politique étrangère des Etats-Unis. Il travaille aussi sur la vie politique américaine et l'observation transculturelle. Il publie des articles sur les Etats-Unis dans divers médias.
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Russiagate : le coup monté démonté


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L'incroyable cadeau des Démocrates à Trump

Le procureur Mueller a rendu son rapport et le ministre de la Justice américain nommé par Trump, Barr, en a donné un résumé qui n’a pas été dénoncé par Mueller, qui donc est fiable. L’information essentielle du rapport est qu’il n’y a pas de preuve de conspiration ou collusion entre Trump et la Russie.

Ce soupçon de conspiration était la raison principale de la nomination du procureur spécial et donc, sur ce plan là, le Russiagate s’écroule. Après trois ans de polémique et vingt-deux mois d’enquête avec des moyens énormes, ce qui s’écroule est en fait une cabale ou une théorie du complot ourdie par le clan Clinton et constamment vendue par des médias dits « libéraux » proche des Démocrates néolibéraux.

Le rapport Mueller, dans ce que l’on sait par le résumé de quatre pages, confirme par ailleurs tout un tas de violations du droit par des proches de Trump, violations que nous connaissions déjà par les divers reportages ou livres comme celui de Bob Woodward, Fear : Trump in the White House.

Le Trump raciste, sexiste, menteur, ploutocrate réactionnaire et peu respectueux du droit n’a pas changé et aujourd’hui il tente d’utiliser le rapport Mueller comme exonération de tous ses crimes et délits. Il faut cependant revenir sur l’histoire d’une théorie du complot déployée par les professionnels de la dénonciation du complotisme et mesurer son impact politique désastreux.

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Un livre retraçant l’histoire de la campagne d’Hillary Clinton, Shattered: Inside Hillary Clinton’s Doomed Campaign, de Jonathan Allen et Amie Parnes, publié en 2017, indique que dès l’annonce de sa défaite Clinton avait cherché à en faire porter la responsabilité à la Russie qui aurait conspiré avec l’équipe Trump.

Ces médias qui avaient déjà joué la carte Trump pour faire du buzz et de l’audience, donc des profits lors de la campagne de 2016, ont continué de le faire en évoquant la soi-disant collusion avec la Russie, pour les mêmes raisons. La chaîne de télévision MSNBC, et notamment sa présentatrice vedette Rachel Maddow, parlait de Trump en tant qu’agent ou marionnette de Poutine tous les jours, reprenant une expression que Clinton avait utilisée durant la campagne.

Selon l’organisme d’analyse des médias, FAIR, MSNBC a parlé 5000 % de fois de plus de la Russie que de la guerre au Yémen. CNN savait que ses reportages sur le Russiagate était du bullshit (« de la merde ») mais pour des raisons d’audience a encouragé ses journalistes à continuer dans cette voie, comme le révélait Caitlin Johnstone dès juillet 2017. Sur la totale perte de repères déontologiques des médias américains, on pourra lire un texte de Matt Taibbi. Notons qu’en France les médias qui s’autoproclament chasseurs d’infox ont suivi la dérive américaine en ce qui concerne la cabale du Russiagate.

La gauche américaine, fort divisée sur l’affaire de Russiagate, compte dans ses rangs des gens critiques depuis le début, notamment Noam Chomsky pour qui, étant donné les habitudes américaines d’intervention dans les élections à l’étranger, cette histoire était une blague. Les journalistes Robert Parry, aujourd’hui décédé, Aaron Maté, dont Le Monde diplomatique a publié un article, ou encore Glenn Greenwald ont aussi exprimé de forts doutes tout au long du déroulement de l’affaire puis de l’enquête. J’ai publié une chronique en août 2018.

Les Démocrates, dont seule l’aile gauche peut raisonnablement être considérée comme véritablement progressiste, ont au contraire misé presque tout leur avenir politique sur cette histoire de collusion qui aujourd’hui s’effondre. Ils n’ont pas combattu avec détermination la radiation de plus d’un million d’électeurs des minorités, surtout des Noirs, qui pourtant à elle seule suffit à expliquer la défaite de leur candidate. Ils n’ont pas fait de l’augmentation des crédits militaires un cheval de bataille permanent ; au contraire certains ont voté avec Trump. Ils n’ont pas non plus continué le combat contre les cadeaux fiscaux accordés aux plus riches.

L’obsession de la collusion avec la Russie a occupé l’espace médiatique et politique et les discours les plus fantaisistes ont été acceptés par les médias les plus apparemment mobilisés contre les infox (fake news). Trump aurait été un agent russe depuis 1987 (il était alors démocrate). Le dossier Steele, qui est discrédité aujourd’hui mais qui a servi à lancer les enquêtes sur Trump, parlait de pratiques sexuelles de Trump, les golden showers – des prostituées urinant sur Trump dans la chambre même où Obama avait dormi à Moscou. Les médias de qualité ont commencé à ressembler aux feuilles de chou à sensation et les Démocrates applaudissaient, pensant faire chuter Trump par ce moyen. Moyen qui avait déjà échoué durant la campagne.

La focalisation sur la possibilité que Trump soit un agent russe ou la marionnette de Poutine a eu des effets dommageables sur la scène intérieure car elle a mobilisé des énergies qu’il aurait mieux valu investir dans une vraie opposition au désastre réactionnaire qu’est Trump, par exemple en luttant efficacement pour imposer un New Deal vert ou une taxation plus juste, mais aussi sur le plan international.

Les États-Unis n’ont cessé d’adopter des politiques contraires aux intérêts de la Russie, dont le dirigeant, Poutine, n’est plus communiste et ressemble, sur le plan idéologique à George W. Bush, qui d’ailleurs l’appréciait. L’administration Trump a, contrairement à ce qu’avait décidé Obama, vendu des armes dites létales à l’Ukraine ; elle menace un allié de Moscou, le Venezuela, contre lequel elle prend des sanctions économiques aux effets ravageurs. En Syrie, des mercenaires russes ont été bombardés par des avions américains ; Trump menace l’Iran actuellement allié de la Russie en Syrie. Trump cherche à torpiller le projet de gazoduc qui livrerait du gaz russe à l’Allemagne. En dépit de tous ces faits, observables et établis, les Démocrates et les médias proches d’eux n’ont pas corrigé leur dénonciation de conspiration ou collusion.

Trump dit une chose et son contraire plusieurs fois par jour et la logique de ses déclarations est à rechercher dans son narcissisme et son absence de connaissance réelle des dossiers. Qu’il dise admirer des hommes forts comme Poutine, Netanyahou, Duterte, Kim Jung-un ne signifie pas qu’il est aligné sur eux. On le voit avec tous ses amis qu’il finit par congédier, seul compte son image narcissique et les profits personnels qu’il peut tirer d’une relation.

En misant presque tout sur l’affaire russe et le procureur Mueller, les Démocrates, qui ont suivi la rage vaniteuse de Clinton après sa défaite, pensaient peut-être arriver à une procédure de destitution (impeachment) qui aujourd’hui s’éloigne et qui, de toute façon, n’est que traiter un symptôme, celui de l’horrible Trump, sans aborder la maladie qui ronge la démocratie des États-Unis : celle qui donne le pouvoir aux forces d’argent.

Le Russiagate en tant que tel s’écroule car il n’y a pas de preuves de collusion mais a été un élément majeur dans le retour à un genre de guerre froide entre États-Unis et Russie. Cette affaire, qui sert les intérêts du complexe militaro-industriel, a légitimé le retrait du traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire (INF) et favorise les risques de guerre nucléaire entre les deux grandes puissances nucléaires que sont la Russie et les États-Unis.

L’administration Obama, qui ne portait pas Poutine dans son cœur, était bien plus prudente dans ce domaine. Les Démocrates ont donc contribué à saper l’héritage de l’ancien président démocrate, qui n’était déjà pas très progressiste sur de nombreux plans, mais avait su faire baisser les tensions en Iran et à Cuba, que Trump s’emploie à raviver.

La cabale organisée contre Trump par le clan Clinton et les Démocrates et soutenue par des médias peu soucieux de vérité ou d’éthique a renforcé Trump, qui peut maintenant se présenter comme victime. Elle a affaibli le camp véritablement progressiste en minimisant les problématiques importantes et favorisé la détérioration des relations avec la Russie avec qui les conservateurs comme Reagan cherchaient la détente du temps de l’Union soviétique.

Enfin on peut douter des déclarations anti-trumpiennes enflammées des Démocrates. L’un d’entre eux, Donny Deutsch, qui comparait les partisans de Trump aux nazis affirme maintenant qu’il serait prêt à voter pour lui, un « être humain méprisable », plutôt que pour Sanders car celui-ci attaque le capitalisme. Une version américaine du « plutôt Hitler que le front populaire » donc.

La théorie du complot du Russiagate était une machine de guerre qui devait permettre de ne pas examiner les raisons de l’échec d’une candidate réactionnaire se présentant comme progressiste et de projeter les tares du système américain sur un pays étranger. Elle a servi aussi à casser la gauche en l’accusant de poutinisme, ce qui a eu un effet destructeur sur la fréquentation des sites alternatifs de la gauche radicale.

Si le rapport Mueller détruit bien l’accusation de conspiration, il laisse en place l’hostilité des médias dominants, de l’appareil du parti démocrate et des services secrets, notamment du FBI, envers tout mouvement progressiste. Trump peut fanfaronner et pour tous les néo-maccarthystes qui utilisent Poutine pour délégitimer le progressisme, le Russiagate a produit des effets positifs. Le bilan de cette cabale est catastrophique pour la gauche.

Pierre Guerlain

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