Médias
Auteur de l’article
  Pierre Guerlain est professeur émérite à l'université Paris Nanterre. Son champs d'expertise est la politique étrangère des Etats-Unis. Il travaille aussi sur la vie politique américaine et l'observation transculturelle. Il publie des articles sur les Etats-Unis dans divers médias.
Notre engagement
Journal participatif
Regard critique
Équipe non partisane
Tribune pour toutes les idées
Publicité D360
Publicité AC portrait
NextSee Pub - Keynum - Portrait
Publicité D360
Publicité AC portrait
S’inscrire à notre newsletter

Inscrivez-vous à notre Newsletter pour connaître toutes nos actualités et être tenu au courant de tous nos nouveaux articles.

J’ai bien lu les Conditions Générales d’Utilisation et je les accepte.

Envoyer un article Nous contacter

Comment « fabriquer les consentements » ?


Notre engagement
Tribune pour toutes les idées

Assange ou le silence comme arme médiatique

Peu de citoyens ordinaires sont au courant de ce qu’il est convenu d’appeler l’affaire Assange. En France, certes des textes élogieux prenant sa défense sont parus, dont « Pour Assange » de Serge Halimi du Monde diplomatique ou « ‘Le Monde’ soutient Julian Assange comme la corde soutient le pendu » de Laurent Dauré, et un livre vient de sortir publié par une petite maison d’édition (Julian Assange, Le combat du siècle pour la liberté d’informer). Cependant les lecteurs de grands médias, y compris des médias se présentant comme critiques, tel Mediapart, n’ont eu qu’une information parcellaire concernant cette affaire.

Dans le monde anglo-saxon les journalistes qui ont parlé d’Assange, comme Chris Hedges, Aaron Maté ou Glenn Greenwald sont eux aussi marginalisés mais un peu plus audibles que ses défenseurs en France. Un livre dirigé par Tariq Ali et Margaret Kunstler, In defense of Julian Assange, reprenant des articles de divers auteurs dont Noam Chomsky, Ai Weiwei et Daniel Ellsberg, a été publié en 2019 mais n’a eu qu’un faible écho médiatique. L’un des auteurs, Craig Murray, un ancien ambassadeur britannique, est lui aussi emprisonné sur la base de fausses informations.

Peu de gens savent que le Rapporteur spécial de l’ONU sur la torture, Nils Melzer, a déclaré que Julian Assange a été soumis à des formes de torture. N. Melzer a tenté de publier un texte dans de grands organes de presse mais personne n’a voulu l’accepter. Lorsqu’il a donné une interview sur RT, on l’a accusé d’être pro-russe, ce qui est bien évidemment faux. Accusation portée contre Assange lui-même.

Des associations humanitaires comme Amnesty international et de presse comme Reporters sans frontières demandent la libération d’Assange, mais les médias, y compris ceux qui ont autrefois publié ses révélations, se taisent ou évoquent à peine les complexités de l’affaire. Un dissident chinois, Ai Weiwei, qui a colonnes ouvertes lorsqu’il critique la Chine, soutient Assange et lui a rendu visite dans la prison de haute sécurité, Belmarsh, où il croupit de façon illégale. Mais, là encore, silence assourdissant de la part des médias qui sont supposés informer le public de façon honnête et complète. Ai Weiwei, s’est alors exprimé sur RT. Les bannis de la liberté d’expression en Occident ont recours à cette chaîne qui, bien sûr, en retire des profits pour sa propre propagande. Ceci n’aurait pas lieu d’être si les pays qui se vantent de leur liberté d’expression l’exerçaient véritablement.

Publicité D360 tel
Publicité AC carré
NextSee Pub - Keynum – Carré
Publicité D360 tel
Publicité AC carré

On sait maintenant que Julian Assange, comme Daniel Ellsberg avant lui, a été diabolisé dans les médias, que l’on a fait circuler des mensonges sur une accusation de viol qui n’a jamais existé, qu’il a été espionné par une entreprise espagnole, UC Global, qui fournissait des enregistrements de tout ce qui se passait à l’ambassade d’Équateur à Londres où Assange était réfugié aux services du renseignement américain.

Le cas Assange illustre parfaitement la stratégie médiatique de taire toutes les informations qui vont à l’encontre des systèmes de pouvoir. Ne pas parler s’avère plus porteur que d’évoquer une affaire de façon mensongère comme l’a fait, par exemple Luke Harding dans le Guardian lorsqu’il a fait croire que Paul Manafort, un membre de l’équipe Trump, avait rendu visite à Assange à l’ambassade de l’Équateur.

Autres grands silences médiatiques

Sur la Libye, les médias des pays qui ont lancé la guerre de 2011 sur la base d’un mensonge ne parlent quasiment jamais de la responsabilité de cette guerre dans le flux de réfugiés. Ce flux donne ensuite lieu à des postures humanitaires assez aveugles ou hypocrites puisque la cause du phénomène n’est pas mentionnée. Le travail d’analyse sur la guerre en Libye a été fait, notamment, par le Parlement britannique, qui a publié un rapport très fouillé intitulé « Libya: Examination of intervention and collapse and the UK’s future policy options ». Rony Brauman, quant à lui, a dénoncé les Guerres humanitaires, mensonges et intox. Dans les grands médias dits de qualité, il n’y a eu qu’un tout petit filet d’information, perdu au milieu de pseudo-informations tendant à divertir. Pourtant, on ne peut soupçonner le Parlement britannique d’être complotiste ou pro-russe. Le silence est une stratégie de censure loin des regards du public.

Concernant la Syrie, qui évoque dans ses médias l’opération appelée Timber Sycamore, une opération de la CIA qui a conduit les États-Unis à financer et armer des groupes djihadistes ? La responsabilité occidentale dans la guerre civile en Syrie est énorme, mais les médias réduisent cette guerre à une opposition manichéenne entre le gouvernement de Bashar al-Assad, un tyran, et des groupes démocratiques, ce qui est une falsification de l’histoire, tout comme le fait de réduire la guerre en Irak à l’opposition entre Saddam Hussein, un tyran également, aux forces démocratiques.

Des journalistes sérieux, notamment Aaron Maté, et un professeur de physique du MIT, Ted Postol, affirment que le rapport de l’Organisation pour l’Interdiction des Armes Chimiques a été caviardé et déformé. Un des analystes de l’OIA, Ian Henderson le dit publiquement et l’ONU a tenu une session sur ce phénomène. Ce débat est en partie technique et réclame de solides compétences pour l’aborder. À part la BBC, qui a réalisé une série d’émissions pour nier la réalité des déclarations critiques, peu de médias dominants ont évoqué l’affaire.

L’enjeu est important : il s’agit de savoir si les autorités syriennes avaient utilisé ou non du gaz sarin, ce qui avait conduit à des frappes militaires françaises, britanniques et américaines. Ceci n’a rien à voir avec un quelconque soutien à Assad ou à la Russie – ce dont aucun des lanceurs d’alerte ne se réclament. Néanmoins, la discussion de cette affaire conduit à d’inévitables accusations de soutien à des dictatures, tout comme ceux qui dénonçaient la fake news officielle des armes de destruction massive en Irak étaient appelés des suppôts de Saddam. Dans une démocratie fonctionnant de façon correcte et… démocratique, il y aurait eu débats contradictoires, expertises et appel aux scientifiques.

Lorsque des journalistes ou universitaires occidentaux mettent à jour des vérités dérangeantes, ils sont systématiquement accusés d’être soit complotistes soit pro-Russes, pro-Chinois ou même pro-Iraniens. Ils risquent leur carrière et leur réputation. La vérité ou la qualité scientifique ne peut cependant se réduire à un cadre manichéen. Bien évidemment, la Chine ou la Russie ne se privent pas de critiquer l’Occident et soulignent les manquements ou crimes occidentaux pour détourner l’attention des leurs.

Le site Les Crises a publié la traduction d’un document officiel du ministère des Affaires étrangères chinois qui met en évidence cette stratégie : les États-Unis et l’Occident en général, mais surtout la France, sont dénoncés pour des crimes tels que les interventions militaires au Moyen-Orient. Bien évidemment, c’est une réaction aux accusations occidentales concernant le Xinjiang, mais la dénonciation partielle et partiale n’en est pas moins vraie. En Chine ou en Russie les dissidents sont accusés d’être des agents de l’étranger, ce qu’ils peuvent être ou pas, et en Occident une image lisse et positive des démocraties est utilisée dans une propagande qui elle aussi s’appuie sur certains faits avérés, mais grossis ou partiellement présentés. Le silence sur les crimes de son pays est la chose la plus fréquente au monde et les démocraties ne sont pas moins tentées par le mensonge que les pays autoritaires. Une différence importante étant cependant que dans les démocraties il reste des journalistes et universitaires indépendants.

Tout le travail journalistique de Julian Assange a consisté à révéler les mensonges des puissants et des États, y compris en Russie. Songeons au courage des lanceurs d’alerte Manning, Kiriakou, Hale, Van Buren et à des organisations comme B’Tselem ou Amnesty International. Lorsque l’Occident emprisonne journalistes ou lanceurs d’alerte, il fait un cadeau aux pays autoritaires qui peuvent à juste titre dénoncer les violations des droits humains. Dans une déclaration célèbre, Chomsky avait dit « La propagande est à la démocratie ce que la violence est à la dictature ». Les démocraties n’hésitent pas non plus à recourir à la torture et à l’emprisonnement des dissidents.

Censure et démocratie

Si des journalistes marginalisés mettent en doute le récit dominant sur un sujet donné, la tâche des médias dominants sera de ne pas « donner de l’air » à ce sujet. Le débat sera asphyxié. Tout le contraire de la démocratie. Ces techniques ne sont pas nouvelles, même si les technologies le sont. Depuis Orwell et 1984 on sait comme cela opère. Entre la calomnie et le silence partiel, il est très facile de faire disparaître un discours en le condamnant aux marges médiatiques. Orwell lui-même, aujourd’hui adulé par tous semble-t-il, fut censuré : la préface qu’il avait écrite pour La Ferme des animaux, critique des milieux intellectuels de son temps, ne fut pas publiée et ne fut redécouverte qu’en 1971.

De façon ironique, Orwell attaquait la posture trop pro-soviétique des milieux intellectuels britanniques en 1945 ; tout le contraire d’aujourd’hui. Son texte censuré comportait cette phrase toujours d’actualité : « La presse britannique est extrêmement centralisée et est majoritairement la propriété d’hommes riches qui ont toutes les raisons d’être malhonnêtes sur certains sujets. » Il en va de même des grands groupes de médias actuels, qui font souvent partie de grands groupes capitalistes et s’adressent principalement à un public éduqué et occupant des positions de pouvoir.

Structurellement donc, les médias dominants ne peuvent prendre le risque de déplaire aux classes dominantes sans risquer de perdre leurs financements et leur réputation. Lors d’une réunion organisée en marge du forum philo Le Monde Le Mans en 2021, l’ancien directeur du journal a ainsi déclaré que la rédaction du Monde était totalement libre puisque les deux actionnaires principaux du journal n’étaient d’accord sur rien, ce qui garantissait une non-ingérence dans les choix rédactionnels. Il a ajouté que si le journal perdait de l’argent, les actionnaires ne seraient pas contents. Il est clair que, dans un environnement capitalistique, un média est un produit et que la logique économique va à l’encontre de la logique de la révélation de la vérité dans tous les domaines. Exactement ce que disait déjà Orwell en 1945 dans un environnement où la concentration des médias était moins forte.

Julian Assange est persécuté pour avoir fait un travail de journaliste que la plupart des journalistes ne peuvent plus faire pour des raisons structurelles. Les grands médias font partie des « élites », c’est à dire des classes dominantes, et ne peuvent mettre en danger les discours dominants que de façon exceptionnelle. Assange et Manning ont mis en lumière les mensonges criminels des guerres américaines et furent par conséquent traités en ennemis de façon explicite avec appel à l’assassinat ciblé d’Assange. Le tâche des médias dominants est de « fabriquer les consentements » (Herman et Chomsky) en déployant toute une panoplie de techniques : divertissement, diabolisation des dissidents et, surtout, réduction du champ des discours possibles par concentration économique. C’est ce que les spécialistes appellent la fenêtre d’Overton, qui délimite les discours licites. Serge Halimi et Pierre Rimbert en donnent un aperçu dans un article intitulé « Si Assange s’appelait Navalny ».

Le silence est donc une arme de premier plan dans la fabrication du consentement. Si le public américain ignore la brutalité et les crimes commis par les États-Unis dans leurs guerres, le consentement aux dépenses militaires ne peut qu’en être facilité. Si le public européen ignore ses responsabilités dans le retour de l’esclavage en Libye, il peut continuer à croire aux valeurs humanistes des démocraties face aux dictatures et renforcer sa bonne conscience. Loin de s’allier avec les ennemis de la démocratie, Julian Assange a fait un travail d’approfondissement de la démocratie en luttant contre le silence et les manipulations de tous les systèmes de pouvoir partout dans le monde.

L’un des plus grands journalistes de notre époque moisit en prison ; le silence ou le quasi-silence sur son cas sont des formes de complicité dans la violation de la liberté d’expression.

Pierre Guerlain

Quand le Conseil constitutionnel dépénalisait le harcèlement sexuel

Le droit est-il moral ? C’était il y a tout juste dix ans. Un homme accusé de harcèlement sexuel eut recours à un moyen inédit pour se tirer d’affaire et l’article du Code pénal sanctionnant le harcèlement sexuel fut abrogé par la plus haute autorité judiciaire française… C’est l’histoire d’une…

NextSee Pub - Sight - Portrait
NextSee Pub - Sight - Portrait
Publicité D360 tel
Publicité AC carré
NextSee Pub - Keynum – Carré
Publicité D360 tel
Publicité AC carré
S’inscrire à notre newsletter

Inscrivez-vous à notre Newsletter pour connaître toutes nos actualités et être tenu au courant de tous nos nouveaux articles.

J’ai bien lu les Conditions Générales d’Utilisation et je les accepte.

Envoyer un article Nous contacter