« Je veux être traité comme un être humain. Je veux être respecté. » Sur les routes africaines, les gens disent tous la même chose (Alain Touraine, Après la crise, Seuil, 2010).
Les Français souhaitent entendre parler des thèmes dont les effets sont perceptibles dans la vie quotidienne. La maîtrise migratoire est l’un d’entre eux, et non le moindre. À tort ou à raison, elle est en effet perçue comme directement liée à ces sujets de préoccupation majeurs que sont l’emploi, la sécurité et la cohésion sociale.
Quelle est la politique migratoire de la France ?
Quels problèmes l’immigration soulève-t-elle ?
Comment y remédier ?
La maîtrise migratoire a été, jusqu’ici, comprise de manière essentiellement restrictive. Or il y a moyen de la recentrer d’une manière qui soit bénéfique pour toutes les parties concernées.
Le problème concerne, du côté des pays d’émigration, toute l’Afrique francophone et quelques autres pays d’Afrique et du Proche-Orient ; et, du côté des pays d’immigration, une bonne partie des pays de l’Union européenne. C’est pourquoi nous pensons que l’Union pour la Méditerranée, dont le siège est à Barcelone, pourrait être le lieu fondateur de l’opération que nous visons. Même si, par réalisme, on va le voir, nous nous limiterons d’abord aux flux migratoires issus du Maghreb, en vue de répondre aux nouveaux défis posés par les évolutions et les attentes du monde arabe du pourtour méditerranéen.
Des solutions dialectiques
La nouvelle maîtrise migratoire à mettre en œuvre ne peut se faire avec succès que dans le plus complet respect des valeurs humanistes. L’affaire est trop importante pour ne pas devoir échapper aux clivages partisans. Et puisqu’aujourd’hui, en France, les socialistes sont aux affaires, rappelons qu’à plusieurs reprises ce type de dialogue a été prôné par le Parti socialiste. Dès 1983, à l’occasion des élections municipales, Gaston Defferre déclarait : « Dès ma réélection, je réunirai une conférence sur l’immigration avec les pays exportateurs de main-d’œuvre. » En 2011, Hubert Védrine, ancien ministre, écrivait : « Dans chaque zone d’interdépendance migratoire intense, une conférence serait organisée chaque année entre les gouvernements de pays de départ, de transit et d’arrivée pour cogérer les mobilités et les migrations, fixer des quotas par profession… Pour les migrations de travail, la capacité d’accueil des pays d’arrivée serait fixée en fonction d’une évaluation prospective de la situation économique et des besoins. »¹
La négociation pourrait même s’inscrire dans un cadre plus large, fondé sur l’intérêt de chacun, selon la formule de Martine Aubry : « Une politique commerciale imposera la réciprocité des règles et des sauvegardes. »² Ajoutons qu’en 2013, Pierre Moscovici, ministre des Finances, commandait à Hubert Védrine un rapport sur les moyens de développer les relations économiques entre l’Afrique et la France : les 15 propositions qui y sont énoncées n’ont rien perdu ni de leur actualité ni de leur pertinence³.
Ouvrir les yeux sur un désastre politique
En revanche, nier avec hauteur, comme on le voit encore trop souvent, que l’immigration constitue un problème, s’avère politiquement désastreux. Or c’est ce que font toujours beaucoup de nos élites qui répètent que l’immigration est une « chance », qu’elle est une nécessité économique car nous avons besoin de travailleurs peu qualifiés, et une nécessité démographique car notre fécondité est insuffisante à garantir nos retraites. Tout cela sur fond idéologique de métissage mondialisé et de dissolution des identités réduisant les personnes au statut de pions interchangeables. On continue de brandir sans discernement l’accusation de racisme, on assimile toute migration à un droit d’asile et, au nom des « grands principes », on condamne sans nuance les plus légitimes revendications sécuritaires. Quand les élites dénoncent la « fermeture », le repliement sur soi, la « haine des autres » prêtés à la population, elles restent prisonnières d’une posture moralisatrice et, de fait, méprisante. Force est de le constater : cela les a conduites — et les conduit encore — à l’impuissance.
L’immigration n’est pas un problème, c’est la solution, disent ces élites. En réalité, l’immigration est presque toujours un problème. Elle est un problème pour les pays d’émigration qui voient (ou laissent) beaucoup de leurs enfants, souvent les meilleurs, partir sans esprit de retour. Elle est un problème pour les migrants — d’abord financier : payer le passeur… — et devient fréquemment un drame, ou une tragédie comme on l’a vu avec les catastrophes en mer. Elle est enfin une source de déstabilisation pour les pays d’accueil, favorisant toutes les démagogies et tous les aveuglements. Elle peut certes être une chance, mais dans des conditions définies qu’il faut s’efforcer de connaître.
La crise migratoire en cinq constats
- La maîtrise migratoire est devenue un thème électoral majeur. Depuis trente ans, c’est la dérive migratoire qui a fait émerger les thèses les plus extrêmes. C’est aussi elle qui a peu à peu bouleversé la donne dans la vie politique française. Et si les ravages du chômage tendent à lui « ravir la vedette », personne ne croit que les deux phénomènes soient rigoureusement indépendants.
- Les réponses actuelles ne sont pas à la hauteur du problème. François Hollande, quand il était candidat, a envisagé de demander au Parlement de fixer des quotas annuels d’immigration. Nicolas Sarkozy, en campagne également, a évoqué la réduction des entrées annuelles d’immigrés de 200 000 à 100 000. Alain Juppé, François Fillon, Pierre Mazeaud, ancien président du Conseil constitutionnel, d’autres encore, se sont dit favorables à l’instauration de quotas. Ces idées vont dans le sens de l’opinion, mais sont inapplicables telles quelles, sous peine de graves troubles en France, dans l’Union européenne et dans les pays d’émigration. La seule réponse raisonnable et politiquement apaisante est de montrer à l’opinion que le problème est reconnu comme tel au lieu d’être nié ou négligé, qu’il est géré de manière raisonnable et imaginative, et enfin qu’il est effectivement régulé ou en voie manifeste de l’être.
- Une concertation avec les forces économiques françaises est un préalable essentiel. Les représentants des employeurs — MEDEF, CGPME — sont les mieux à même d’évaluer les possibilités d’emploi et les besoins de formation. Les syndicats et organisations professionnelles devraient également être consultés.
- Une politique européenne d’immigration est indispensable. La fixation unilatérale de quotas d’immigration en France au sein de l’espace Schengen serait très dommageable. Une concertation avec les pays méditerranéens de l’Union (Espagne, Grèce et surtout Italie) ainsi qu’avec la Commission européenne est essentielle.
- Une politique d’immigration maîtrisée doit se faire sur la base d’une concertation avec les pays d’émigration, en tenant compte de leurs programmes de développement. Les pays d’émigration devront savoir ce que seront les possibilités d’émigration, à cinq ans. Ils devront encourager leurs ressortissants les plus méritants à aller se former au Nord en vue de retourner ensuite au pays pour participer au développement économique national.
Afin de jouer pleinement le jeu de cette concertation, les PME françaises devront être directement intéressées à développer des liens techniques et commerciaux avec le tissu économique du Sud.
C’est au prix de ces concertations multiples et concrètes en France, en Europe et au Sud que les quotas d’immigration, évoqués encore trop schématiquement, pourront être fixés utilement par le Parlement français, dans l’intérêt commun. Un programme de travail national et international s’impose, au-delà de toute démagogie.
Voir la partie II : Pour une politique réaliste et généreuse
Gérard Hannezo
Ingénieur et expert à l’ONU pour le développement industriel
¹ Le Monde, 23/5/2011
² Le Monde, 12/8/2011
³ Hubert Védrine, Rapport Afrique-France : un partenariat pour l’avenir, 15 propositions pour une nouvelle dynamique économique entre l’Afrique et la France (décembre 2013).