« Ce à quoi je m’engage c’est la généralisation de la vente à l’unité du médicament… Les médicaments seront délivrés à l’unité par votre pharmacien. » C’est la promesse du candidat Emmanuel Macron à l’élection présidentielle, lors d’un meeting à Nevers en janvier 2017. Cette promesse participerait à la réalisation des 3 objectifs du programme santé de « En Marche » :
Restreindre l’automédication des Français
Permettre à chacun de faire des économies significatives
Diminuer les dépenses de la Sécurité Sociale
Depuis, la mise en œuvre de cette promesse suscite de nombreuses réflexions et de nombreux commentaires et ne semble pas complètement partagée au plus haut niveau par la ministre de la Santé Agnès Buzyn¹ :
« […C’est] une idée intéressante mais complexe… quand vous vendez les médicaments à l’unité, vous perdez la traçabilité de la boîte, donc il y a des risques pour les malades… [Je suis] favorable à tout ce qui permet de faire des économies à la Sécurité sociale et éviter la gabegie de médicaments. »
Les raisons d’un gaspillage à grande échelle
L’IGAS (Inspection Générale des Affaires Sociales) dénonce un gaspillage annuel des médicaments équivalent à 7 milliards d’euros. D’où l’idée proposée par les conseillers du Président de pouvoir réaliser des économies à hauteur de 10 % en appliquant cette mesure. Ceci répondrait aux dires d’Emmanuel Macron : « lutter contre le gâchis » dans le cadre « d’un impératif sanitaire, une nécessité économique et une évidence environnementale ».
Le gaspillage aurait de multiples raisons : conditionnement des médicaments mal adapté à la prescription et à la durée du traitement, mauvaise observance du traitement par les patients, prescriptions non conformes aux recommandations professionnelles, automédication ou absence de recyclage des surplus par élimination dans les déchets communautaires.
Face à ces constats qui n’étaient pas nouveaux, une expérimentation de vente à l’unité des médicaments avait été réalisée dans quatre régions auprès d’une centaine d’officines (25 dans le groupe contrôle « sans délivrance à l’unité » et 75 « avec délivrance à l’unité »), sur un an, entre 2014 et 2015. Les médicaments concernés étaient des antibiotiques par voie orale pouvant être dispensés à l’unité. Les premiers résultats ont été publiés en septembre 2017 dans la revue journals.plos.org² par les chercheurs de l’INSERM, qui avaient, auparavant, rendu le rapport préliminaire à l’ancienne ministre de la Santé, Marisol Touraine, commanditaire de l’étude.
Une expérimentation peu convaincante
Un bilan mitigé pour le Figaro³ en 2015, confirmé lors de la publication des résultats en 2017 par une presse aussi « mitigée » que les résultats⁴.
Rappelons que l’étude ne concernait qu’un nombre restreint d’antibiotiques (quatorze) délivrés après le consentement de participation à l’étude des patients, sur une période restreinte d’un an au lieu de trois initialement, et dans une centaine d’officines sur les 22 000 du territoire. La conclusion apportée par les auteurs de l’étude est la suivante : « Le conditionnement en boîtes des médicaments ne correspondait pas à la prescription dans 60 % des cas et la distribution par unité réduisait de 10 % le nombre de comprimés fournis (en moyenne trois comprimés de moins par dispensation). 13,1 % des patients ont déclaré avoir jeté des résidus de médicaments au lieu de les recycler – pas de différences entre les groupes. Enfin, la distribution par unité semblait améliorer l’observance du traitement antibiotique (91,4 %) dans le groupe « avec délivrance unitaire » versus (65,6 %) pour le groupe contrôle. Mais ces chiffres sont à prendre avec précaution en raison de l’effectif de l’étude. Pour la même cause l’impact économique de ce mode de dispensation n’a pas pu être abordé par les auteurs de l’étude ».
L’impact économique de la vente à l’unité pour la Sécurité Sociale sera très faible, car ne seront pas concernés les traitements chroniques pour lesquels le conditionnement des médicaments est dit bien adapté, ni les traitements à la demande en cas de crise comme pour les antalgiques.
Seuls 3 % des remboursements de médicaments seront concernés, soit 500 millions d’euros, ce qui représente très peu par rapport à l’enveloppe du gaspillage estimée par l’IGAS. Par ailleurs ne sont pas estimées les dépenses générées par la mesure comme la rémunération du temps pharmacien pour le déconditionnement (six à huit minutes par acte), l’achat d’équipement pour la sécurisation de l’acte et le maintien de la traçabilité, l’adaptation du conditionnement industriel à la facilitation de l’acte de déconditionnement.
La sécurité de la présentation des unités déconditionnées est mise en avant. Le risque de confusion n’est-il pas accru dans le cas de traitements complexes et multiples, en particulier avec les personnes âgées ? Comment seront gérées les informations des notices patients disponibles dans les boîtes de médicaments qui sont le support écrit complémentaire des informations orales données par le pharmacien ? Comment assurer la traçabilité très importante des déconditionnements en cas d’alerte sur un médicament ou pour lutter contre les falsifications alors qu’une directive européenne va imposer en 2018 un marquage des boîtes pour les rendre traçables ?
En conclusion
La vente des médicaments à l’unité ou, en élargissant le débat, la dispensation des médicaments à l’unité : une fausse bonne idée ? Le sujet est complexe et dépend grandement du lieu où elle sera réalisée.
La pratique est maintenant courante à l’hôpital avec des moyens qui sont adaptés au système : prescription informatisée transmise à la pharmacie de l’établissement, vérification en ligne des prescriptions, déconditionnement des formes orales et reconditionnement dans des présentations adaptées à la délivrance journalière pour chaque patient hospitalisé.
Les moyens mis en œuvre (personnels, moyens informatiques de suivi de la prescription et de la traçabilité, matériel spécialisé dans le déconditionnement et le reconditionnement, études de stabilité complémentaires si nécessaires des médicaments reconditionnés) sont à la mesure des volumes traités et des durées de séjour des patients. Ils concernent l’ensemble des médicaments et s’affranchissent des présentations industrielles. La rentabilité du système est assurée par la maîtrise des prescriptions, l’absence de gâchis et de stockages secondaires inutiles, le temps libéré des infirmières des tâches de préparation des médicaments administrés aux patients, la sécurité apportée à la traçabilité du circuit du médicament dans l’hôpital.
Cette pratique est-elle transposable à l’officine ?
Les pharmaciens officinaux mettent en avant les conditions de réalisation de la vente des médicaments à l’unité : après vérification de la prescription médicale calcul du nombre d’unités à dispenser ; découpage des conditionnements industriels et reconditionnement dans un sachet adapté ; étiquetage du sachet ; gestion des stocks, de la durée de péremption et de la traçabilité ; local avec surface dédiée ; acquisition de moyens informatiques de suivi et de traçabilité ; augmentation du nombre de préparateurs ; installation d’une zone dédiée d’attente pour les patients (en moyenne le temps supplémentaire pour cette pratique serait de six à huit minutes par patient) ; rémunération de l’acte complémentaire.
Cette pratique, très lourde et complexe à mettre en œuvre, ne pourra pas s’appliquer à tous les traitements des patients. Seuls sont concernés les traitements de courte de durée et remboursables, soit 3 % des dépenses pharmaceutiques de la Sécurité sociale. Le système ne présente aucun intérêt pour les traitements chroniques pour lesquels les conditionnements industriels sont largement adaptés. De même, échappent à ce système les traitements avec prise conditionnelle, comme les antalgiques.
Peut-on proposer d’autres solutions à la maîtrise du gaspillage mis en avant par l’IGAS ?
Au niveau industriel, il est possible d’obtenir un conditionnement plus adapté des médicaments destinés à des traitements non chroniques, sans pour autant avoir à réaliser des études de stabilité complémentaires. Certes, il y a des études logistiques à mettre en œuvre pour que la présentation des boîtages soit plus représentative des posologies et des durées de traitement.
Au niveau médical, un renforcement de la formation des médecins aux prescriptions conformes aux recommandations professionnelles est nécessaire, tant par la formation initiale que par la formation continue. L’expérimentation de vente à l’unité montre que dans un certain nombre de cas la prescription médicale n’est pas conforme.
La généralisation de la vente des médicaments à l’unité ne permettra pas de répondre au constat de gaspillage de l’IGAS. Au-delà des improbables économies, une meilleure maîtrise de l’observance des patients et de l’impact sur l’environnement, répondant aux objectifs gouvernementaux d’impératif sanitaire et respect environnemental, doit pouvoir être obtenu par des objectifs de renforcement des formations et des recommandations à tous les niveaux.
Jean-Louis Prugnaud
Pharmacien des hôpitaux
¹ Invitée en octobre 2017 sur BFMTV et RMC
² Treibich C., Lescher S., Sagaon-Teyssier L., Ventelou B. (2017) « The expected and unexpected benefits of dispensing the exact number of pills », PLoS ONE 12(9) : e0184420. https://doi.org/10.1371/journal.pone.0184420
³ « La vente de médicaments à l’unité : une fausse bonne idée ? », le Figaro le 25/09/2015.
⁴ La Tribune : Jean-Yves Paillé 29/03/2017 ; Pharmacorama : Pierre Allain 8 juin 2017 ; « Délivrance des médicaments à l’unité : le LEEM se range parmi ses opposants », juin 2017 ; « Expérimentation de la vente du médicament à l’unité : – 9,9 % de comprimés délivrés + de 90 % d’observance » (Medissimo, octobre 2017) ; Celtinews : Ventes de médicaments à l’unité : une fausse bonne idée selon le SML (Syndicat Médecins Libéraux) ;
⁵ « Ventes de médicaments à l’unité : une fausse bonne idée selon le SML [Syndicat Médecins Libéraux] ».
⁶ « Délivrance des médicaments à l’unité : le LEEM se range parmi ses opposants » (juin 2017).
⁷ LEEM : « Que faire de ses médicaments non utilisés ? » Conservation/Recyclage (160517).