Lors d’une manifestation organisée à Nantes le samedi 7 avril 2018 contre les réformes de la SNCF et de l’accès à l’université, des manifestants décidèrent de contester la politique du président de la République d’une drôle de manière. Ils avaient en effet jugé bon d’accrocher à une potence un mannequin à l’effigie d’Emmanuel Macron. Ce mannequin pendu fut frappé par un militant puis brûlé sur la place publique. Autant dire que la manœuvre, réalisée aux fins de publicité et, probablement, de défouloir, fut efficace puisque le fait a été rapporté massivement sur les réseaux sociaux et dans les médias.
Quel est le cadre d’expression des militants ?
La satire est-elle la limite de la liberté d’expression ?
L’acte peut-il être considéré comme un appel au meurtre ?
Étant donné la violence du spectacle, nul ne sera étonné de voir prochainement une plainte déposée suivie d’un jugement, et donc une jurisprudence enrichie en matière de liberté d’expression. Peut-être apprendra-t-on à l’avenir en faculté de droit la jurisprudence « Macron pendu », et que celle-ci viendra compléter une série de décisions de justice sur le sujet. Cette série semble aujourd’hui mériter qu’on s’y arrête un instant.
Comment peut-on militer ?
C’est la question que s’est posée la Cour européenne des droits de l’homme, et sur laquelle celle-ci a tranché par un arrêt Women on Waves et autres contre Portugal du 3 février 2009. Il s’agissait de savoir si l’État pouvait interdire à un bateau de se rendre dans un port dès lors qu’il était inscrit sur ce bateau de la publicité pour une association faisant la promotion de l’avortement. La cour a répondu par la négative en affirmant que « le mode de diffusion des informations et idées que l’on prétend exprimer est […] protégé par la Convention ». Les militants « doivent notamment être en mesure de pouvoir choisir, sans interférences déraisonnables des autorités, le mode qu’ils estiment le plus efficace pour atteindre un maximum de personnes ».
En l’espèce, on peut dire que l’objectif d’atteindre un maximum de personne est accompli lorsque l’on procède à une mise à mort symbolique d’Emmanuel Macron, mais cela était-il raisonnable ? C’est une question à laquelle certains, comme le porte-parole du syndicat Solidaires, vous répondront que oui, ainsi que le rapporte le Huffington Post : « Nous sommes solidaires des jeunes qui ont pris l’initiative de brûler cette effigie. Il est plus que jamais nécessaire non seulement de le faire vaciller sur son piédestal et y compris de lui faire rendre gorge ». Avec de tels propos, il n’est pas certain que nous soyons encore sur le terrain de la liberté d’expression, mais davantage sur celui de la résistance à l’oppression (symboliquement défendue par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen).
D’autres en revanche, notamment parmi les membres de la République en marche, vous répondrons que non, ce n’était pas raisonnable, à l’instar de Valérie Sauviat-Duvert, référente LREM de Loire-Atlantique, qui dénonce des « façons moyenâgeuses ». En tout état de cause, ce sera aux juges de trancher s’ils sont saisis.
Justifier la restriction de la liberté d’expression
Un autre arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme nous intéresse dans cette affaire : celui du 14 mars 2013, l’affaire Eon contre France. Lors d’une manifestation à Laval, Nicolas Sarkozy avait été accueilli par une banderole « Casse toi pov’ con », brandie par un militant. Ce dernier fut condamné avec sursis à payer une amende de 30 euros !
L’approche de la Cour européenne des droits de l’homme
Il saisit alors la Cour européenne des droits de l’homme, qui lui tint à peu près ce langage « […] l’expression apposée sur un écriteau, « Casse toi pov’con », brandi par le requérant lors d’un cortège présidentiel sur la voie publique, est littéralement offensante à l’égard du président de la République. Cela étant, ce propos doit être analysé à la lumière de l’ensemble de l’affaire, et en particulier au regard de la qualité de son destinataire, de celle du requérant, de sa forme et du contexte de répétition dans lequel il a été proféré ». Il a ainsi été jugé que la France avait abusivement restreint la liberté d’expression en condamnant ce militant, et ce pour une série de raisons :
La première était que les événements récents qu’avait vécus le militant justifiaient qu’il réagît avec fougue à la politique du président de la République.
La deuxième était que la Convention européenne des droits de l’homme ne laissait pas de place à la restriction de la liberté d’expression dans le domaine du discours et du débat politique ou des questions d’intérêt général, et qu’ainsi l’homme politique s’exposant inévitablement à des critiques, il devait montrer une plus grande tolérance envers celles-ci.
Enfin, la troisième raison était que la forme de la contestation avait un caractère satirique en ce qu’elle retournait les propos du président contre lui. La satire étant « une forme d’expression artistique et de commentaire social » visant « naturellement à provoquer et à agiter ». La condamnation avait eu pour effet de dissuader la satire pourtant nécessaire au débat dans une société démocratique.
Les implications d’une mort symbolique d’Emmanuel Macron
Il faut alors revenir à la mise à mort du président lors de la manifestation de ce 7 avril 2018. Simple satire ? Expression artistique ? Critique tolérable du président de la République ? Fougue justifiée par les circonstances ? Encore une fois, ce sera aux juges de répondre à ces questions, mais on peut déjà faire au moins deux remarques à ce sujet.
D’une part, le délit d’offense au chef de l’État a été supprimé depuis la loi du 5 août 2013 ; aussi, le raisonnement à venir ne sera pas exactement le même que dans l’affaire précédemment rapportée. Il y a fort à parier que le fondement d’une future procédure judiciaire sera l’appel au meurtre, comme l’envisagent certains cadres du mouvement La République en marche. Toutefois, il faudra encore se demander si la limite à la liberté d’expression sera ou non justifiée de ce chef.
D’autre part, il faut quand même comparer les deux faits qui sont présentés ici, et qui donneront probablement lieu à deux décisions bien différentes. Le simulacre de mise à mort symbolique, mais violent, d’Emmanuel Macron semble manifestement bien plus difficile à justifier que la simple référence aux propos de Nicolas Sarkozy. Si l’un exprime, même de manière un peu vulgaire, la volonté que le président cesse ses fonctions, l’autre exprime plutôt une volonté de vengeance, voire de meurtre du président Macron. Malgré l’incitation de la Cour européenne des droits de l’homme à faire régner une plus grande liberté d’expression, il est fort probable que les juges français considèrent cette forme d’expression comme injustifiée et la condamnent.
Neil Savin