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Ancien khâgneux, Esteban Grépinet étudie actuellement en double licence Histoire-Information Médias à Sorbonne Université et à Panthéon Assas.
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Pourquoi les sportifs gagnent-ils tant d’argent ?


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Pleins feux sur une économie de superstars

De Messi à Neymar en passant par Ronaldo, les transferts de footballeurs font souvent couler beaucoup d’encre. Chaque « Mercato » réactive les débats sur les transferts de joueurs à des montants exponentiels. Derrière cela, des critiques à peine dissimulées dénoncent les sportifs, et particulièrement les footballeurs, avec l’idée selon laquelle ils « gagneraient des millions juste en tapant dans un ballon ».

Alors comment expliquer de tels montants ?
Les sportifs gagnent-ils vraiment tant d’argent ?
Quelles disparités ces très hauts revenus cachent-ils ?

Une petite partie des sportifs gagne une grande partie des revenus

Il convient de nuancer le stéréotype des sportifs « pleins aux as ». De fait, les hauts revenus concernent uniquement le sport professionnel et ne renvoient qu’à une infime partie des individus vivant des compétitions sportives. En réalité, beaucoup de sportifs professionnels sont dans des situations de précarité, notamment les plus jeunes (dont la carrière est souvent incertaine). Pensons à la tenniswoman Sara Cakarevic, qui avait remporté après son élimination au tournoi de Prague la modique somme de… 2,25 euros !

En outre, ces hauts revenus diffèrent grandement selon les sports. C’est avant tout dans les sports les plus populaires que l’on retrouve les sportifs les plus riches. Ainsi, dans le Top 12 du classement Forbes des sportifs les mieux payés en 2021 figurent trois joueurs de football (Messi, Ronaldo, Neymar), trois joueurs de basketball (LeBron James, Durant, Curry), deux joueurs de tennis (Federer, Osaka), deux joueurs de football américain (Prescott, Brady), un pilote de Formule 1 (Hamilton) et un combattant de MMA (McGregor, qui est premier de ce classement). En revanche, on ne retrouve aucun joueur de badminton ni même aucun coureur cycliste dans le Top 50. Conclusion : il y a des sports qui rapportent plus que d’autres. On constate également que les femmes sont presque absentes de ce classement des sportifs les mieux payés : on ne compte que deux femmes dans le Top 50 (Osaka, S. Williams). Enfin, ceux qui gagnent le plus d’argent sont souvent des sportifs âgés, à l’image de Roger Federer (quarante ans), qui est le septième sportif le mieux payé en 2021 alors qu’il n’a joué que cinq tournois cette année.

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En définitive, les sportifs qui gagnent le plus d’argent représentent une miette de pain dans le monde du sport, mais une miette de pain qui absorbe une grande partie des revenus de cette activité. Et qui laisse peu de place à certaines catégories sociales…

L’explication de l’« économie des superstars »

En 1981, l’économiste américain Sherwin Rosen a proposé une théorie pertinente pour expliquer ce phénomène : celle de l’« effet superstar ». Son étude s’applique aux grandes « stars » (les sportifs, mais aussi les acteurs de cinéma). Elle s’appuie sur ce qu’on appelle l’« effet longue traîne », qui renvoie à une situation où l’augmentation d’une faible quantité d’un facteur (ici le talent) génère une forte augmentation d’un autre facteur (ici le salaire). Selon l’idée centrale de Rosen, les grands sportifs ont peu de différences de talents, mais celles-ci se traduisent par de grands écarts de revenus.

Prenons un exemple : il y a finalement assez peu de dissemblance  entre le talent de Neymar et celui d’un autre attaquant de qualité comme Zlatan Ibrahimovic ; pourtant, le fait d’avoir Neymar dans son équipe change tout, c’est pourquoi celui-ci gagne 76 millions de dollars tandis qu’Ibrahimovic ne touche « que » 9 millions de dollars. Cette approche fonctionne aussi pour les sports individuels : la petite différence de talent qu’il y a entre Rafael Nadal et Fernando Verdasco (un autre tennisman espagnol) a permis au premier de remporter bien plus de tournois que le deuxième (quatre-vingt-dix titres en simple pour Nadal contre sept pour Verdasco). Cette petite différence de niveau prend de l’importance quand on voit les écarts de revenus qu’elle génère en fonction des résultats : le prize money pour le vainqueur de Roland-Garros 2014 (qui n’est autre que Rafael Nadal) est de 1,65 millions d’euros, tandis que pour celui qui s’arrête en huitièmes de finale (comme ce fut le cas pour Verdasco), le gain tombe à 125 000 euros. Ce n’est donc pas une surprise si Verdasco a gagné 574 000 euros en 2014, contre près de 6 millions d’euros la même année pour Nadal…

Il faut cependant prendre en compte une autre variable: puisque certains sportifs sont des « superstars », ils peuvent profiter de ce statut pour gagner des revenus conséquents en dehors du monde du sport. Il existe de multiples stratégies qui permettent aux grands noms du sport de diversifier leurs revenus : utiliser leur image comme produit de marque (habits, objets du quotidien), participer à des événements plus commerciaux que sportifs (comme les matchs d’exhibition), nouer des partenariats avec les grandes marques (Uniqlo pour Federer, Nike pour Nadal, Lacoste pour Djokovic…). Ainsi, 88 % des revenus de Connor McGregor – le sportif qui a gagné le plus d’argent en 2021–,viennent d’activités extra-sportives.

Un monde du sport toujours plus lié aux logiques commerciales

Il semble alors qu’il se produise ce qu’on pourrait appeler une « vedettisation » des grands sportifs. Cette problématique s’inscrit en réalité dans un cadre de réflexion plus global : l’imprégnation des stratégies économiques dans le domaine du sport. En effet, on ne peut que constater que le sport professionnel est plus qu’un loisir ; c’est une activité économique. Pourquoi ? D’abord parce que le match, la course ou encore l’épreuve sont des spectacles, et que le spectacle attire du public. Or, en économie, qui dit public dit consommateur : le sport est une activité qui crée de la valeur. D’après l’OCDE, l’économie du sport représente ainsi 2 % du PIB mondial. Cette valeur attire alors une multitude d’acteurs (actionnaires, entrepreneurs, diffuseurs, publicitaires…) et influence leurs stratégies.

Il apparaît donc que le sport se commercialise. Cette idée fait écho à l’économie des superstars : si l’activité sportive génère plus d’argent, alors les salaires des sportifs les plus talentueux sont censés augmenter. Plus le sport crée de passionnés, plus il est facile de vendre une image de marque et de diffuser des produits dérivés toujours plus variés… et toujours plus chers. En témoignent les maillots des grands sportifs, voire ceux qui sont dédicacés et qui, pour un simple coup de crayon, voient leurs valeurs battre des records. Au niveau institutionnel, cette commercialisation a été favorisée par une libéralisation des réglementations encadrant le marché du sport. Concernant le football, l’arrêt Bosman de 1995 a permis la libre circulation des footballeurs entre les clubs européens, ce qui a conduit à une spéculation autour de la valeur des transferts des grands joueurs.

La sociologie s’est elle aussi intéressée au sport et a montré comment son fonctionnement était de plus en plus régi par les intérêts économiques. Dans Les cultures sportives, Christian Pociello s’intéresse à l’évolution socio-historique du champ sportif à la fin du XXe siècle. Pour cela, il s’appuie sur les travaux de Pierre Bourdieu, qui considèrent l’espace social comme composé de champs sociaux (économique, politique, culturel, scientifique…) entretenant entre eux des rapports plus ou moins forts. Pociello critique l’idée selon laquelle le champ sportif se serait autonomisé des autres champs. En effet, s’il s’est d’une certaine manière libéré du champ politique, avec un désengagement progressif de l’État dans le contrôle de la pratique sportive depuis les années 1970, il s’est considérablement rapproché des logiques commerciales qui se développent à partir des années 1980 (avec notamment le tournant libéral). De ce fait, champ sportif et champ économique sont aujourd’hui étroitement liés. L’organisation des événements sportifs, les règles qui les régissent et l’attitude des acteurs sont au moins en partie déterminées par des impératifs économiques :

« Il est vrai, globalement, que le sport semble saisi par l’économie et doit se soumettre de plus en plus fortement à son exigence. »1

Cela est visible à travers la multiplication des encarts publicitaires dans les stades, la promotion des grands événements ou encore la pénalisation des sportifs qui refusent de participer aux conférences de presse. Il s’avère cependant que cette commercialisation touche plus certains sports que d’autres. Sans surprise, le football s’impose comme le plus attractif : en 2013-2014 il représentait 75 % du chiffres d’affaires total des clubs sportifs masculins en France. Si d’autres sports, comme le rugby ou le basketball, ne sont pas en reste, le football demeure un géant dans l’économie du sport. Pourquoi ? D’une part,  le football a une longue histoire dans l’Hexagone, où il est progressivement devenu le sport national. Il est ancré dans les habitudes culturelles des Français. D’autre part, grâce à son poids dans la société et dans l’économie, ce sport peut en retour attirer plus facilement des licenciés et des consommateurs.

En résumé, il y a donc une pénétration différenciée de l’économie dans le monde du sport : ce sont surtout quelques sports très vendeurs et quelques sportifs très populaires qui récoltent des parts disproportionnées des revenus de cette activité.

Quel avenir ?

On voit donc que la question de la richesse des sportifs s’inscrit dans celle, plus globale, de la commercialisation du sport : si certains sportifs sont « plein aux as », c’est surtout parce qu’ils profitent de l’évolution de leur secteur. Aujourd’hui, ces mutations changent profondément notre rapport au sport et suscitent des critiques : éloignement des valeurs fondatrices, inégalités, rapports de force déséquilibrés, corruption, etc. Se pose alors la question de l’avenir du monde du sport, partagé entre de nouveaux impératifs commerciaux et les valeurs traditionnelles qu’il est censé diffuser.

Le projet de « Super Ligue » en est l’illustration. Portée notamment par Florentino Pérez, le président du Real Madrid, elle devait réunir les clubs de football européens les plus puissants au sein d’une compétition fermée. Cette « élite du football » entendait créer un nouvel événement attractif, et donc de nouvelles sources de revenus pour le gratin du football européen… au détriment des clubs plus faibles, mais aussi de l’égalité des chances dans le sport. Ce projet a néanmoins échoué face à la résistance d’une multitude d’acteurs du football dénonçant une atteinte aux principes fondamentaux du sport : UEFA, anciens sportifs…. Le sport a donc ses raisons que la raison (économique) ignore, et c’est ce grain de folie, cette incertitude propre à la compétition, cette émotion parfois inexplicable, que beaucoup cherchent à préserver.

Mais les résistances ne font pas tout. La structure du monde du sport professionnel (et notamment du football) s’est profondément transformée. Au-delà des critiques épisodiques, c’est cette structure nouvelle qu’il s’agit d’interroger pour repenser les revenus des « superstars » du sport, mais aussi, plus généralement, l’essence du sport. Des pistes de réflexion permettent d’envisager un horizon plus équitable dans cet univers. On peut donner trois exemples de réformes possibles : réguler le marché des transferts de joueurs, afin de limiter la spéculation sur la valeur des sportifs ; mettre en place des plafonds de salaires – ce qui est par exemple le cas dans le système des ligues américaines ; rééquilibrer les écarts de salaires injustifiés entre les sportifs – ce qu’a notamment fait la Fédération Australienne de Football en instaurant l’égalité salariale entre hommes et femmes.

« Je n’ai jamais vu un sac de billets marquer », s’amusait le footballeur hollandais Johan Cruyff. Pourtant, force est de constater que ces « sacs de billets » sont de plus en plus nombreux dans le monde du sport, en particulier dans le football. Au point de le dénaturer ?

Sources

BOURG Jean-François et GOUGUET Jean-Jacques, Économie du sport (2005)

FORBES, « Les 50 sportifs les mieux payés en 2021 » (2021)

MINISTERE DE LA VILLE, DE LA JEUNESSE ET DES SPORTS, « Le poids économiques du secteur sportif en France » (2014) POCIELLO Christian, Les cultures sportives (1995)

ROSEN Sherwin, « The Economics of Superstars » (1981)


1. POCIELLO Christian, Les cultures sportives (1995), p. 224

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