Guillaume de Lacoste Lareymondie est diplômé l’École supérieure de commerce de Paris (ESCP) et d’une maîtrise en philosophie de l’économie (Paris-IV Sorbonne). Il est manager de transition et expert en stratégie marketing et digitale.
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Présidentielle : le programme, on s’en fiche !


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C’est la capacité à gouverner qui compte. Le reste passe très vite.

Les puissantes communications développées par les tenants du pouvoir et les prétendants à leur succession tendent à se polariser autour de dissensions idéologiques et de décisions symboliques qui les exacerbent. Ce faisant, elles obscurcissent un aspect majeur de la politique : le gouvernement. Car gouverner n’est pas (uniquement) communiquer. C’est agir pour améliorer concrètement la vie commune, c’est avoir un impact positif sur le cours des événements.

En ce temps d’affrontement électoral, il est plus nécessaire que jamais de considérer les conditions d’un bon gouvernement, indépendamment de tout débat politicien.

Qu’est-ce que gouverner ?
Le pouvoir exécutif est-il si puissant qu’on l’imagine ?
Comment mener des politiques effectives ?

L’administration est l’exercice du pouvoir

L’administration est l’État ; elle est l’outil, le moyen d’action du gouvernement. Tout gouvernement est le gouvernement d’une administration. Cette vérité simple est trop souvent oubliée dans les débats électoraux, alors que c’est la direction des administrations publiques qui est en jeu, et cela seul.

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À chaque centre de pouvoir politique est attachée une administration qui lui permet d’agir. Le halo de prestige qui entoure les dirigeants l’éclipse souvent aux yeux du public, mais il ne doit pas faire oublier le fondement de l’exercice de l’autorité : cette dernière s’exerce sur un organe qui lui donne son efficacité, sa capacité d’action. Sans administration, il ne se passe rien.

On le voit sans peine quand on considère l’armée. Les discours militaires des chefs d’État ne valent que ce que vaut leur armée. Il en va de même pour toutes les administrations.

Gouverner l’État, c’est donc diriger les administrations centrales et déconcentrées, c’est-à-dire les ministères avec l’ensemble des services qui les constituent. Rien de plus.

La pratique du pouvoir relève du bon management

Les fondamentaux de la pratique du pouvoir sont les mêmes, quel que soit le type d’organisation (administration, association, entreprise), et quel que soit le niveau dans l’organisation (à la tête, à un poste de direction ou en management intermédiaire). Les modalités varient, mais les principes demeurent. D’où l’influence historique du commandement militaire et de la gestion administrative sur le management en entreprise, et la nécessaire prise en compte, en retour, des avancées du management dans la pratique administrative.

Henry Mintzberg a publié au début des années 1980 une étude qui fait référence sur le travail des dirigeants, Le manager au quotidien. Il distingue dix rôles, classés en trois catégories : rôles interpersonnels, liés à l’information et décisionnels.

Les rôles interpersonnels concernent les relations et échanges que le dirigeant entretient à l’intérieur et à l’extérieur de l’organisation :

  • Symbole : il porte la responsabilité sociale et légale, qui se manifeste dans la primauté cérémoniale ;
  • Leader : il définit la vision, l’organisation, les rôles et les objectifs de chacun. Il engage aussi à l’action ;
  • Agent de liaison : il développe et entretient des réseaux internes et externes, au service de son organisation.

Les rôles liés à l’information sont une dimension importante du travail des dirigeants :

  • Observateur actif : il recherche et collecte de l’information utile pour son organisation, notamment via ses réseaux ;
  • Diffuseur : il partage les informations qu’il a collectées, écoute, écrit, parle… ;
  • Porte-parole : il est le représentant officiel de son organisation.

Les rôles décisionnels du manager sont souvent les mieux connus dans les entreprises, mais ils sont cruciaux dans tous les types d’organisations :

  • Entrepreneur : il identifie des opportunités et développe des axes d’amélioration ou des activités ;
  • Régulateur : il gère les imprévus et les conflits en donnant le cadre d’action pour les membres de son organisation ;
  • Répartiteur de ressources : il définit, gère et optimise les moyens de l’organisation – budgets, personnes et temps ;
  • Négociateur : tant en interne qu’en externe, il travaille à prendre en compte les attentes de ses interlocuteurs pour obtenir leur adhésion aux objectifs de l’organisation.

Dans le domaine politique, les rôles interpersonnels et liés à l’information sont généralement surévalués, et paraissent souvent le tout de l’action du gouvernant. Mais ces dix rôles sont un tout : sans le volet décisionnel, diriger est une posture.

Il faut se départir du fantasme selon lequel les grands dirigeants auraient une parole efficiente. Parce que le chef a dit, d’un coup, tout le monde sait quoi faire et se met en mouvement. Comme dans ces séries télévisées où le Président donne des ordres depuis son Bureau ovale et chacun obéit jusqu’à l’agence la plus reculée du Wyoming, avec la même nécessité qu’une série d’engrenages entraînés par une turbine. Rien n’est moins vrai. La gestion du changement telle qu’elle se pratique dans les grandes entreprises depuis trois décennies enseigne ce qu’il faut de plans d’actions à concevoir, de conviction pour les déployer et de rigueur dans le suivi, avant que quoi ce soit bouge dans une organisation suite à un ordre donné d’en haut.

L’enjeu du nombre est décisif pour l’action

En 2020, 2,47 millions d’agents travaillaient dans la fonction publique d’État, dont :

  • 1 million à l’Éducation nationale ;
  • 295 000 à l’Intérieur ;
  • 260 000 à la Défense ;
  • 140 000 aux Finances ;
  • 90 000 à la Justice.

Par comparaison, les dix entreprises ayant le plus de salariés au monde sont :

  1. Walmart (supermarchés) : 2 300 000 employés
  2. Amazon : 1 300 000 employés
  3. China National Petroleum : 1 250 000 employés
  4. State Grid (compagnie d’électricité chinoise) : 895 000 employés
  5. Hon Hai Precision Industry (électronique taïwanaise) : 880 000 employés
  6. China Post Group : 825 000 employés
  7. Volkswagen : 660 000 employés
  8. US Postal Service : 570 000 employés
  9. Sinopec Group (compagnie pétrolière et chimique chinoise) : 555 000 employés
  10. Compass Group (restauration collective) : 550 000 employés

L’État central français est ainsi plus gros que les plus grandes entreprises mondiales, et ses plus gros ministères sont de leur ordre de grandeur.

Si maintenant on considère la direction des grandes entreprises, on y verra généralement un binôme avec une personne (souvent le président) en charge de l’externe (investisseurs, grands clients, lobbying…), et une autre (souvent le directeur général) ou un comité exécutif en charge de l’interne (opérations, ressources humaines, finances, SI…). Ces dernières personnes sont aussi inconnues du public que connues des salariés, dont elles sont les interlocutrices privilégiées, et leur implication est la condition impérative (mais non suffisante) du succès des stratégies engagées.

Concernant les ministères, la logique serait donc que le ministre ait ce rôle public et qu’il gouverne son administration par un comité exécutif constitué de ses directeurs, eux-mêmes étant choisis par le ministre pour mettre en œuvre sa politique. Vu sous cet angle, l’enjeu majeur du gouvernement ne devrait pas être le choix des membres des cabinets, mais celui des comités de direction des ministères.

En faisant du cabinet le comité exécutif de fait, les dirigeants politiques créent un doublon fonctionnel. Il en résulte un hiatus, une rupture de l’unité de commandement, le dirigeant statutaire (le directeur) étant coiffé par un dirigeant de fait (le membre du cabinet). Or ce hiatus est incompatible avec les conditions normales de la mise en œuvre d’une politique à travers une organisation nombreuse.

La mise en œuvre des politiques est une discipline

Le cabinet FranklinCovey a publié une synthèse des méthodes efficaces pour le déploiement effectif des stratégies, The 4 Disciplines of Execution (Free Press, 2012). Partant du constat que 70 % des échecs stratégiques sont dus à une défaillance dans l’exécution, les auteurs résument ainsi les quatre disciplines nécessaires à tout passage à l’action :

  1. Se concentrer sur ce qui est vraiment important. 80 % du temps de travail des équipes est consacré aux opérations courantes : il faut que les 20 % restants soient totalement consacrés aux projets majeurs qui doivent être accomplis. En conséquence, seul un nombre restreint de projets peut être désigné comme important, ce qui implique une claire vision des objectifs et des choix drastiques et clairs.
  2. Identifier ce qui contribue le plus au résultat voulu. Les indicateurs suivis sont en général des résultantes de l’action : pour guider l’action, il faut mesurer ce qui la fait avancer réellement à chaque niveau opérationnel, semaine après semaine.
  3. S’engager à tous les niveaux. Les tableaux de bord opérationnel doivent montrer les progrès concrets de l’action pour chaque équipe.
  4. Rendre compte. Les projets majeurs doivent être suivis de près, à la semaine. Ce qui nécessite une implication constante tant des équipes que de la hiérarchie.

Évidemment, plus l’organisation est vaste et complexe, plus ces règles sont impératives. Tel est donc le cas des administrations centrales de l’État.

De ces règles, il apparaît que toute action d’ampleur appelle un engagement concret et suivi des dirigeants auprès des équipes. Ainsi, plus les domaines sont divers, plus il est nécessaire que chacun ait son dirigeant dédié. C’est le rôle des ministres, au regard de la spécificité des différents axes de l’action publique. Ils sont positionnés pour être les véritables décisionnaires, chacun dans leur partie, le chef du gouvernement étant en charge de la cohérence des différents axes d’action.

Il s’ensuit que plus le pouvoir décisionnaire remonte vers une personne unique, comme le président de la République, moins il aura la capacité à prendre réellement les sujets, c’est-à-dire à les comprendre dans leur complexité et à suivre les actions dans la durée. Et donc plus grand sera le nombre des domaines laissés en déshérence, faute que le dirigeant y accorde l’attention nécessaire.

La pratique actuelle des gouvernants conduit à l’inexécution des politiques essentielles : trop de temps est consacré à la communication et pas assez à la gestion, avec une concentration trop forte de la décision entre les mains de trop peu de personnes, donc sur un trop petit nombre de sujets, et trop d’intermédiaires s’interposent entre les dirigeants et leur administration.

L’impuissance exécutive conduit à l’inflation législative

Conséquence logique de la désorganisation de leurs moyens d’agir, les titulaires du pouvoir exécutif tendent à devenir impuissants.

Pour compenser cette incapacité, ils produisent des normes supposées assurer l’effectivité de leur volonté : lois, décrets, circulaires… Avec in fine, une mise en œuvre appuyée par la taxation et la police, qui deviennent les deux principaux outils aux mains de l’exécutif. Il en résulte des complexités et des contraintes, parfois des aberrations, mais peu de réalisations.

L’inflation législative correspond à la survalorisation de la communication politique : elle relève de la même croyance dans le pouvoir magique de la seule parole politique.

L’échec de l’exécutif dans son rôle propre entraîne un dévoiement du législatif, et menace ainsi de ruine la sphère entière du politique.

Les politiques de l’urgence sont un syndrome de l’incapacité

Quand les politiques sont systématiquement conduits à mener des actions d’urgence à grande échelle, pour répondre à des enjeux majeurs inattendus (crise financière, crise terroriste, crise migratoire, crise sociale, crise sanitaire, crise environnementale…), cela signifie finalement que la succession des crises est l’état normal des choses, et que l’enjeu des politiques est de structurer les organisations publiques et les dispositifs législatifs pour pouvoir y répondre sans qu’il soit nécessaire de recourir à des mesures d’exception.

Tel est le cas par exemple des pays à fort risque sismique, où tout est en place pour prévenir et prendre en charge les conséquences d’un tremblement de terre. Chaque secousse, si forte soit-elle, se gère comme une affaire courante.

Les politiques d’exception sont à première vue des démonstrations de puissance, valorisantes pour ceux qui les portent. Mais, en réalité, elles révèlent un manque de force, une incapacité à organiser le système public et social pour qu’il puisse par soi-même réagir aux événements extrêmes – lesquels ne manquent jamais de se présenter, surtout dans un monde dense et complexe.

De plus, les politiques d’urgence permettent de déployer rapidement des actions coercitives qu’il sera difficile ensuite de stopper, et qui demeureront souvent au-delà de l’événement qui les a justifiées.

Le meilleur dirigeant est celui qui semble inutile, parce qu’il n’a besoin d’intervenir nulle part en urgence. Celui qui parvient à ce stade et dont l’État se porte bien, celui-là excelle dans son rôle.

« Plus il y a de règlements, moins le peuple s’enrichit. Plus il y a de sources de revenus, moins il y a d’ordre. Plus il y a d’inventions ingénieuses, moins il y a d’objets sérieux et utiles. Plus le code est détaillé, plus les voleurs pullulent. Aussi le programme du sage est-il tout contraire. Ne pas agir, et le peuple s’amende. Rester tranquille, et le peuple se rectifie. Ne rien faire, et le peuple s’enrichit. Ne rien vouloir, et le peuple revient à la spontanéité naturelle. » Lao Tseu, Tao Te King, 57

Bien gouverner

Moins communiquer, mieux prendre en compte la multiplicité des centres de pouvoir, davantage s’investir dans la mise en œuvre des actions décidées jusqu’à l’obtention de résultats positifs concrets ; tel est l’enjeu politique du temps présent. La politique, c’est d’abord gouverner, et non pas donner le spectacle d’elle-même. À l’heure où s’exacerbe le jeu d’acteurs des prétendants à la magistrature suprême, il est à espérer que les Français auront la sagesse de se donner de véritables dirigeants, aptes à faire agir l’État, c’est-à-dire à bien diriger l’administration centrale du pays.

Guillaume de Lacoste Lareymondie

Sources

MINTZBERG Henry, Le manager au quotidien, les dix rôles du cadre, Éditions d’Organisation, 1984. Compte-rendu disponible en ligne : https://www.persee.fr/doc/pomap_0758-1726_1985_num_3_3_1861_t1_0170_0000_3

MCCHESNEY Chris, COVEY Sean et HULING Jim, The 4 Disciplines of Execution, Free Press, 2012. Résumé disponible en ligne : https://medium.com/swlh/the-four-disciplines-of-execution-295d6c2ec102

MINISTÈRE DE LA TRANSFORMATION ET DE LA FONCTION PUBLIQUES, Fonction publique : chiffres clés 2020. URL : https://www.fonction-publique.gouv.fr/files/files/statistiques/chiffres_cles/pdf/CC_2020_web.pdf

FORTUNE.COM, Global 500, 2021. URL : https://fortune.com/global500/search/?employees=desc&fg500_employees=desc

CONSEIL D’ÉTAT, Les états d’urgence : la démocratie sous contraintes, 29 septembre 2021. URL : https://www.conseil-etat.fr/ressources/etudes-publications/rapports-etudes/etudes-annuelles/les-etats-d-urgence-la-democratie-sous-contraintes

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