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Presse : lumière sur les fake news


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Vérités, doutes et mensonges

Les fausses nouvelles (ou fake news en anglais) ont toujours existé. Comme le mensonge. « Tout homme est menteur », peut-on d’ailleurs lire dans la Bible. La tromperie est inhérente à la nature humaine et les médias n’échappent pas à la règle. Surtout avec le développement des réseaux sociaux. Est-ce une raison pour s’en laver les mains ? Faut-il traquer les affabulateurs en rédigeant de nouvelles lois ? Méfions-nous aussi bien des Ponce Pilate que des professeurs de vertu…


Peut-on faire confiance aux médias ?
Qu’est-ce que la « guerre de l’information » ?
Comment lutter contre les fake news ?


Une certaine presse – qu’on appelle aujourd’hui la presse people – a toujours fait son miel de la rumeur, du ragot, voire du scandale, en prenant de grandes libertés avec la vérité. Flirts, amours, divorces, trahisons : tout est bon pour appâter le lecteur avec les frasques réelles ou supposées des personnalités du moment. Si quelques-unes d’entre elles n’hésitent pas à traîner les publications en justice pour obtenir réparation, la plupart ne réagissent pas. Ces « célébrités » préfèrent qu’on parle d’elles, même en mal, plutôt que de tomber dans les oubliettes médiatiques.

D’autres journaux, considérés plus sérieux, accordent une large place à la rubrique des « indiscrétions », des « confidentiels » ou des « exclusifs ». Il ne s’agit pas à proprement parler de fake news car des scoops authentiques s’y glissent parfois. Mais beaucoup de ces échos à caractère politique sont téléguidés par un Parti, un lobby ou un dirigeant pour alimenter le buzz. Ils sont souvent si approximatifs qu’on ne peut s’empêcher de rire à leur relecture quinze jours, six mois ou un an plus tard…

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En revanche, quand les fake news s’invitent dans un débat parlementaire, une campagne électorale ou un conflit armé, l’affaire devient évidemment plus grave. Derrière la volonté délibérée de nuire en diffusant des informations truquées, ce sont la propagande, l’intoxication, la manipulation et la désinformation qui avancent plus ou moins masquées. Elles participent de ce travail d’influence qu’on appelle aussi la « guerre de l’information ». Cette guerre bouleverse les lois de la guerre traditionnelle car il n’y a pas d’agresseur identifiable avec certitude.

Au lendemain de la Première Guerre mondiale, Lord Ponsonby, un aristocrate anglais pacifiste, avait donné cette belle définition de la propagande : « Il faut faire croire que notre camp ne veut pas la guerre ; que l’adversaire en est responsable ; qu’il est moralement responsable ; que la guerre, vu de notre côté, a de nobles buts ; que l’ennemi commet des atrocités délibérées ; qu’il subit bien plus de pertes que les nôtres ; que Dieu est avec nous ; que le monde de l’art et de la culture est avec nous ; que l’ennemi utilise des armes illicites ; enfin, que ceux qui doutent des neuf premiers points sont des traîtres ou des naïfs victimes des mensonges adverses… »

Lord Ponsonby aurait pu ajouter que la règle classique de la propagande étant d’obtenir un effet immédiat, les démentis qui tentent de rétablir la vérité après la publication d’une fausse nouvelle ont rarement le même retentissement que cette dernière. On estime qu’il faut aujourd’hui 14 heures pour vérifier une fausse nouvelle, soit sept fois plus de temps qu’une information vraie ! Autant dire que le travail de contrôle des faits (fact checking) est chronophage.

La manipulation est d’un autre ordre. Elle s’apparente au « bon usage » des journalistes en périodes de tension. Qu’il s’agisse de guerres, de luttes d’influence ou d’élections, les journalistes sont souvent utilisés pour convaincre et mobiliser l’opinion dans une direction donnée. Voire pour semer le doute. Un petit exemple entre mille : avant sa nomination au poste de secrétaire général de l’OTAN, certains médias russes n’avaient-ils pas laissé entendre que Jens Stoltenberg, l’ancien Premier ministre travailliste de Norvège, avait travaillé pour le KGB ?

La désinformation se rapproche de l’intoxication. Les Anglo-Saxons emploient deux mots différents pour la définir. Ils parlent de disinformation quand il y a volonté délibérée de tromper l’interlocuteur et de misinformation lorsque la réalité est présentée de manière biaisée. Dans les deux cas, pas de résultats possibles sans oreilles complaisantes… Comme l’écrivait en 1933 un autre pacifiste britannique, le philosophe Bertrand Russell, « le problème fondamental dans le monde actuel, c’est que les gens intelligents sont pleins de doutes alors que les gens stupides sont pleins de certitudes… » Les choses ont-elles changé depuis ?

Le 5 février 2003, pour renverser le dictateur irakien Saddam Hussein, le gouvernement américain n’avait pas hésité à affirmer devant le Conseil de sécurité de l’ONU, par la voix de son secrétaire d’État Colin Powell, que l’Irak détenait en secret un arsenal d’armes chimiques et bactériologiques1… Or, les États-Unis s’étaient appuyés sur un dossier entièrement fabriqué par leur allié britannique ! Le fact checking permit à la presse de dénoncer la supercherie quelques jours plus tard, ce qui n’empêcha pas le déclenchement de la guerre en Irak voulue par le président George W. Bush…

Plus récemment, en 2017, durant la campagne référendaire pour ou contre le Brexit, les partisans du retrait ont répété que la sortie de l’Union européenne permettrait au Royaume-Uni de se soustraire à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme2. Or, cette Cour ne dépend pas de l’Union européenne, mais du Conseil de l’Europe… Et, jusqu’à plus ample informé, le gouvernement de Theresa May n’a pas manifesté son intention de quitter cette organisation internationale forte de 47 États membres.

Ces deux exemples montrent que la prolifération des fake news n’est pas le seul apanage d’internautes malintentionnés, de sites complotistes, d’« usines à clics » mélangeant canulars et vraies infos ou de réseaux sociaux répercutant à la seconde près et sans contrôle les nouvelles les plus improbables… Les États et leurs dirigeants sont dans le collimateur, Donald Trump et Vladimir Poutine en tête. Emmanuel Macron n’a d’ailleurs pas hésité à apostropher en public le chef du Kremlin sur le comportement à son égard de deux médias russes – Sputnik et Russia Today – durant la campagne présidentielle française3.

À leur corps défendant ou pas, l’essor de la désinformation et de la manipulation politique est essentiellement dû en Occident à Facebook, Google ou Twitter et, en Asie, à leurs équivalents chinois. Après la Commission européenne qui s’est penchée sur le dossier l’an passé, le gouvernement français prépare une loi pour lutter contre les fausses nouvelles4. Le texte ne touchera pas à la loi de 1881 sur la liberté de la presse, qui réprime déjà la diffusion « de nouvelles fausses, de pièces fabriquées, falsifiées ou mensongèrement attribuées à des tiers lorsque, faite de mauvaise foi, elle aura troublé la paix publique ». Mais il s’attaquera à la diffusion des fake news par ces nouveaux canaux de diffusion que sont les plateformes numériques.

D’autre part, le fact checking devenant une pratique de plus en plus recommandée, la ministre française de la Culture Françoise Nyssen a annoncé le doublement de l’enveloppe financière consacrée à l’éducation aux médias5. Ce budget passera de 3 à 6 millions d’euros et servira à soutenir les associations qui interviennent dans les médiathèques et les écoles. Mme Nyssen souhaite également que les sociétés de l’audiovisuel public créent une plateforme commune de décryptage de l’information.

Tout nouveau projet de loi suscite la controverse et celui-ci ne fait pas exception. Le risque de produire une « juridiction liberticide » n’est pas absent. Plutôt qu’une nouvelle loi doublonnant avec les précédentes, certains experts préconisent la création d’une instance de gouvernance de l’information numérique sur le modèle du CSA pour l’audiovisuel ou de la CNIL pour l’informatique et les libertés…

Pour autant, si la prolifération des fake news sur les plateformes numériques inquiète à juste titre et justifie un vaste débat au Parlement, ces mêmes plateformes sécrètent aussi des anticorps. Il suffit de « surfer » sur la toile pour s’en convaincre. La liste des fausses informations les plus « énormes » y est scrupuleusement dressée, les moyens de mieux les détecter sont mentionnés et les sites douteux sont volontiers pointés du doigt !

Bref, si l’on comprend Mme Nyssen quand elle parle d’une « loi nécessaire pour protéger notre démocratie contre les ingérences extérieures », si l’on approuve Emmanuel Macron lorsqu’il fustige « le bobard inventé pour salir », il n’est pas inutile de se demander si nos députés et gouvernants sont les mieux habilités à définir ce qui est vrai ou faux… Tout homme n’est-il pas un menteur ? Dans son livre La Chute, Albert Camus écrivait : « On voit parfois plus clair dans celui qui ment que dans celui qui dit vrai. La vérité, comme la lumière, aveugle. Le mensonge, au contraire, est un beau crépuscule qui met chaque objet en valeur. »

Un joli sujet de méditation…

Baudouin Bollaert
Ancien rédacteur en chef au Figaro


1 http://www.lepoint.fr/monde/irak-colin-powell-exige-des-reponses-sur-les-fausses-informations-17-02-2011-1296279_24.php
2 https://europe-liberte-securite-justice.org/2016/10/12/le-royaume-uni-hors-la-loi-humanitaire-europeenne/
3 https://www.20minutes.fr/politique/2203235-20180117-macron-sputnik-russia-today-recit-conflit-cinq-actes
4 http://www.lemonde.fr/actualite-medias/article/2018/03/07/fake-news-les-pistes-du-texte-de-loi-en-preparation_5266947_3236.html
5 http://www.lemonde.fr/campus/article/2018/03/05/francoise-nyssen-annonce-un-plan-pour-l-education-aux-medias_5265939_4401467.html

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