Séoul, 1993. Un ancien officier est engagé par les services secrets sud-coréens sous le nom de code « Black Venus ». Chargé de collecter des informations sur le programme nucléaire en Corée du Nord, il infiltre un groupe de dignitaires de Pyongyang et réussit progressivement à gagner la confiance du Parti. Opérant dorénavant en autonomie complète au cœur du pays le plus secret et le plus dangereux au monde, ce qu’il découvre risque de mettre en péril sa mission et ce pourquoi il a tout sacrifié.
Deuxième film du réalisateur coréen Yoon Jong-Bin, The Spy Gone North s’est fait discret malgré un passage au festival de Cannes. C’est pourtant une œuvre sensible et un portrait saisissant des véritables rouages derrières les grands évènements de ce monde. Le contexte géopolitique très particulier de cette année 2018 lui donnerait presque un caractère de documentaire-fiction, nécessaire pour entrer profondément dans la problématique des deux Corées.
Comme si elle était toute droit sortie d’un roman de John le Carré, aussi grossière qu’un Argo, l’histoire vraie de Black Venus peut paraître irréaliste. Au milieu d’une Guerre Froide qui les dépasse, de communistes obnubilés par l’argent, de politiciens patriotes promis à l’ennemi et d’espions altruistes en prise avec le doute, on retrouve la Corée ; non pas actrice comme l’Histoire l’a écrit, mais victime.
Re-situons : après plusieurs décennies d’occupation japonaise, la Guerre de Corée survient en 1950 et s’achève en 1953. S’établit alors une frontière très nette le long du 38ème parallèle, entre un régime communiste poussé par la Chine et l’URSS, au nord, et un régime libéral servant de base aux américains, au sud.
L’arme atomique est un pilier central du régime nord-coréen, sa possession garantit une certaine indépendance vis-à-vis du monde extérieur et notamment des Etat-Unis, qu’ils voient comme le mal incarné. Dès lors, et ce pendant plus de deux décennies, le pays va communiquer avec habileté pour informer le monde de sa dangerosité. Pour ses dirigeants, la Corée du Nord doit en partie sa survie à cette stratégie.
Dans les années 1990, la Corée du Sud a vent des premiers essais nords-coréens et tient absolument à en obtenir la preuve. Park Seok-young, alias Black Venus, part donc pour Pékin, plaque tournante des échanges (violents) entres les Corées, pour s’infiltrer en Corée du Nord.
Il se fait passer pour un businessman véreux et simplet et se sert du levier qui permet d’attirer l’attention des officiels nords-coréens : l’argent.
Car, et c’est là tout le paradoxe, le régime communiste cherche à en obtenir par tous les moyens. La Corée du Nord souffre d’un commerce extérieur sous développé, de carences en ressources, de famines, de pauvreté extrême. C’est ce que découvrira Black Venus, après avoir déjoué pièges et tests à répétition : une Corée du Nord magnifique de par ses paysages, son organisation, la pureté de son idéal. Mais aussi une Corée du Nord où les enfants s’agglutinent autour de cadavres encore chauds, entassés, pour s’emparer de tout ce qui peut avoir quelque valeur.
Réussissant à convaincre Kim Jong-il et le Parti de filmer des publicités en Corée du Nord (le film élude d’ailleurs que le véritable Park Seok-young avait un enregistreur miniature caché dans le pénis au moment de son entrevue avec le dirigeant nord-coréen), il profite des repérages de tournage pour visiter le pays et récolter des indices sur le programme nucléaire. C’est alors que l’histoire prend une tournure inattendue.
Black Venus va progressivement se lier d’amitié avec Ri Myung-woon, haut dignitaire du Parti avec qui il traite depuis le début. Celui-ci, pacifiste revendiqué, œuvre pour un rapprochement entre les deux Corées. Par la relation d’amitié profonde entre ces deux personnages, dans un monde de calcul et de défiance, on se figure la Corée rêvant de retrouver son unité, les familles de revoir leurs proches. The Spy Gone North surprend par son humanité.
Un troisième acte, grotesque et génial, vient ponctuer la fresque de 2h20. Le service de Black Vénus menace d’être démantelé par Kim Dae-jung, favoris des élections et suspecté d’être communiste. Black Vénus, secrètement acquis à la cause pacifiste, reçoit alors l’ordre de collaborer à une opération de sabotage compromettant sa propre mission. Le spectateur découvre, effaré, les services secrets et des députés sud-coréens s’entretenir avec les hauts dignitaires nord-coréens pour planifier une attaque à la frontière, on parle de “simuler une guerre” (les fameux “vents du Nord”), afin de renverser l’opinion. Car chacun des régimes a besoin d’un ennemi pour survivre. On assiste même à un Kim Jong-il, avec l’innocence qu’on lui prête, guilleret et fier d’accomplir son devoir en aidant les “compatriotes du sud”. Incroyable.
Dans la liste des regrets figure bien sûr la longueur du métrage qui, s’il tient en haleine les plus attentifs, largue une partie de son public en explications et mises en contexte difficiles. On retrouve également la lumière et un étrange étalonnage changeant au gré des scènes, frappant les yeux par ses écarts entre pénombre et illumination. Enfin, une narration très appuyée, poussive parfois.
Mais ces quelques scories ne sauraient effacer une œuvre maîtrisée de bout en bout, jouée avec les nuances qu’elle mérite, une tension à la taille des enjeux tempérée par des moments de grâce.
Statut : Conseillé
Sébastien Conrado