Avant la guerre de 1914, une partie de la société française connaît la richesse et le plaisir ; c’est la Belle Epoque car les fêtes réunissent les populations des villages et Paris connaît l’affluence dans les grands magasins et les théâtres. Mais les inégalités sociales continuent d’exister… Le Code civil napoléonien règle la vie des femmes : elles sont soumises avant tout à leurs maris ou à leurs pères ; mais, en ce début de XXème siècle, des entorses à ce contrat apparaissent en faveur des femmes qui travaillent. La guerre de 14 en est une des principales raisons.
Voir la partie II : La longue bataille des Françaises pour le droit de vote
Quel fut le rôle des femmes pendant la Première Guerre mondiale ?
Le féminisme s’est-il développé à la faveur de la Grande Guerre ?
Des femmes actives
Brutalement, du 2 au 18 août 1914, la guerre mobilise tous les hommes valides de 21 à 40 ans, laissant le pays aux mains des femmes qui représentent 36 % de la population. Le gouvernement et les municipalités se vident de leurs fonctionnaires. Une société nouvelle s’organise peu à peu au service de la guerre. Si, dès août 1914, les cultivatrices sont appelées par le ministre Viviani à remplacer dans les gros travaux de la moisson les hommes mobilisés, la situation des citadines évolue aussi !
Devant le manque de munitions, révélé dès les premières batailles de la Marne, le ministre Albert Thomas oblige par ordonnances les chefs d’entreprise à recruter au début de 1915, « munitionnettes et obusettes » dans les nouvelles usines de la Défense nationale.
L’action des femmes ne s’arrête pas là et se diversifie au cours des années. Certaines se dévouent auprès des blessés : infirmières bénévoles ou militaires salariées. D’autres remplacent les instituteurs, prennent en charge la vie des familles, des veuves, des soldats comme marraines de guerre, d’autres acceptent par patriotisme un rôle d’espionnes.
La société repose peu à peu essentiellement sur les femmes dans tous les métiers.
Une société en changement
Les hommes au front redoutent de voir à leur retour dans leurs couples « des femmes d’affaires », comme certains articles des journaux de tranchées le signalent. A la fin de la guerre, il faut rassurer tous ces soldats qui, au cours de permissions, ont déjà vu les changements de leurs femmes et leur nouvelle autorité dans la famille et dans divers métiers. De nombreux journaux militaires ou civils s’y emploient :
« La femme s’effacera de ces situations qu’elle occupe provisoirement dans l’intérêt même de l’homme… » Le Petit Echo du 18°Territorial 1918.
Après le recrutement des femmes en usines pour travailler sur les bombes et autres armements dès 1915, l’année 1916 avec les longs mois de bataille de Verdun voit s’établir un certain consensus parmi les ouvrières. Elles se rendent compte, au retour des blessés ou à l’annonce de leurs morts au champ de bataille, que désormais toute la famille compte sur elles, mais il leur faut en convaincre le gouvernement. Peu acceptées dans les syndicats masculins, elles vont se manifester autrement.
Les grèves, moyen de se faire entendre du gouvernement
Le poids du travail, les difficultés des rapports avec les chefs d’entreprise, la continuation de la guerre malgré les promesses de terminer au Chemin des Dames, rend l’année 1917 la plus dure sur le plan des combats et de la vie des femmes.
Usées par les travaux dans les usines d’armement, dans les cultures, contraintes souvent à l’avortement pour pouvoir continuer à gagner leurs salaires en usines, elles entament des grèves répétées à partir du 1er mai et des manifestations dans les rues. La création d’intendantes d’usine, lien entre le chef d’entreprise et les ouvrières est une première concession qui va permettre des améliorations dans le nombre d’heures de travail.
Les soldats, devant les pertes dues à l’offensive du Chemin des Dames, se mutinent dans l’armée et certains attaquent même leurs chefs. Le gouvernement menace de prison les femmes qui refusent de reprendre le travail, elles sont considérées comme pacifistes. Dans l’armée, des soldats mutins sont passés par les armes ou envoyés en Algérie.
Appel à la paix
La société tout entière, pendant plusieurs mois, réclame la paix, mot exclu jusqu’alors du vocabulaire !
Si les permissions, de nouveau autorisées par le général Pétain, semblent calmer les esprits, les retours dans les régiments ne se font pas facilement. Des femmes entrent de force dans les gares pour empêcher les départs de leurs maris, elles sont arrêtées et emprisonnées. Les permissionnaires eux aussi se rebellent et détruisent du matériel sur les voies ferrées, réclamant la paix.
La situation devient dangereuse pour la France, avec l’abandon des alliés russes qui préparent leur entente avec les Allemands et déclenchent une Révolution.
Le 2 avril, le président Wilson déclare enfin la guerre à l’Allemagne après les tentatives d’attaque de leurs sous-marins et le télégramme Zimmermann traduit par les Services secrets anglais. Il fait comprendre que les Allemands sont prêts non seulement à attaquer les Etats-Unis mais espèrent un soulèvement des pays d’Amérique du Sud. Le président Wilson annonce l’arrivée des troupes américaines en France.
La société française n’ose pas croire à une aide rapide comme l’écrit un journal de province avec pessimisme :
« L’année 1917 ! Année de déception ! Année de mécompte ! Année de mensonges ! Année de trahisons ! Les Américains risquent de ne pas arriver avant 1919 ! » La République de Seine-et-Marne 2 janvier 1918.
Revoir les lois et apaiser les Français
Devant cette situation dangereuse qui touche tous les Français et Françaises, le gouvernement doit trouver des moyens d’apaiser la colère des femmes au travail et les mutineries dans l’armée.
Le Secrétaire d’Etat Justin Godart propose de promulguer de nouvelles lois pour favoriser les naissances, supprimer les avortements avec des allocations pour les femmes en couches, donner des autorisations d’arrêt de travail : trois-quarts d’heures deux fois par jour pour que les mères puissent allaiter leurs enfants dans des salles prévues à cet effet, mais seulement dans les usines de plus de 100 ouvrières et le dimanche devient jour de repos… mais avec diminution de paie.
La nécessité de favoriser les naissances face aux nombreux morts du Chemin des Dames en mai commence à être prise en compte. Pour les soldats, la reprise des permissions par le général Pétain, remplaçant le général Nivelle, apporte peu à peu une certaine détente, d’autant plus que l’arrivée des soldats américains se précise et en 1918, ils gagnent des batailles.
L’année 1918 : l’Armistice en vue
Plus de 100.000 ouvrières travaillent pour la Défense nationale autour de Paris, elles sont majoritaires. Dans la fabrication des obus, 30% sont des femmes, mais la fin de leur travail est brutalement décidée au 11 novembre !
Si l’Armistice réjouit toute la population, les ouvrières apprennent brutalement qu’elles doivent quitter les usines dès le 13 novembre, en raison de la loi Loucheur : une indemnité de départ d’un mois de salaire leur sera remise si elles partent avant le 5 décembre 1918 !
Si les usines de la Défense nationale peuvent payer cette indemnité, de nombreuses petites usines laisseront partir leurs ouvrières sans aucune compensation, d’où le désarroi de nombreuses familles au retour des soldats : certains sont blessés, d’autres n’arrivent pas à se réadapter à la vie civile ; les prisonniers sont peu à peu rapatriés mais beaucoup ont été très touchés par la vie en camp.
Avec 1.300.000 morts, plus de 280.000 blessés et 506.000 prisonniers, toutes les familles françaises sont touchées.
Les idées féministes se sont répandues pendant la guerre
Avant 1914, sous l’influence des féministes américaines, et surtout anglaises avec à leur tête Miss Pankhurst, qui ne craint pas la violence pour assumer la demande de suffrage des femmes, les Françaises, encore peu nombreuses, avaient réclamé le droit de vote soutenues par des journalistes féministes.
Dès la déclaration de guerre, le ton change. Ces journalistes tiennent d’abord à soutenir les combattants, comme Jane Misme dans son journal La Française en août 1914 :
« Tant que durera l’épreuve dont souffre notre pays, il ne sera permis à personne de parler de ses droits, nous n’avons plus envers lui que des devoirs ! »
Des féministes organisent des manifestations de rue à Paris dès le début du XXème siècle, pour demander leur place en politique. En 1901, elles mettent en circulation un timbre représentant les Droits de l’Homme, dessiné par une féministe, Jeanne Oddo-Deflou, qui représente un homme tenant les Droits de la Femme à l’envers !
En 1904, pour le Centenaire du Code Napoléon, Hubertine Auclert, féministe et journaliste à La Citoyenne déchire une copie du Code Civil, devant le monument de l’Assemblée nationale. De 1905 à 1908, Nelly Roussel entraîne plusieurs fois des femmes à demander le droit du suffrage féminin, la contraception et l’avortement.
Ces idées commencent à pénétrer dans l’esprit des Françaises, d’où la création de l’Union française pour le suffrage des femmes. En 1914, le nombre de ses membres passe de 650 à 12.000. 300 députés se montrent favorables à cette demande. Arthur Chaussy, socialiste fondateur de la Bourse du Travail à Melun, écrit dans son journal :
« L’hypothèse ne fait plus sourire maintenant, on discute sérieusement comme une chose nouvelle et grave, de la possibilité du vote des femmes ».
Cécile Brunschvicg dès avant-guerre, avait fait des conférences dans les campagnes contre l’alcoolisme répandu chez les hommes et les femmes de cultivateurs, conseillant à la paysanne de demander le droit de vote pour participer aux affaires du pays et donc être davantage reconnue comme citoyenne à part entière :
« Elle deviendrait par le bulletin de vote une force avec laquelle il faudrait compter ».
La crainte de voir les femmes au pouvoir
Et c’est bien cela que craignent les sénateurs… et d’autres hommes politiques : donner aux femmes les mêmes droits qu’aux hommes serait un changement total de la société instaurée par le Code civil de Napoléon Ier, qui prônait la soumission de la femme au mari dans de nombreux domaines.
Mais, dès la guerre de 14, des changements ont commencé à écorner ces lois. Le 21 août 1914 dans beaucoup de départements, les mairies ayant vu leurs fonctionnaires mobilisés, ont dû demander l’aide des femmes pour les affaires sociales.
Il faut attendre qu’une nouvelle étape soit enfin officiellement envisagée, comme le signale le journal L’Excelsior :
« Les femmes françaises viennent d’obtenir un premier et important succès. La Commission du Suffrage universel examine la proposition d’accorder aux femmes l’électorat et l’éligibilité lors des élections municipale ».
Certains préfets avaient devancé cet appel dans certains départements comme la Seine-et-Marne dès 1914 :
« Le préfet autorise les femmes des conseillers municipaux mobilisés à siéger avec le maire ou le maire-adjoint pour voter les mesures nécessaires au secours des familles nécessiteuses ».
Mais on en restera au vœu pieux pour le suffrage universel, à cause du Sénat qui s’opposera régulièrement à étudier cette question, même après-guerre.
Voir la partie II : La longue bataille des Françaises pour le droit de vote
Chantal Antier
Docteure en Histoire