L’écriture « en forme de clous », dite cunéiforme, est une invention extrêmement ingénieuse. Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité elle a permis de communiquer à distance. En outre, sa simplicité technique fait, qu’en théorie, elle était accessible au plus grand nombre… le seul obstacle étant la mémorisation d’un grand nombre de signes différents pour écrire un texte.
Qu’est-ce que l’écriture cunéiforme ?
Quels en étaient les usages ?
Ces signes d’écriture, avec leur forme particulière, ont été employés pendant plus de 3 000 ans. Caractéristiques de la civilisation mésopotamienne, ils ont aussi été utilisés au-delà, sur une très vaste aire géographique allant de l’Anatolie à l’Égypte, de la Mer méditerranée au Golfe arabo-persique.
Les signes cunéiformes se présentent comme une combinaison d’un nombre variable de « clous » horizontaux, verticaux, obliques (que les anciens Mésopotamiens appelaient « triangles ») et des têtes de clous imprimés en négatif dans l’argile fraîche à l’aide d’un stylet. Il s’agit donc d’une écriture en 3D que, pendant plus d’un siècle, les assyriologues – les chercheurs qui déchiffrent les textes écrits en cunéiforme – se sont évertués à recopier au crayon et à l’encre sur du papier : une opération très chronophage !
En effet, pour former un clou dans l’argile, un simple geste suffit, alors que sur le papier il faut trois coups de crayon pour dessiner les côtés du triangle et la tige du clou. Du fait du support d’écriture peu onéreux et résistant au temps, l’argile séchée au soleil, nous disposons à ce jour de plus d’un million de tablettes d’argile écrites en cunéiforme, sans compter toutes celles qui font l’objet d’un trafic d’antiquités depuis plusieurs décennies, conséquence des guerres et des pillages en Irak et en Syrie.
Il existait trois systèmes d’écriture cunéiforme. Le premier, inventé vers 3 400 av. J.-C. vraisemblablement par les Sumériens installés dans le sud de l’Irak, était logographique, c’est-à-dire que chaque signe représentait un mot ou véhiculait une idée. Avec un tel système, pour écrire en sumérien (une langue apparentée à aucune famille linguistique connue), il fallait connaître près d’un millier de signes différents ! La plupart des mots sumériens étaient très courts, monosyllabiques, et de très nombreux signes correspondaient donc à un son bref, l’équivalent de nos syllabes.
Lorsque les Akkadiens, un peuple parlant une langue sémitique (comme l’hébreu ou l’arabe) sont arrivés en Mésopotamie vers 2 600 av. J.-C., ils n’avaient pas d’écriture. Ils ont adopté l’écriture cunéiforme des Sumériens et l’ont adaptée à leur langue. Ils n’ont pas retenu le sens des logogrammes sumériens mais leurs sons : chaque mot était noté par la succession des syllabes qui le composait, de manière phonétique. Ce système d’écriture syllabique utilisait un nombre réduit de signes, un peu plus d’une centaine ; les Akkadiens ont toutefois conservé de nombreux logogrammes sumériens courants comme ceux renvoyant aux noms de parenté, de métiers, d’animaux, de matières… c’était autant de signes à mémoriser en plus, mais cela permettait d’écrire plus de choses avec moins de signes.
Le système syllabique était assez souple et a servi à écrire d’autres langues antiques du Proche-Orient, comme le hittite, première langue indo-européenne dont nous ayons des écrits. De fait, les deux systèmes cunéiformes alphabétiques qui se sont développés, l’un sur la côte levantine à Ougarit au 13e siècle, l’autre pour écrire le vieux perse en Iran entre le 6e et le 4e siècle av. J.-C., n’ont pas réussi à s’imposer face à l’écriture syllabique.
Les textes écrits en cunéiformes, que ce soit en sumérien ou en akkadien, sont très variés et reflètent aussi bien les activités quotidiennes et économiques que celles liées au pouvoir ou à la vie intellectuelle et religieuse. On y trouve tous les genres : lettres expédiées sous enveloppes d’argile, textes légaux, comptes, inventaires, plans et cartes, étiquettes, recueils de lois, chroniques, traités, annales, compositions littéraires, autobiographies, mythes, épopées, poésies, proverbes, textes lexicaux, mathématiques, médicaux, divinatoires, textes relevant des sciences astrales, recettes et instructions, rituels, prières, incantations, textes liturgiques, etc. Certains textes, comme les inscriptions à la gloire du roi, pouvaient être gravés dans la pierre et exposés à la vue de tous.
Les scribes travaillaient pour le palais ou le temple, ou encore rédigeaient lettres et contrats pour les particuliers. Les milliers de tablettes scolaires découvertes en Mésopotamie du sud permettent de reconstituer le cursus suivi par les apprentis-scribes dans les premiers siècles du IIe millénaire av. J.-C.
Mais selon les lieux et les époques, il apparaît que l’usage de l’écriture cunéiforme n’était pas réservée à une élite. Dans certains milieux, comme par exemple celui des marchands assyriens, où l’on pratiquait un syllabaire d’environ 150 signes, c’est un savoir qui pouvait être transmis dans le cadre familial, de génération en génération. Aujourd’hui, les assyriologues utilisent les moyens techniques modernes à leur disposition pour analyser et identifier les différentes « mains de scribes ».
Cette ingénieuse écriture, très facile à reproduire dans l’argile fraîche, est encore aujourd’hui à la portée de tous, petits et grands, qui dans le cadre d’« écoles de scribes » organisées çà et là, peuvent s’amuser à écrire leur prénom phonétiquement à l’aide du syllabaire akkadien.
Cécile Michel
Pour en savoir plus, on peut visionner un petit film de 17 min sur L’écriture cunéiforme, écrire et compter.
Ou lire Les écritures cunéiformes et leur déchiffrement, dirigé par B. Lion et C. Michel