Il est de ces livres qui marquent les esprits durablement, qui frappent avec force. L’été des charognes, le premier roman de Simon Johannin est de ceux-là. On ne peut pas dire qu’il soit passé inaperçu chez les lecteurs passionnés, il a même attiré beaucoup d’attention, mais le grand public s’est vu privé, par sa médiatisation limitée, d’un récit puissant, terriblement inventif et violent.
L’histoire se déroule sur un été, ou dix étés, à la campagne, dans le Tarn. On assiste, avec une proximité étouffante, au passage de l’enfance à l’adolescence d’un jeune garçon dans un environnement hostile, cruel, morbide. Dans cette ferme “la Fourrière”, on mange de la viande à foison, on boit à profusion, on s’insulte sans filtre, on frappe les enfants, on tue les animaux pour le plaisir, on côtoie la mort et la pourriture. Mais dans cette ambiance malsaine où l’on est totalement immergés, on arrive à rire. Et grassement ! Il y a avait longtemps que l’on avait pas été confrontés à un roman d’une telle crudité, sur fond de campagne profonde. Simon Johannin, 24 ans, est ce garçon grandissant dans un monde noir, grossier, dont l’esprit n’est pas sans rappeler celui du petit enfant de La vie devant soi de Romain Gary (Emile Ajar).
En seulement 150 pages, l’auteur fait un constat impactant de la vie rurale bien éloigné des descriptions bucoliques et de la poésie florale dont on a l’habitude lorsqu’un récit a trait à la campagne. La critique a beaucoup insisté sur cet aspect social et sociologique. Il semble donc juste d’approfondir ici le propos et son côté symbolique.
Car l’attachement au monde animal est patent. Tout particulièrement aux chiens, compagnons fidèles, qui semblent souffrir les hommes dans un silence pesant. Ils sont torturés, abandonnés, tués… Ils personnifient l’attitude de l’homme vis-à-vis de son entourage. Le peu de considération qu’il a pour ce qui lui est donné, tout ce qui ne lui est pas hostile : sa famille, ses amis, son environnement, lui-même.
Pour noyer leur mal-être, les personnages se droguent, boivent, abusent de leur sexualité et de celle des autres ; il n’y a jamais aucune limite. Et rien ne va en s’arrangeant lorsque le protagoniste part vivre dans une grande ville. Ce n’est décisivement pas le portrait de la vie dans la France profonde qui est dressé, mais celui d’une société toute entière. Une société en pleine décomposition, rongée par les charognes.
Finalement, alors que le récit semble voué à se clore sur une note sombre, déprimante, un miracle se produit. Une bouffée d’air frais, une salvation inattendue : la fin de la violence, l’avènement de jours meilleurs. Par la transcendance.
Statut : Conseillé (âmes sensibles s’abstenir)
Sébastien Conrado