Dan Brown est un polémiste avant même d’être un auteur, un idéaliste qui vend ses idées sur le buzz. Son Da Vinci Code, sorti en 2003, montait une théorie sur une supposée descendance de Jésus et inventait autour de cette idée toute une mythologie entretenant une frontière ambiguë avec le réel. Robert Langdon, le personnage principal, éminent symbologue et historien des religions était précipité malgré lui dans une enquête si ce n’est mystique, pour le moins touristique, à la recherche du Graal. Accompagné d’une jolie jeune femme, il tentait d’échapper à l’Église et aux forces de l’ordre aux motivations obscures pour dévoiler au monde de dangereux secrets. Reprenant les codes des enquêtes policières, se servant avec habileté de la fascination pour les complots et les sociétés secrètes, surfant sur la polémique systématique qu’il génère, Dan Brown a créé tout un genre à son image. Il a vendu plus de 200 millions d’exemplaires à travers le monde.
En octobre, il publiait le cinquième volume des aventures de Robert Langdon : Origine.
Invité à une présentation de son ami Edmond Kirsch qui prétend pouvoir répondre aux questions essentielles de l’humanité et enterrer les religions, Robert Langdon est précipité malgré lui dans une enquête si ce n’est mystique, pour le moins touristique, à la recherche d’un mot de passe. Accompagné d’une jolie jeune femme, il tente d’échapper à l’Église et aux forces de l’ordre aux motivations obscures pour dévoiler au monde de dangereux secrets. Tiens donc !
La recette magique
Robert Langdon : c’est une recette. Le style est simple, clair, très factuel, on pourrait croire à un compte rendu de police. Pas d’envolées lyriques, de fioritures, pas d’imagination.
Les chapitres, se terminant systématiquement par un suspens souvent artificiel, se suivent immédiatement sans saut de page. Ils s’alternent pour se concentrer sur les différents personnages. Les yeux sautent d’un paragraphe à l’autre, c’est presque fluide, travaillé pour empêcher le lecteur de faire une pause, d’être tenté par les notifications de son smartphone. Il y a de l’action, de l’explication, de la culture et puis ça semble intelligent. Tout est là pour attirer l’attention.
L’auteur a tout de même pensé aux plus distraits et répète chaque information plusieurs fois à intervalles réguliers. Impossible de rater un détail. Tant pis pour la subtilité, tant pis pour ceux qui suivent.
Venons-en à l’intrigue. Chez Dan Brown les enjeux sont outranciers. C’est toujours une affaire de complot mondial qui chamboulera les champs du connu et du possible. Autour de cette révélation, des personnages se battent, se tuent, se trompent. Il y a les fanatiques religieux, les bons religieux, les mauvais amis et la police qui se fourvoie systématiquement sur sa cible. Au milieu de ce fatras, Robert Langdon et la fille qui l’accompagne s’échinent à résoudre des codes, s’époumonent en fusant d’un monument à l’autre, se taillent un chemin en faisant du kung fu ou en abusant de la chance. Ainsi le lecteur est savamment guidé jusqu’à la révélation finale où l’on découvre que nos conceptions sont erronées et que le méchant se faisait passer pour un gentil.
Des personnages fantomatiques
Dans Origine on rencontre une foule de nouveaux personnages. Mais pourquoi donc sont-ils tous aussi fades ?
D’abord, il y a la « Langdon’s girl » du roman, Ambra Vidal, la conservatrice du musée, toujours très cultivée, terriblement belle. Sa fonction est purement décorative, son passé et ses problèmes moraux complètement artificiels, presque enfantins.
Edmond Kirsch, Avila, les gardes, le cardinal, le roi et son fils, les employés du palais… tous ces personnages sont purement utilitaires, de vulgaires caricatures sans fond.
Robert Langdon, le pourfendeur de l’obscurantisme, fait tout pour satisfaire sa curiosité personnelle sans jamais se poser de questions sur les répercussions de ses actes. Le personnage est tellement délaissé qu’il n’est là que pour relancer l’intrigue et réciter ses pages Wikipédia devant les œuvres d’art.
Enfin il y a Winston qui, en dépit de sa nature, a droit à un traitement un peu plus consistant. Malheureusement les questions essentielles qu’il pose seront balayées d’un revers de main.
L’origine
Il y a cette obsession chez Dan Brown : réconcilier science et religion. A trop insister sur le besoin d’une réconciliation, on cristallise un conflit qui n’a pas nécessairement lieu d’être. Tout le propos de l’auteur repose sur une opposition basique : il y a d’un côté les bons religieux, les bons scientifiques, les bons politiciens. Ils sont modernes, progressistes, démocrates, embrassent la mondialisation et la dynamique de l’instantané. Et puis de l’autre côté il y les méchants religieux, les méchants politiciens, aveuglément croyants, attachés à leurs traditions et à leurs valeurs, bornés, extrêmes, assimilés à des obscurantistes qui préfèrent voir le monde rester dans l’ignorance par élitisme ou peur de la nouveauté. Le monde est tellement simple.
L’intrigue offre si peu de matière à disserter qu’il convient de passer directement à la fameuse découverte qui va bouleverser l’ordre des choses.
Dans un déluge d’exposés infantilisants, après 500 pages, le livre lâche enfin la révélation tant attendue. Et quelle déception.
Spoilers
Edmond faisait de la modélisation d’événements futurs grâce à un superordinateur. Il avait ainsi pu découvrir : d’une part, que si tous les éléments nécessaires à l’apparition de la vie (la soupe primordiale) étaient réunis dans une éprouvette, il n’y avait pas besoin d’intervention divine pour que ladite vie apparaisse. Ça c’est pour l’origine (« D’où venons-nous ? »).
D’autre part, Edmond explique que l’espèce humaine telle qu’elle existe aura complètement disparu dans 50 ans, avalée par une autre : les êtres cybernétiques. Ça c’est pour le futur (« Où allons-nous ? »). Et c’est tout.
Bien entendu, tout le monde est subjugué par ces « révélations » tandis que Dan Brown se vante publiquement d’établir un pont entre créationnistes et darwinistes. Peut-être faut-il rappeler que ces « révélations » n’ont rien d’inédit. Que le roman « oublie » de se poser la question de l’apparition des éléments nécessaires à l’apparition de la vie, de leur présence au même endroit, du big bang… Quant au transhumanisme, pas d’éthique, pas de questions, le paradigme de la modernité impose de l’accepter sans discuter. Bravo, c’est brillant.
Statut : Déconseillé
Sébastien Conrado