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 Le dernier plus gros mensonge géopolitique de la fin du XXe siècle - Décodeurs 360 | Décodeurs 360
Pinocchio a le nez qui s'allonge
Auteur de l’article
Le Général (2S) Dominique Delawarde est ancien chef « Situation-Renseignement-Guerre électronique » à l'état major interarmées de planification opérationnelle.
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Le dernier plus gros mensonge géopolitique de la fin du XXe siècle


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Désinformation dans l'affaire du Kosovo

Serge Halimi et Pierre Rimbert, deux journalistes reconnus, ont récemment co-signé dans Le Monde diplomatique un excellent article. Rappelons au passage que Serge Halimi est directeur du Monde diplomatique depuis 2008. Cet article a  été repris par plusieurs sites de ré-information mais aurait mérité une diffusion beaucoup plus large. Son titre ? « Le plus gros bobard de la fin du XXe siècle ».

Cet article nous décrit avec précision les principaux « bobards médiatiques » qui ont façonné les opinions occidentales pour les aligner sur celles des politiques et des états-majors et nourrir une guerre de 78 jours au Kosovo. « Pour ce qui fut sa première guerre depuis sa naissance en 1949, l’OTAN choisit d’attaquer un État qui n’avait menacé aucun de ses membres. Elle prétexta un motif humanitaire et agit sans mandat des Nations unies » (déjà…).

Au poste d’observation qui était le mien à l’époque, ayant vécu « l’avant, le pendant et l’après-campagne » de bombardement au poste de chef « situation-renseignement-guerre électronique » de l’État-major Interarmées de planification opérationnelle, et ayant été impliqué en première ligne de cet état-major dans cette triste affaire, je ne peux que confirmer, sans la moindre hésitation, que le Kosovo a bien été le plus grand mensonge de la fin du XXe siècle.

Je vais donc rajouter quelques éléments à la liste des média-mensonges évoqués dans l’article du Monde diplomatique, mensonges que j’ai pu suivre au jour le jour, et aux premières loges, de septembre 1998 à août 2000 (avant, pendant et après l’action) et j’y ajouterai quelques éléments de réflexion sur les conséquences considérables de ces bobards en matière de relations internationales.

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Je me souviens à quel point mes collaborateurs et moi même avons été atterrés tout au long du conflit de voir ce que l’OTAN infligeait au peuple serbe, un allié de toujours que la France, notre pays, trahissait pour de mauvaises raisons.

Je me souviens d’une conversation tenue début octobre 1998 au PC de l’OTAN, en Belgique, avec un de mes amis, alors directeur du Joint Operation Center (JOC), cerveau et cœur de l’organisation Atlantique, le colonel US D M’G, que j’avais bien connu dans une affectation précédente aux USA, et qui, sentant que l’on finirait par frapper la Serbie, me disait que « nous allions faire une connerie » pour trois raisons :

1 – Il n’y avait pas matière à agresser la Serbie. Selon les renseignements de l’OTAN, Milosevic traitait « avec modération et faible intensité », selon ce colonel US, une rébellion d’une infime partie de la population kosovare. Toute agression relèverait donc objectivement de l’ingérence dans les affaires d’un Etat souverain.

2 – Les Serbes ne cesseraient pas de résister en trois jours et il faudrait peut être plusieurs mois pour obtenir un cessez-le feu. (Il a fallu 78 jours).

3 – S’il fallait engager des troupes au sol, les combats seraient longs, compliqués et meurtriers pour nous, compte tenu du terrain très difficile et des forces morales incontestables du peuple serbe, mises en évidence lors de la Deuxième Guerre mondiale.

Je me souviens de la réponse très claire et précise de ce colonel US à ma question : « si nous savons que c’est une connerie, pourquoi donc allons-nous finir par la faire ? »

Il s’agissait, selon lui et sans rentrer ici dans les détails qu’il m’a donnés, de détourner l’attention médiatique d’une affaire de politique intérieure qui écrasait alors tous les autres sujets d’actualité aux USA. Il fallait donner un « nouvel os à ronger » aux médias US pour qu’ils acceptent de lâcher celui qu’ils tenaient et qui menaçait la Présidence. La réponse était évidemment stupéfiante, mais la suite a prouvé que cette opération a parfaitement fonctionné.

La position de ce colonel US au sommet de la hiérarchie de l’OTAN (directeur du JOC), véritable bras droit du général US Westley Clark, le commandant en chef, donnait à son propos une grande crédibilité à mes yeux. Il me présentait l’affaire kosovare comme une opération de « diversion »… Lui-même semblait d’ailleurs très irrité de cette situation, ce qui pouvait expliquer son manque de réserve sur le sujet et son « élan de franchise ».

Il est vrai que l’Histoire a montré, peu de temps après, que le président US de l’époque savait parfaitement utiliser la diversion pour se sortir de situation difficile. En effet, cette technique a été utilisée avec succès par Bill Clinton le 16 décembre 1998, à la veille de l’examen de sa destitution par la Chambre des représentants pour ses mensonges dans l’affaire Lewinsky. Il a déclenché ce jour-là des frappes sur l’Irak (Opération Desert Fox) au prétexte, encore mensonger, d’un programme irakien de développement d’armes de destruction massives… 415 missiles Tomahawk ont été tirés faisant de 600 à 2 000 tués en trois jours. L’attention des médias a été détournée de l’affaire Lewinsky… qui a été donc été « oubliée ». Bien sûr, les Irakiens en ont payé le prix…

Pour en revenir à l’affaire du Kosovo, je me souviens aussi des rapports que le colonel français responsable du contingent français des observateurs de la KVM (Kosovo Verification Mission, entre octobre 98 et mars 99) adressait à l’état-major. Ce colonel nous disait « ne pas comprendre ce que voulaient ses collègues anglo-saxons [US et UK] qui semblaient provoquer quotidiennement les Serbes pour les pousser à la faute et pouvoir ainsi justifier l’ingérence ». Selon ces rapports du colonel français, il n’y avait pas non plus matière à frapper.

Je me souviens des comptes-rendus des officiers français de l’opération des Nations Unies « Alba », qui, à la frontière Kosovo-Albanie, interrogeaient les réfugiés kosovars dont les maisons avaient été brûlées. Selon ces rapports, adressés au centre des opérations de l’ONU et dont on recevait copie, à la question : Sont-ce les forces serbes de Milosevic qui brûlent vos maisons ?, la réponse était le plus souvent : « Non, c’est l’UCK ( la résistance kosovare de Hashim Thaci) ». Notons au passage que l’ONU n’ignorait donc pas ce qui se jouait vraiment au Kosovo.

Ce que nous comprenions alors, c’est qu’Hashim Thaci, à l’imitation de ce qui s’était passé à plusieurs reprises en Bosnie, cherchait à susciter une intervention de l’OTAN, en provoquant l’exode de ses propres frères et en brûlant quelques maisons sous les lumières des caméras occidentales, pour se rallier l’opinion de la « communauté internationale ». Toutes ces exactions étaient, bien sûr, imputées à… Milosevic.

Je me souviens aussi du « vrai-faux massacre de Racak » de janvier 1999, qui a permis à l’OTAN de justifier son ingérence largement préméditée. Tous les détails de ce « montage » ont été révélés depuis grâce au témoignage du Dr Helena Ranta, responsable finlandaise de l’équipe d’enquêteurs internationaux sur le terrain. De nombreux médias mainstream ont repris ses déclarations, mais, hélas, bien trop longtemps après les faits. L’OTAN avait joué sa partie mensongère et gagné sur le terrain bien avant que les médias honnêtes de l’époque ne rendent compte de la supercherie. Sur cette affaire qui ressemble, à de nombreux égards, au super-mensonge médiatique avéré de Timisoara, relire l’article d’octobre 2003 du Berliner Zeitung, repris par le journal français Courrier international ; et relire surtout l’article plus fouillé et plus argumenté de Roland Magnin en 2009.

Pour les jeunes lecteurs (moins de quarante ans) qui ne sauraient peut-être pas encore comment on fabrique de faux « massacres médiatiques », tapez les deux mots massacre et Timisoara et découvrez les innombrables liens sur l’autre « super bobard » médiatique occidental de la fin du XXe siècle. On comprend pourquoi, sur de tels sujets, les Décodeurs du Monde, dont le travail « militant » consiste à couvrir les mensonges de leur maison mère en tentant de décrédibiliser la publication de vérités qui les dérangent, se fassent extrêmement discrets et préfèrent de regarder ailleurs… C’est du moins ce que disent, en substance, Serge Halimi et Pierre Rimbert dans leur conclusion : « on comprend sans peine que les journalistes les plus obsédés par la question des fake news préfèrent eux aussi regarder ailleurs ».

Je me souviens enfin des faux comptes rendus quasi quotidiens à la presse de Mr Jamie Shea, porte parole (UK) de l’OTAN, que nous avions affublé du surnom de « Super menteur ». Il laissait entendre que nous bombardions des objectifs militaires, toujours avec succès, ce qui était loin d’être exact. En fait, les avions de l’OTAN ont effectué une moyenne de 500 sorties/jour pendant 78 jours. Ils bombardaient principalement l’infrastructure civile, avec une assez faible précision d’ailleurs, ce qui aurait été très difficile à « vendre » à l’opinion occidentale. Il fallait donc mentir et inventer la fausse et belle histoire d’un affrontement entre Forces Armées excluant ou minimisant tout impact sur les populations civiles et en présentant des bilans flatteurs, mais faux.

Au 78e et dernier jour du bombardement, Mr Jamie Shea déclarait 800 matériels majeurs détruits (ce qui constituait, pour les initiés, l’ensemble du parc de matériels majeurs serbes engagés au Kosovo). Les comptages précis effectués au moment du retrait des forces serbes ont montré que seuls 30 matériels majeurs serbes n’étaient pas en état de marche (en panne, ou détruits). En d’autres termes, le contingent serbe engagé au Kosovo était à 96 % intact après 78 jours de bombardement. Le moral du contingent serbe était toujours bon. Lorsqu’au fil du conflit, je soulignais, en interne, les incohérences des déclarations de Jamie Shea, on me faisait comprendre que l’OTAN ne pouvait parler que d’une seule voix et que cette voix était celle de son porte-parole anglo-saxon Jamie Shea.

Ce qui a provoqué la reddition serbe, c’est donc bien la destruction de l’infrastructure civile et non une défaite militaire armée contre armée. C’est, hélas, la méthode otanienne, parfaitement appliquée en Syrie, et dénoncée par le colonel François-Régis Legrier dans son article « La bataille d’Hajin : victoire tactique, défaite stratégique ? ».

A tout ce qui précède, on peut rajouter les commentaires du colonel, envoyé comme observateur aux négociations de Rambouillet, et qui, revenant périodiquement à l’État major, parlait de nos diplomates en les qualifiant de « fous furieux bellicistes », cherchant à imposer des conditions inacceptables pour obtenir un refus de la partie serbe et donc la justification d’une ingérence.

Certains pourraient me reprocher un témoignage bien tardif sur ce sujet important. Il y a plusieurs raisons à cela :

La première est qu’un tel témoignage n’est utile que s’il a des chances d’être entendu et non réduit à néant en un instant par le fracas orchestré des médias mainstream. Serge Halimi et Pierre Rimbert, en publiant un article difficilement attaquable, compte tenu de leur notoriété de journalistes mainstream du Monde diplomatique, me donnent l’opportunité de joindre ma modeste voix à la leur et de compléter leurs propos.

Les récidives constatées en matière de mensonges ou de montages de la coalition occidentale avec la complicité des médias mainstream depuis l’affaire du Kosovo (Irak, Libye, Syrie, Ukraine, Vénézuela, Skripal…), toujours pour justifier une ingérence intéressée, me paraissent de plus en plus intolérables. Les conséquences de ces ingérences prétendument « humanitaires » sont invariablement désastreuses et meurtrières pour les populations civiles et dans certains cas, pour les intérêts de notre pays (vagues migratoires de réfugiés, actions terroristes de représailles, énorme perte de prestige pour notre pays).

Pour contrer cet éternel faux prétexte de « devoir d’ingérence humanitaire » (sans accord de l’ONU), concept inventé par les occidentaux (USA, UK, FR), pour satisfaire leurs intérêts du moment, il faut en arriver désormais au « devoir de témoignage humanitaire » et dénoncer les mensonges lorsqu’on en a connaissance. Certains l’ont fait beaucoup plus courageusement que moi (Manning, Snowden, Assange) et l’ont payé au prix fort (prison, exil).

En conclusion, cette affaire du Kosovo a eu d’énormes conséquences sur l’ensemble des Relations internationales. La Russie et la Chine, trop faibles à l’époque pour réagir efficacement, mais humiliées (la Chine par le bombardement de son ambassade à Belgrade, la Russie par la défaite d’un allié fidèle et le mépris des Occidentaux, agissant sans mandat de l’ONU) ont décidés de s’organiser et surtout de se réarmer.

Dès le 15 juin 2001, c’est la création de l’OCS (Organisation de Coopération de Shangaï), avec une coopération économique et militaire visant à assurer la sécurité collective de ses membres. Cette organisation, créée en réaction à l’affaire du Kosovo, s’est élargie et compte aujourd’hui huit membres dont quatre puissances nucléaires (Russie, Chine, Inde, Pakistan). Elle prône la multi-polarité et la non-ingérence dans les affaires d’Etats souverains. Elle constitue clairement, bien qu’elle s’en défende, une opposition désormais ferme et puissante aux prétentions hégémoniques de la coalition occidentale.

En 2008, les BRICS ont été créés à leur tour. Cette organisation vise aussi à promouvoir la multi-polarité, la réforme de l’ONU pour la rendre plus représentative, et surtout l’évolution de la gouvernance et des règles du jeu de l’économie mondiale pour les rendre plus justes.

L’équilibre géopolitique du monde bascule aujourd’hui sous nos yeux et cette bascule s’opère au détriment d’un camp occidental dont l’unité est loin d’être assurée. Un nombre croissant de pays se rallie, jour après jour, au camp OCS-BRICS, à la multipolarité et à la non-ingérence.

Toutes ces évolutions sont, à l’évidence, des conséquences directes du « plus gros bobard de la fin du XXe siècle ».

Merci encore à Serge Halimi et Pierre Rimbert d’avoir fait resurgir une vérité oubliée et d’avoir rappelé que « Loin d’être des internautes paranoïaques, les principaux désinformateurs [dans l’affaire du Kosovo] furent les gouvernements occidentaux, l’OTAN ainsi que les organes de presse les plus respectés » (dont le journal Le Monde qui prétend s’ériger aujourd’hui en magistère de la vérité…).

Général Dominique Delawarde

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