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 Les véritables raisons derrière la crise des semi-conducteurs - Décodeurs 360 | Décodeurs 360
Usine automobile automatisée
Auteur de l’article
Expert en stratégie et en communication, Sébastien coach des porteurs de projets et des dirigeants. Il promeut une approche globale dans la résolution des problèmes. Convaincu que certains sujets clefs pour la compréhension du monde contemporain n’ont pas assez de résonance médiatique, il s’emploie à les analyser et dénonce la soumission aux réactions émotionnelles. Il co-dirige le cabinet Alliance Consorts.
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Les véritables raisons derrière la crise des semi-conducteurs


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La pénurie des semi-conducteurs est peut-être le plus gros choc d’approvisionnement que le monde ait jamais vu.

Jim Farlay – CEO de Ford

110 milliards de dollars. Ce sont les prévisions des pertes 2021, toutes industries confondues, liées à la pénurie des semi-conducteurs. La filière automobile en tête, suivie par les géants de la high tech, les producteurs de composants d’ordinateurs, les revendeurs, l’électroménager… Des usines par dizaines ont décidé d’arrêter la production : les prix montent dangereusement. Les puissances américaines et européennes se sont saisi du problème et promettent des investissements massifs. Pourtant, alors que le monde repousse lentement la pandémie de Covid-19, aucun retour à la normale n’est attendu avant la mi-2022 dans l’approvisionnement en semi-conducteurs. Au mieux.

Pourquoi les semi-conducteurs sont-ils vitaux pour nos sociétés ?
Quelles sont les raisons derrière la crise ?
Pourquoi les investissements massifs des pays occidentaux pourraient-ils conduire à une nouvelle crise ?

Le terme de semi-conducteur se réfère plus spécifiquement aux puces, dignes héritières des transistors, que nous avons dans nos appareils électroniques. Les semi-conducteurs sont partout. Dans nos voitures, nos ordinateurs, nos consoles, nos téléphones, nos télévisions et, à l’ère des objets connectés, il sont aussi dans nos mixeurs, nos frigos et même nos ampoules. Ce sont des composants de quelques nanomètres dont la valeur s’estime en centimes d’euros. Des pièces communes que nous utilisons tous les jours sans même nous en rendre compte.

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Mais lorsque les semi-conducteurs viennent à manquer, plus rien ne peut marcher. Les constructeurs automobiles et leurs partenaires, qui comptent pour près de 9 % de la demande en semi-conducteurs, se voient forcés d’arrêter la production, faute d’approvisionnement. Près d’un an après son lancement, la Playstation 5 est toujours chassée comme un trésor aux apparitions rares, l’IPhone 12 d’Apple s’est offert plusieurs mois de retard et Samsung songe à annuler le lancement de la prochaine entrée de sa gamme de téléphones Galaxy. Pour l’automobile, le composant est d’autant plus vital qu’il permet à nos voitures de faire fonctionner l’essentiel de leurs systèmes. On a ainsi vu quelques constructeurs essayer de s’adapter comme Peugeot, dont les dernières 308 sont revenues à des compteurs à aiguilles classiques au lieu de l’affichage digital, ou Renault, qui remplace le grand tableau de bord digital de la Captur par un plus petit (moins de calculs) sans affichage de la navigation.

Il faut aujourd’hui compter jusqu’à quarante semaines d’attente pour recevoir sa commande de semi-conducteurs.

Consommation des semi-conducteurs par secteur

Un marché propice aux accidents

Le marché des semi-conducteurs est quelque peu inégal. D’une part, on y trouve une multitude de petits acteurs et d’usines éparpillés dans le monde. Pour la plupart, leur technologie ne leur permet pas de confectionner des puces de moins de quarante nanomètres. C’est-à-dire les standards d’il y a plus de dix ans.

Il y a ensuite les acteurs historiques comme Intel, qui équipe encore la majorité des ordinateurs et des serveurs que nous utilisons. Intel confectionne et vend ses propres puces. Mais les temps sont durs pour l’inventeur du microprocesseur : incapable de produire des puces de moins de sept nanomètres, il est largement dépassé technologiquement par ses concurrents asiatiques. C’est d’ailleurs l’une des raisons qui ont poussé Apple à remplacer Intel par sa propre technologie dans ses MacBook.

Enfin, il y a TSMC (Taiwan Semiconductor Manufacturing Company), qui détient plus de la moitié du marché mondial et près de 92 % du marché des puces de haute technologie. TSMC est en effet sur le point de commercialiser des semi-conducteurs de trois nanomètres. Un bond pour la puissance de nos appareils : plus de calculs dans moins d’espace. TSMC ne vend pas de système sous sa marque ; d’ailleurs elle ne conçoit pas les puces. L’entreprise se contente de mettre en place les lignes de production sur la base de leurs plans pour ses clients, comme Apple, Ford, General Motors… Seul concurrent sérieux à la production : Samsung, qui produit essentiellement pour pourvoir aux besoins de ses propres produits.

Le marché des semi-conducteurs est ainsi particulièrement monopolistique. Une seule entreprise approvisionne l’ensemble du marché de la high tech et de l’automobile mondial. Si TSMC éternue, plusieurs marchés globaux attrapent le rhume.

Apple's new iPhones use Souped Up 7nm Processors from TSMC to Overpower  Rivals - Patently Apple
Marché des semi-conducteurs par constructeur

Covid-19 : le premier domino

La pandémie mondiale est le « cygne noir » qui a révélé les faiblesses du marché.

Précédemment à la crise, le marché se trouvait saturé par une production de semi-conducteurs très élevée. Les constructeurs de différentes marques ont ainsi pu constituer des stocks pour prévenir les crises comme celle que nous vivons.
Alors que les gouvernements décidaient de confinements et de restrictions les uns à la suite des autres, ces constructeurs ont anticipé une baisse importante de la demande et ont stoppé leurs commandes régulières en comptant sur leurs stocks. Qui a besoin d’une nouvelle voiture quand on nous demande de passer la journée à la maison ?

Seulement, la production de puces se fait dans des conditions particulièrement exigeantes (une passionnante vidéo sur les conditions de production ici) qui ne laissent place au moindre grain de poussière. Les usines tournent 24 heures sur 24 et les arrêter reviendrait à s’exposer à des temps longs de remise en conformité. Pour éviter les pertes, TSMC et quelques autres ont remplacé les clients ayant gelé leurs commandes par de nouveaux entrants de marchés différents (quitte à encore baisser les prix). Ces nouveaux clients ont pris la place des anciens. Littéralement, puisque les lignes de production sont désormais occupées par la construction de modèles adaptés à d’autres besoins.

Lorsque la demande est revenue, il n’y avait plus de place pour tout le monde. Alors les prix augmentent. C’est la loi de l’offre et de la demande.

En mai 2021, Taïwan a été touché par une nouvelle vague de Covid-19 qui est venue compliquer quelque peu le fonctionnement des usines.

La confusion et la précipitation générées par la crise sanitaire ont donc créé un embouteillage géant dans la demande que le producteur unique, TSMC, ne pourra pas résoudre « avant plusieurs années » affirment la plupart des constructeurs.

Le changement climatique en cause

Plus surprenant, il semblerait que le climat soit aussi pour quelque chose cette pénurie.

La production de semi-conducteurs est particulièrement gourmande en eau. Le refroidissement de certaines machines et le nettoyage des puces est essentiel à la production. Taïwan est l’un des endroits les plus pluvieux au monde, les typhons y sont courants. Ce climat en fait un lieu idéal pour la production de semi-conducteurs, ne manquant jamais d’or bleu.

Aujourd’hui, Taïwan connaît une sécheresse. La plus dure depuis 56 ans. Aucun cyclone n’a atteint ses côtes. La plus grande réserve d’eau dédiée à l’industrie est descendue à 7 % de sa capacité : un record. Le gouvernement a demandé à TSMC de réduire sa consommation d’au moins 15 %, alors même que l’entreprise peine à livrer tous ses clients dans les temps. Une situation qui compromet le développement des usines taïwanaises et accentue encore l’embouteillage.

Par ailleurs, le gouvernement taïwanais a mis un coup d’arrêt au développement de la première usine de semi-conducteurs de deux nanomètres que TSMC s’apprêtait à construire. Parce qu’elle ne respectait pas les règles environnementales. De quoi soulever des interrogations quant aux dizaines d’usines vieillissantes à Taïwan et dans le monde.

Il se pourrait qu’avec les exigences croissantes des gouvernements en matière de règles environnementales et un changement climatique en accélération constante, Taïwan devienne peu à peu moins attrayant pour les constructeurs de semi-conducteurs.

Au centre de subtilités géopolitiques

Toutes les faiblesses du marché mettent au jour un conflit majeur : la lutte économique entre les États-Unis et la Chine. S’affrontant dans une course technologique effrénée, les géants de la Silicon Valley et les fleurons de la high tech chinoise s’approvisionnent chez le même constructeur de semi-conducteurs : TSMC.

C’est le bouclier de Taïwan, son garde-fou contre l’annexion chinoise qui menace la petite île. Sans la précision et le savoir-faire des Taïwanais en matière de semi-conducteurs de haute technologie, la Chine ne peut plus continuer à être l’usine du monde.

Or la guerre avec la superpuissance américaine s’intensifie depuis quelques années ; la bataille pour les puces permettant de supporter la 5G a été rude, si rude que l’administration Trump a imposé, par exemple, que les entreprises américaines et leurs partenaires cessent de travailler avec le constructeur Huawei. TSMC a dû s’y conformer, acceptant de perdre 14 % de son chiffre d’affaires.

À l’heure de rappeler à ses cousins chinois son importance vitale dans la chaîne de production asiatique, alimenter une pénurie semble constituer une tactique de choix pour le gouvernement taïwanais . De quoi acheter un peu de répit face au bellicisme de Pékin. Mais pour combien de temps ?

Contrainte à une joute constante pour sa survie, Taïwan se retrouve pris entre les feux de deux superpuissances. La guerre économique pousse le constructeur TSMC à faire des choix quant à l’identité de ses clients. Assurant l’approvisionnement pour certaines marques et la rupture de l’approvisionnement pour d’autres.

En route vers l’indépendance…?

La pénurie se fait sentir et se répercute dans les délais de commandes comme dans les prix. On assiste parfois à des multiplications du prix des composants par trois ou par cinq. Comme chaque fois que le consommateur est touché, le politique a soudain une prise de conscience. Un monopole asiatique en situation de déséquilibre sur un composant aussi stratégique est inacceptable ; produisons local, soyons indépendants !

L’administration Biden se lance dans un plan d’infrastructure de 50 milliards de dollars pour retrouver sa capacité de fabrication de puces. La Commission européenne souhaite quant à elle créer une alliance industrielle regroupant les principales entreprises et les centres de recherche européens dans le domaine. Objectif : 20 % de production européenne d’ici à 2030. La France et l’Allemagne en tête. Intel a même annoncé vouloir construire une usine en Europe.

De son côté, la Chine injecte depuis plusieurs années des centaines de milliards dans le domaine des semi-conducteurs, dans l’idée de rattraper son retard sur Taïwan. Les usines chinoises produisent essentiellement sur des formats vingt-huit nanomètres et plus. Malgré ce retard, la production chinoise a augmenté de 30 % cette année.

Que deviendront nos investissements européens, censés fleurir aux alentours de 2023, alors que le monde entier s’est lancé dans la course ? Si la situation de surproduction initiale nous a menés à cette pénurie, que se passera-t-il lorsque toutes les puissances du monde auront leur propre usine ?

Sébastien Conrado


Sources :

Quand le Conseil constitutionnel dépénalisait le harcèlement sexuel

Le droit est-il moral ? C’était il y a tout juste dix ans. Un homme accusé de harcèlement sexuel eut recours à un moyen inédit pour se tirer d’affaire et l’article du Code pénal sanctionnant le harcèlement sexuel fut abrogé par la plus haute autorité judiciaire française… C’est l’histoire d’une…

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