Une fois n’est pas coutume, l’année 2018 a été marquée par une réduction très sensible des bombardements US ayant affecté la planète. 16 500 bombes « seulement » ont été larguées sur six pays, toujours sous le prétexte commode et bien connu de la « guerre contre le terrorisme »¹. On est donc loin des 43 938 bombes larguées en 2017. On retrouve, sans surprise, la Syrie, l’Irak, l’Afghanistan, le Yémen, la Somalie et la Libye comme victimes de ces bombardements US, pays cités dans l’ordre du nombre de bombes reçues.
S’agissant de la Syrie et de l’Irak, dans l’opération « Inherent Resolve », les forces aériennes de la coalition ont largué 8 713 bombes en 2018, soit 78% de moins qu’en 2017 (39 577 bombes) et 70% de moins qu’en 2016 (30 700). Cette baisse paraît logique si l’on veut bien considérer que les territoires contrôlés par Daesh se sont réduits considérablement au fil du temps et qu’il ne reste plus grand-chose à « frapper » à l’est de l’Euphrate.
A noter : la remontée très nette des bombardements aériens en novembre (1 424 bombes) et surtout en décembre 2018 (2 214). Volonté d’en finir avec Daesh avant l’annonce du retrait US du 19 décembre ? Liquidation des stocks pour éviter de les rapatrier ? Ou volonté de détruire un maximum d’infrastructures à l’est de l’Euphrate pour affaiblir la Syrie et rendre sa reconstruction plus coûteuse, plus longue et plus complexe à la fin d’une guerre que l’on commence à entrevoir ? On peut vraiment s’interroger sur le véritable objectif des bombardements de la coalition occidentale qui perdurent dans ce pays…
A noter également, l’épisode peu glorieux de la frappe conjointe USA-GB-FR du 14 avril 2018, première frappe « spectacle » de 105 missiles, ayant fait zéro mort et ayant eu une efficacité militaire totalement nulle, voire contreproductive puisqu’elle a plutôt renforcé l’image de Bachar el-Assad aux yeux de ses concitoyens sans lui porter le moindre préjudice militaire. Rappelons, pour mémoire, que cette frappe, effectuée sans accord de l’ONU, l’a été sous le prétexte éculé et mensonger d’une fausse attaque au gaz, montée avec de bons « effets spéciaux », par nos « merveilleux alliés casques blancs », mais attribuée à Bachar el-Assad.
S’agissant de l’Afghanistan, dans les opérations « Freedom’s Sentinel » et « Resolute Support » censées lutter contre le terrorisme, les USA ont largué 7 362 bombes en 2018. C’est une augmentation considérable par rapport à 2017 (4 361), à 2016 (1 337) et à 2015 (947). Ces bombardements toujours plus importants depuis 2015 n’ont, évidemment, plus aucun sens après dix-huit ans d’ingérence US dans ce pays.
Ils démontrent l’échec de la politique du « tout bombardement » pour régler le problème de l’islam radical. Ils donnent de la crédibilité à la déclaration du représentant afghan à la conférence de Téhéran sur la sécurité en Asie de l’Ouest du 7 janvier dernier (lire ici le compte rendu de cette conférence). Celui ci attribuait la montée de l’islamisme radical dans son pays aux bombardements US ainsi qu’aux multiples bavures qui les accompagnent et qui affectent les populations civiles.
S’agissant du Yémen le nombre des opérations de bombardement visant al-Qaïda n’a pas excédé la cinquantaine. C’est beaucoup moins qu’en 2017 (125). Il faut dire que la guerre du Yémen n’est plus très populaire aux USA avec les conséquences humanitaires dramatiques qu’elle engendre pour la population civile et l’image détestable de l’Arabie Saoudite qui dirige la coalition anti-Houtis.
S’agissant de la Somalie, 37 opérations de bombardement US ont été répertoriées en 2018. Ce nombre est comparable à celui de 2017 (35).
S’agissant de la Libye, le nombre des opérations de bombardement est devenu anecdotique (3 en 2018).
En conclusion, ce triste bilan appelle quatre remarques :
1 – Les USA se sont érigés en gendarme du monde en stricte application du « droit du plus fort » et du slogan « America First », alors que personne ne leur a rien demandé. Avec leur politique étrangère qui s’appuie sur les bombardements, les sanctions économiques, les « regime change », l’extra-territorialité de leur législation, leurs intérêts nationaux et ceux de leur allié israélien, ils créent plus de chaos sur la planète qu’ils ne résolvent de problèmes.
2 – Concernant la politique proche et moyen-orientale US, il est clair que c’est l’opposition à l’Iran, dans le souci de protéger l’allié israélien qui explique, avant tout, l’ingérence US en Syrie. La lutte contre Daesh n’a été qu’un prétexte commode pour s’incruster, sans y être invité, dans le pays et tenter de le diviser, d’en changer la gouvernance et d’en redessiner les frontières².
3 – S’agissant de la Syrie, la collusion parfaite USA-UK-FR s’est construite autour de l’allié commun : Israël. Concrètement, cette collusion a été rendue possible par l’action des puissants lobbies transnationaux pro-Israël sur la gouvernance de ces trois pays et sur le noyautage de leur appareil d’Etat par des sayanim³ efficaces. Il ne faut pas oublier, à cet égard, le rôle déterminant joué par ces lobbies dans les élections, rôle qui ne peut échapper qu’aux naïfs, et les « retours sur investissement » que ces lobbies obtiennent, une fois les élections gagnées, de ceux dont ils ont assuré la victoire…
4 – Enfin, il est curieux qu’avec les moyens performants dont on dispose au XXIème siècle, aucun des grands Etats ne se soit penché sérieusement sur l’identification et la dénonciation de ceux qui ont suscité, encouragé, financé, armé, instrumentalisé l’Etat Islamique et le terrorisme de l’Islam radical en Syrie, dans l’espoir de faire tomber Bachar el-Assad. Serait-ce que ces grands Etats étaient beaucoup trop impliqués dans ce type d’actions peu reluisantes ?
Général Dominique Delawarde
¹ Source pour les bombardements : Statistiques publiées par le « Combined Forces Air Component Commander 2013-2018 » Airpower Statistics
² Sur ce sujet précis, le lecteur non initié pourra lire ou relire :
USA-Syrie-France-Israël : Pour mieux comprendre le conflit syrien. Général (2S) Dominique DELAWARDE
³ Les sayanim (pluriel de sayan, de l’hébreu « aide », « assistant ») seraient, depuis la publication de l’ouvrage d’un ancien agent des services secrets israéliens, Victor Ostrovsky, des agents passifs appelés plus communément « agents dormants », établis en dehors d’Israël, prêts à aider les agents du Mossad en leur fournissant une aide logistique. Le terme désigne également des Palestiniens ayant accepté de collaborer avec l’armée israélienne ou les juifs de la diaspora décidant de collaborer de manière momentanée avec le Mossad par sentiment de patriotisme envers Israël. (Source : Wikipédia)